Le jeudi 29 mai 1997


L'aspirateur central
Pierre Foglia, La Presse

La banlieue parisienne. Bobigny. Vingt minutes de la gare de l'Est. Des tours. Des jeunes. La police souvent. Un Mammouth et un Leclerc dans un champ. La rue qui mène à la gare, le Café de la gare qui fait PMU. Un boulanger. Une pharmacie. Un coiffeur juste pour les Noirs. Les pavillons commencent un peu plus loin, quand il n'y a plus de magasins. Dans un des pavillons vit un type qui s'appelle Tony. Sa femme s'appelle Christiane. Ils ont trois enfants. Lui travaille à Paris. Garçon de café dans un bistrot fréquenté par les commerçants du quartier et des fois, par des touristes égarés. Justement, ce jour-là, en revenant de travailler, Tony dit à sa femme :
- Tiens j'ai servi des Québécois aujourd'hui. Qu'est-ce qu'ils sont sympas. Ils m'ont dit si tu viens un jour à Montréal, tu téléphones, on s'occupe de toi. Des mecs bien, tu vois...
Quelque temps après, Christiane voit un reportage sur le Québec à Canal +. Elle en parle le soir à Tony : " Ils interviewaient des Français qui vivent là-bas, qu'est-ce qu'ils aimaient ça... "

Tony et Christiane ont commencé à rêver. Vous savez ce que c'est, le rêve grandit, la réalité rapetisse. Leur pavillon, leur vie, même le Mammouth leur semblaient ridiculement petits. Il leur fallait l'Amérique. Au bureau d'immigration du Québec à Paris, un farceur a dit à Tony : " Docteur ou ingénieur, je vous aurais dit non. Mais garçon de café oui, il y a du travail pour les garçons de café au Québec. "

Ils ont tout vendu. Ils ont pris l'avion. Ils ont passé les quatre premiers jours dans un Travelodge à Laval. Le quatrième jour, la fille de la réception les a emmenés voir des pavillons, dans un nouveau projet résidentiel à Auteuil.

Auteuil ? Nulle part au milieu de l'île de Laval. Vingt minutes de Montréal. Le boulevard des Laurentides croise le boulevard Sainte-Rose. Des magasins. Plus loin il n'y en a plus. Juste des pavillons. Celui de Tony et sa femme Christiane est tout neuf. Devant une école, neuve aussi. C'est l'après-midi, Christiane regarde TV5. Tony est sur appel pour aller servir dans les banquets. Le plus petit vient de rentrer de l'école. Il a des marques rouges dans le cou.

- Qu'est-ce que t'as dans le cou ? Tu t'es encore battu ? Le petit monte dans sa chambre sans répondre. Christiane hausse les épaules : " Nous aussi, on se bagarre tout le temps, avec tout le monde. C'est pas ce qu'on croyait, le Canada. "

Ils se sont acheté une grosse voiture. Ils sont allés voir les chutes Niagara. Il leur reste de quoi tenir un an. Je regarde par la fenêtre les nouveaux pavillons en construction :

- Finalement, ça ressemble un peu à Bobigny, ici, non ?

Christiane y pense un moment, puis : " C'est vrai. Sauf qu'ici on a l'aspirateur central. "

DE TOUTE FAÇON, VOUS AVEZ TORT ! -

Je vous ai déjà expliqué comment ça se passe pour le courrier me concernant, adressé a La boîte aux lettres. Je ne commente et ne surenchéris pas, à moins d'une grossière erreur dans les faits. C'était le cas dans la première version de la réplique de ce sous-directeur de prison, que vous avez pu lire dans la boîte aux lettres de lundi.

" CONTRAIREMENT à ce que vous rapportez ", écrivait le sous-directeur, dans la première version de sa lettre...

Sauf que je ne rapportais pas du tout ce qu'il prétendait.

Je fis donc une rectification.

Juste avant d'aller en page, coup de téléphone embarrassé de Claudette, l'éditorialiste en chef adjointe de notre journal :

- Tu ne devineras pas quoi, la prison vient d'appeler, ils demandent qu'on corrige un mot dans leur lettre, une grossière erreur s'excusent-ils, ils veulent qu'on remplace " CONTRAIREMENT à ce que vous rapportez " par : " COMME vous rapportez "...

- Ben c'est très bien. Il n'est jamais trop tard pour reconnaître ses erreurs. Comme ça, il n'y a plus de chicane ?

- Ah si. Ils veulent qu'on publie intégralement leur lettre quand même quand on aura remplacé CONTRAIREMENT par COMME...

Ce qui fut fait.

Si je comprends bien, que je dise comme eux ou le contraire, je suis un trou'd'cul de toute façon ?

DEBOUT LES JOUEURS DE PIPEAU -

Les élèves de l'école Pierre-Laporte ( spécialisée dans l'enseignement de la musique classique ) donnent leur gala annuel demain soir à la salle Claude-Champagne.

Traditionnellement, à la fin du programme très classique de ce gala, les élèves de cinquième année présentaient un adieu plus léger, une saynète, une bluette, un truc pour saluer la compagnie, bien enlevé, de bonne facture. On n'est pas dans une école privée, mais on est tout de même à Mont-Royal, on sait se tenir.

Cette année, l'adieu des cinquièmes consistait en une chanson mexicaine, joyeuse et costumée. Mais ils ne pourront pas la faire.

La direction ne veut pas. La direction a permis aux élèves de s'éclater dans une fête plus intime à l'intérieur des murs de l'école, mais désormais, le gala devra rester classico-classique jusqu'à la dernière note.

Les cinquièmes sont fâchés. Leurs parents aussi. Ils sont plus de 200 parents à avoir signé une pétition pour demander aux autorités de l'école de revenir sur leur décision.

" Ce ne sont pas les parents qui vont mener ici ", a répondu l'école. On en est là.

Mine de rien, dans cette petite histoire, sont en jeu de grands principes.

Puisqu'on me demande mon sentiment, je suis désolé d'avoir à dire aux parents que j'applaudis, à deux mains, la réponse que leur a fait l'école. J'ajoute que, comme parent, je n'aurais jamais signé cette pétition. Par respect de la ligne d'autorité d'abord, et pour autre chose de beaucoup plus important encore... Admettons que l'école affiche un autoritarisme véritablement hors de saison et de proportion. Admettons que la frustration des cinquièmes soit entièrement justifiée. Eh bien qu'ils l'expriment ! Ils sont assez grands, assez intelligents, et capables de s'organiser...

À 17, 18 ans, il est temps qu'ils apprennent à jouer d'un nouvel instrument, autrement plus difficile à maîtriser que le violon et le pipeau : la subversion.

La subversion, les enfants, ça se joue debout, le poing levé. Pas dans les jupes de maman. Pas en braillant.

LUMIÈRE, SVP -

Je comprends pas. Le machin qui remplace le Forum demande et obtient un dégrèvement de taxes municipales. Genre 4 millions. Sous prétexte qu'ils n'ont pas eu de subvention. On subventionne les brasseries maintenant ? Font un fric fou. Hey, M. Bourque, pensez pas qu'il y a des gens plus mal pris que M. Molson à Montréal ?