Le mardi 17 juin 1997


Le bonheur ne fait pas vroum vroum
Pierre Foglia, La Presse

J'ai éclaté de rire.

Écoute, ces centaines de reportages, de chroniques, d'analyses, de portraits de Villeneuve, cette montagne de mots et de photos qui accouche d'un petit flop, ce peuple bandé depuis une semaine qui débande soudain quand son idole fait une éjection précoce... le ratage était si inattendu que j'ai éclaté de rire. Je ne suis pas seul à avoir ri. Je le dis pour corriger l'impression de deuil national que laissent les journaux d'hier. Tout le Québec n'était pas dans l'île Notre-Dame dimanche, ni devant la télé, il y avait des tas de gens dans leur jardin, sur leur galerie, à la terrasse des cafés, ou qui promenaient leur chien, ou en vélo, ou qui se lançaient la balle avec leur fils. Il y a des milliers de gens que la sortie de piste de Jacques Villeneuve n'a absolument pas traumatisés. Qui sont partis à rire aussi.

Mais je vous l'accorde, ce n'est pas drôle. Il y a quelque chose de triste dans cette province qui attend une victoire qui ne vient pas et ne peut même pas s'en consoler avec sa presque honteuse équipe de hockey, avec sa maître-chanteuse équipe de baseball qui menace toujours de s'en aller, avec ses héros comme Mario Tremblay qui dérapent après s'être tant pavanés ou qui sortent de piste comme Jacques Villeneuve.

Il y a quelque chose de triste dans cette ville unique au monde par son art de vivre, mais qui ne le sait pas et qui attend un miracle, une victoire, un prince, Madeleine, des bonbons, je ne sais quoi.

Il y a quelque chose de triste dans cette ville qui ne sait pas que le bonheur est sur son balcon et que le bonheur ne fait jamais vroum vroum.

VOUS DEVRIEZ LIRE SOIE, C'EST UN JOLI PETIT LIVRÉ À LA MODE -

Et la mode n'est pas forcément bête. Ce n'est pas parce que tout le monde lit, ou a lu Soie, du jeune auteur italien Alessandro Baricco, que c'est forcément mauvais.

Soie est la jolie histoire - mais on dirait plutôt un conte, avec la musique, les incantations et l'enchantement des contes - Soie est un joli conte qui raconte la vie, au siècle dernier, d'un représentant de commerce un peu particulier, puisqu'il fait le commerce des vers à soie. Il va les chercher en Syrie, puis au Japon, il s'appelle Hervé Joncour, on sent que l'auteur a choisi ce nom-là pour sa sonorité particulière qui reste dans l'oreille, tout le livre est comme ça, musical avant que d'être littéraire.

Ça m'énarve.

Non ce n'est pas vrai. Ça ne m'énarve pas. C'est autre chose. Supposons que mes amis et ma libraire ne m'aient pas dit vingt fois : " Tu devrais lire Soie, c'est un joli petit livre ", supposons que je l'eusse lu " vierge " sans en avoir jamais entendu parler auparavant, c'est probablement la recommandation que je vous ferais aujourd'hui dans cette chronique, je vous dirais : " Vous devriez lire Soie, c'est un joli petit livre. "

Ce qui m'énarve, mais pas vraiment parce qu'on n'y peut rien, c'est que lorsque un million de gens disent en même temps, " c'est un joli petit, livre ", cela devient un grand livre, un peu comme les ruisseaux finissent par faire un fleuve, par le seul fait d'affluer. Et c'est ainsi qu'on se retrouve devant un grand machin qui déborde de son lit, même si, au départ, chacun ne parlait que d'un ruisseau qui chante joliment entre les mots artistiquement disposés pour faire croire que ce sont des pierres.

Voilà.

Deux mots encore. Un pour dire que c'est une superbe traduction de l'italien. L'autre, sous réserve d'avoir à me rétracter quand j'aurai lu d'autres oeuvres du même auteur, c'est pour demander si par hasard, ce Baricco n'aurait pas un peu d'Alexandre Jardin dans le nez ? Si je ne cauchemarde pas, alors ce peu est trop.

( Soie, Alessandro Baricco, Albin Michel. )

L'ESPOIR -

" Y a-t-il de l'espoir ? " a-t-on demandé au docteur, à l'hôpital où repose Vladimir Konstantinov le joueur de hockey gravement blessé dans un accident d'automobile.

- S'il y a de l'espoir ? Absolument ! a répondu le docteur. Nous continuons de prier pour lui.

Une bonne idée pour le ministre Rochon : plus économique que le virage ambulatoire, le virage biblique...

SIGNE DES TEMPS -

Étions-nous 12, 28 ou 764 à écouter les intellectuels que recevait Réginald Martel à CBF, le dimanche midi ? Est-ce parce que nous n'étions pas assez nombreux que cette émission a été supprimée ?

Signe des temps, ça s'appelait. On ne pouvait nommer plus cyniquement ce brassage d'idées programmé à l'heure la plus désertée de la semaine. Ce signe des temps, était-ce la sourdine que l'on mettait aux idées ? Ce n'était pas assez une sourdine, on vient d'imposer un silence complet.

Des philosophes, des sociologues, des historiens, venaient parler de leurs bouquins, et non, ce n'était pas prétentieux, ni boursouflé, ni abscons, ni chinois. Propos éclairants, souvent passionnés, et forcément originaux par le seul fait, extravagant il faut le dire, de défendre des idées à une époque où l'on ne défend plus que des intérêts.

AH ! LES BRAVES GENS -

Dans deux ou trois ans, quand il aura épuisé tous les appels, quand on lui aura refusé tous les recours en grâce, Timothy McVeigh sera exécuté. L'attentat d'Oklahoma City fera ainsi une 169e victime, celle-là immolée pour venger les 168 autres.

Il y a vingt ans je vous aurais pondu un réquisitoire contre la peine de mort à tirer des larmes d'un bourreau. Je suis toujours aussi fermement contre la peine de mort, qu'il s'agisse d'un tueur d'enfants ou de flics, de Timothy McVeigh, de O.J. de n'importe qui. Je suis toujours contre la peine de mort, mais disons que j'ai moins le goût de tirer les larmes de bourreaux, en jouant du tambour à l'aube. Pour ce que ça sert..

La peine de mort est revenue en force aux États-Unis, ici une majorité de citoyens souhaitent qu'on la rétablisse avec les mêmes arguments red neck qu'avant, c'est du moins ce que je croyais jusqu'à ce que je tombe sur la ligne ouverte de CJAD vendredi dernier. Pensez-vous qu'on devrait condamner McVeigh à mort ? était la question. ( Le jury n'avait pas encore rendu son verdict à cette heure-là. ) Les trois premiers auditeurs à appeler ont dit non. Pas la mort. Ce n'est pas assez souffrant. Il faut le torturer quelques années avant de le tuer.

Je vous jure. Les torturer avant. C'est ce qu'ils ont dit.

Je vais me mettre à CJAD. Je suis curieux d'entendre ce que les mêmes ont à dire, les jours de référendum.