Le jeudi 12 juin 1997


Le courrier du genou
Pierre Foglia, La Presse

L'autre soir, ma nièce et moi prenions des photos du joli kiosque, des bancs, du pont et de l'étang du parc Saint-Viateur, à Outremont. Soudain, un gardien vint nous avertir qu'il était défendu de photographier dans les parcs d'Outremont sans permis. Renseignement pris, ce permis coûte, pour les non-résidants, la modique somme de 200 $ plus taxes !

Devrais-je bientôt demander un permis pour circuler dans les rues d'0utremont que j'emprunte chaque jour pour me rendre à mon travail ?

( Mme Larivière )

Vous êtes tombée sur un gardien zélé, madame. Le nouveau règlement qui interdit de faire de la photo commerciale, sans permis, dans les parcs d'Outremont, vise les photographes professionnels, surtout ceux qui font de la photo de mariage et de mode. Il s'agissait au départ, m'explique-t-on à la Ville, de régler le problème du très beau parc John-Pratt ( Lajoie et Dunlop ), envahi tous les samedis par les noces, au grand dam des riverains du parc, dérangés par les klaxons, les cris, le trafic. Une autre histoire de sainte paix qui prolonge ma chronique de mardi dernier.

Là où ce règlement " plein-de-bon-sens-au-départ ", tombe dans le folklore " outremontais ", c'est quand il distingue entre les noces d'Outremont et les autres. Gratuit pour les premières, le permis coûte 200 $ plus taxes aux secondes, comme si les noces d'Outremont faisaient moins de bruit.

Ai-je besoin d'un permis à 200 $ si un photographe de La Presse vient tirer le portrait du sujet que j'interviewe dans un parc d'Outremont ?

- Tout dépend, me répond la dame. Votre sujet est-il résidant d'Outremont ?

On voit le ridicule de la chose.

On voit comment les règlements, surtout ceux qui prétendent régir la " socialité ", deviennent souvent bêtement ergoteurs et pinailleurs. Je vous renvoie à la conclusion de ma chronique de mardi, qui suggérait que tous ces règlements, devraient se résumer en un seul : ne pas faire chier le monde. Qui suggérait surtout que ce beau programme relève plus du code non écrit du savoir-vivre, que d'une réglementation. Dans l'exemple évoqué ici, pourquoi pas une lettre-circulaire aux photographes professionnels leur demandant d'aller " nocer " sur le mont Royal, pourquoi pas des pancartes dans les parcs, bref pourquoi pas un peu d'éducation civique - j'ai envie de dire d'initiation à une certaine " sensibilité " civique ?

Je m'étonne qu'en ces temps éminemment caritatifs, où l'on est sans arrêt en train de demander aux gens de donner de leur temps et de leur argent, on ne leur demande jamais de donner un peu de leur intelligence. Est-on si certain qu'ils n'en ont aucune ?

REJEAN, LES CRAMPES, ET MOI -

J'aime bien mon confrère Réjean Tremblay. Si, si. Je déconne comme ça, des petites taquineries en passant, mais dans la vraie vie, je me porte souvent à sa défense. Quand Réjean veut bien se retremper dans sa curiosité de Bleuet de Saint-David-de-Falardeau, jamais vraiment, jamais tout à fait arrivé en ville, et que son front de boeuf fait le reste, ça donne du grand journalisme sportif.

Pourquoi ces fleurs ? Pour le pot. Réjean, bougre de nono, c'est quand la dernière fois que t'es allé à une réunion d'athlétisme ? Alors pourquoi tu dis n'importe quoi ? T'es pas foutu, à une demi-heure près, de donner le record du monde du 400, t'as pas la moindre idée de qui le détient, je t'ai déjà entendu comparer le record du monde du lancer du poids des filles et celui des hommes sans te douter que ce n'est pas le même boulet ; bref, qu'est-ce que t'en sais, que Michael Johnson ne s'est pas blessé pour vrai ? T'as appelé son physio ?

Regarde, Réjean, c'est simple. Mettons qu'on fasse du vélo ensemble. Mettons que je te dise : un million de dollars US, au premier de nous deux qui arrivera en haut de la côte là-bas. Souviens-toi que tu m'as déjà fait la gueule parce que je te devais cinq piastres. Imagine la violence de l'effort que tu fournirais pour un million. Les chances que tu pognes une crampe en plein milieu de la côte sont très grandes. À moins que tu pètes carrément au frette, comme on dit. Et qu'est-ce tu dirais si j'allais écrire sur ta tombe : " Ce con, y fékait ! " Hein, qu'est ce que tu dirais ?

Allez, bonnes vacances.

LA VIE QUI PASSE -

J'aime les petits machins de rien que me racontent les lecteurs. J'ai l'impression de lire du Annie Ernaux, cet écrivain français qu'on dit minimaliste, je ne sais pas pourquoi minimaliste, sans doute parce qu'elle n'en " met " pas. C'est drôle à dire, ces lettres-là me donnent l'impression d'être utile. Comme un babillard sur lequel on punaiserait la vie qui passe au lieu de " laveuse-sécheuse à vendre "...

De Carmen Lalonde...

Nous sortions du McDo. Ma fille et moi. Ma fille juste devant moi. Ma fille, mon bébé, mon chaton, ma rose. Mais chut, pas trop fort. Elle m'a déjà demandé de ne plus l'appeler comme ça. " Maman ! J'ai 16 ans, ça a pas rapport ! " J'ai soupiré.

Ma fille juste devant moi.

Un homme nous a croisées. La jeune trentaine. Pas laid du tout. Je me suis redressée. J'ai levé un sourcil et sans doute pointé légèrement un sein. Le gauche. J'ai pris un air détaché.

L'homme a regardé ma fille. Mon bébé.

Ma fille n'a rien vu. Rien.

J'ai rentré les épaules.

D'un livreur de pizza ( ex-journaliste au défunt Journal Saint-Louis )...

Première livraison de la journée chez une fausse blonde tellement habituée à séduire qu'elle me donne l'impression que c'est moi qui la paye et que c'est moi qui l'ai appelée.

De Christiane, mère de quatre enfants...

J'avais dit au grand : " Pas plus de 80 $ ". Mais il voulait des Nike. 100 $. Il m'a suppliée, il m'a dit qu'il paierait la taxe. Il les a eus, ses Nike. On se frayait un chemin dans la foule du samedi du Carrefour Angrignon, je tenais la main de la petite. Le grand tenait la main du petit. Le fond des culottes du grand pendouillait comme d'habitude à la hauteur de ses genoux. Le petit portait sa casquette de travers. On était heureux, ça s'dit pas.

De Nathalie..



- Maman ? - Quoi ?

- Le monsieur dans le journal, tu dis qu'il écrit n'importe quoi, est-ce qu'il pourrait écrire : " Bonjour Jérémie ? "

De Michèle...

Je ne suis pas en burn-out. Mon médecin vient de me dire qu'il ne faut plus dire burn-out. Il faut dire " trouble d'adaptation ". Bon. J'aime la vie. J'aime mon chum. J'aime mes flos. J'ai du trouble à m'adapter à quoi, au juste ?

Du Journal du dehors, d'Annie Ernaux, puisque je vous en ai parlé...

Allez, rentre à la maison ! L'homme dit cela au chien, tête basse, rasant le sol, coupable. La phrase millénaire pour les enfants, les femmes et les chiens.