Le samedi 7 juin 1997


La maison de Saint-Armand
Pierre Foglia, La Presse

Vous savez cette maison que je disais aimer comme une femme, comme un enfant, comme tous mes chats en même temps, cette maison qui était ma seule patrie, cette maison de Saint-Armand que j'ai vendue il y a deux ans... Eh bien j'y suis de retour. Je l'ai louée du nouveau propriétaire pour un mois, en attendant de déménager encore. Essoufflant, dites-vous ? Il n'est pas indispensable de me suivre, ce n'est pas de déménagement que je vous parle ici, c'est d'amour.

En deux ans, je n'étais pas retourné une fois dans la maison de Saint-Armand. Mais voilà qu'on allait se retrouver à la rue pour un mois et ma fiancée est arrivée avec cette proposition saugrenue : " Pourquoi pas la maison de Saint-Armand ? Elle est à louer pour l'été. " T'es folle, j'ai dit, le coeur me serre juste de passer devant.

J'y suis entré lundi, vers la fin de la soirée, comme chez moi. Je me disais qu'il y aurait d'autres meubles, disposés autrement, qu'on aurait repeint, changé plein de choses ; je me disais ce sera ma maison, mais ce ne sera plus chez moi.

Eh bien si. C'est complètement chez moi. Comme si je n'étais jamais parti. Comme si je n'avais jamais cessé, dans ma tête, d'habiter cet espace-là, et que tout d'un coup, pour la première fois en deux ans, la réalité concordait.

J'en suis d'autant plus confondu que j'ai toujours été déçu par les retours, les retrouvailles, par tous ces trucs qui marchent à la nostalgie. J'ai déjà fait un détour de 1300 kilomètres en Italie pour retrouver la ruelle où je jouais, la place du petit village, le café où j'allais dire à mon père que le souper était prêt. Je me suis retrouvé là, 50 ans après, dans la même ruelle, assis à la terrasse du même café, je reconnaissais tout et ne ressentais absolument rien, planté dans mon souvenir comme une cuillère dans un pot de confiture... Une autre fois, je suis allé saluer un vieil instituteur qui m'a marqué. Au bout d'une demi-heure, j'avais hâte de partir, je n'avais absolument rien à lui dire... Mes ex-blondes, tiens. Des fois, pendant qu'on cause, j'essaie silencieusement de me rappeler comment était le quotidien avec elles, comment c'était le matin ? Qui faisait le café ? Avaient-elles des gougounes aux pieds ? Leur mère appelait-elle souvent ? Et les seins ? Gros, petits, moyens ? Rien ne me revient. Des fois, je leur demande : " Tes seins, comment ils sont déjà ? " Ça les surprend : " Pourquoi tu veux savoir ça ? " Parce que... j'ai des grands trous de mémoire par où, chaque fois, recommence ma vie.

Il n'y a jamais rien eu dans ma vie comme la maison de Saint-Armand. Je me demande pourquoi une maison. Pourquoi pas un paysage, un poème, une femme, un animal. Pourquoi cette maison-là. Pourquoi je la sens comme un chat par les coussinets des pattes qui enregistrent toutes les vibrations du sol. Pourquoi les détails les plus insignifiants me bouleversent. Un clou " d'avant ", dans la remise, où j'accrochais ma sacoche de vélo. Le plancher qui craque à la même place. La truffe fraîche de Lassie, la chienne de la voisine, dans le creux de ma main. Une certaine façon de m'asseoir sur les marches de la galerie, d'où je peux voir les coeurs-saignants blancs sous le lilas.

- Fiancée, ça te choque quand je dis qu'il n'y a jamais rien eu dans ma vie comme cette maison ?

- Non.

- Sais-tu que je ne parlais jamais du bonheur dans mes chroniques, avant d'habiter cette maison ? J'ai continué d'en parler après, c'est vrai, mais seulement comme l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours parle de l'ours. Trouves-tu ridicules ces détails, ce clou, cette craque dans le plancher qui me bouleversent ?

- Non.

- T'es fine, fiancée. Si je te perdais de vue pendant deux ans, ce serait aussi " tes " détails qui me manqueraient le plus. Tiens, comme le petit pli que tu as là, juste au coin de la bouche.

COCORICO ! -

Si l'on en juge par la grosseur des titres et des photos, le nombre de pages consacrées à la chose avant et après, la grandiloquence du propos et la profusion de l'hyperbole, la course " d'un million de dollars " entre Michael Johnson et Donovan Bailey était considérée au Canada, à Toronto en particulier où elle avait lieu, comme un événement planétaire, l'univers ne se pouvait plus de savoir qui de Bailey ou de Johnson serait le plus rapide.

L'univers ? Voyons ce qu'il en pense : " Du cirque sans intérêt ", Phil Hersh, chroniqueur d'athlétisme au Chicago Tribune. " Une mascarade ", Frank Litsky, New York Times. " Douteux, gênant ", les chroniqueurs de L'Équipe. " Il est honteux que la Fédération internationale redonne son aval à ce genre de disgrâce ", la presse allemande. Ajoutons que, depuis, la Fédération internationale a juré qu'on ne l'y reprendrait plus.

Ce n'est pas d'athlétisme que je vous parle ici. C'est de nationalisme. De M. Chrétien qui s'est empressé de féliciter Bailey qui venait pourtant de se conduire odieusement ( il a d'ailleurs dû présenter des excuses publiques ). Du Sun de Toronto qui titrait à la une le lendemain : " Bailey pour premier ministre ! "

À se vanter sans cesse d'être le peuple le plus heureux de la Terre, et maintenant le plus rapide, à organiser les plus grands évènements du siècle, sans que le siècle s'en doute, à exhiber ses athlètes comme des trésors nationaux, le Canada est en train de devenir le pays le plus ridiculement nationaliste de la planète. Cette chauvine exaltation que d'aucuns redoutent, peut-être avec raison, d'un Québec indépendant, on est en train de la vivre maintenant à l'échelle canadienne sans que personne ne s'en offusque, surtout pas les d'aucuns dont je parlais tantôt, qui ont été les premiers à crucifier Parizeau. Le sentiment anti-américain bêtement exploité pour la promotion de cet événement " planétaire ", et complaisamment entretenu par la presse nationale, s'abreuve pourtant à un nationalisme tout aussi connement cocorico.

( Un dernier mot pour féliciter, sans égard à leur race et religion, les tôtons de toutes les provinces qui ont dit que Johnson avait fait semblant d'être blessé. Je suppose qu'il fera exprès aussi de ne pas participer aux championnats des États-Unis ( qui commencent mercredi ), ce qui le privera du championnat du monde et de quelques millions en contrats ).

RE-REPLOGUE -

Nathalie vous a dit ? C'est dimanche le festival country de Stanbridge East. Pas samedi. Elle est fine, hein, Nathalie. Un peu nounoune, mais fine. Regarde, Nathalie, ce qu'on a fait là, ça s'appelle une plogue à tiroirs. 1- Je me trompe. 2- Tu corriges. 3- Je te remercie. Trouve-moi, dans tout l'été, un festival qui sera mieux annoncé que le festival country de Stanbridge East...

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