Le mardi 19 août 1997


Calmons-nous le pompon !
Pierre Foglia, La Presse

C'est devenu dangereux d'enseigner. Même le basketball. Je lisais dans mon propre journal l'autre jour ce titre sur huit colonnes : " Il offrait de la bière à ses joueuses de 14 ans " et en sous-titre : " L'entraîneur a déjà été écarté pour chantage émotif, dénigrement et menaces de violences ".

Si ça n'avait pas été du sport, si ça n'avait pas été du basketball je n'aurais pas accroché. Mais j'ai tout de suite figuré la gang de filles, après la game, au resto, la petite comique qui lance : " Hey coach, on a gagné, tu payes tu la bière ? ". J'ai tout de suite vu quelque chose qui clochait dans notre titre...

Ça sentait le règlement de comptes, la chicane de bénévoles.

Précisons qu'il s'agit de basketball féminin d'élite. Qu'on est dans la région de Lanaudière. Précisons, après vérification, qu'on s'est effectivement fait embarquer dans cette histoire par un petit mongol dont je parlerai plus loin. Précisons enfin que personne ne m'a chargé de " redresser ", ni réparer quoi que ce soit. L'histoire m'intéresse par les valeurs qu'elle charrie. Et c'est bien de charriage qu'il s'agit.

D'abord le chantage émotif. On lit dans l'article que l'entraîneur aurait qualifié ses joueuses de " grosses, trop lentes ou pas assez intelligentes "...

T'es coach d'une équipe d'élite de basketball. Une des filles se présente au camp d'entraînement avec 15 livres de trop. Tu lui dis surveille ton poids. Tu lui dis slack un peu sur le dessert. Tu lui dis n'importe quoi, le plus délicatement du monde, à partir du moment où tu la coupes, elle rentre à la maison en braillant " Le coach a dit que j'étais trop grosse. Trop lente. Que je ne comprenais pas le jeu ".

Et les parents capotent.

Un, parce qu'ils ne font pas la différence entre le droit légitime de leur fille de jouer au basketball, et la porte très étroite pour entrer dans une équipe d'élite. Deux, parce que leur grande fille, la prunelle de leurs yeux, ça s'peut pas qu'elle ne soit pas super bonne dans quelque chose. Elle est super bonne dans TOUTE, est-ce assez clair ! Dans toute. Grosse ? Lente ? J'appelle la DPJ, la police, La Presse.

Trois enfin, ils ont des droits les parents. Ils paient pour ces loisirs-là. C'est LEUR équipe d'élite. Leurs taxes... Une autre illustration de la dictature de l'usager qui règne sur le monde de l'éducation incluant l'enseignement du sport. L'usager exige ce qu'il y a de mieux et conclut, je ne sais trop par quelle perversion de la logique, que l'égalité des chances ( que lui garantit la société ) doit nécessairement déboucher sur l'égalité des résultats...

À l'époque où j'allais à l'école, l'instituteur nous transmettait son savoir le mieux possible et c'était fini. Quand il avait tout donné, au bout de son art de pédagogue, au bout de sa passion de montrer les choses, il y avait encore des élèves moins bons que d'autres, des premiers et des derniers. À l'époque où j'allais à l'école, l'inégalité des aptitudes était un état de fait, accepté par tout le monde.

Aujourd'hui on s'est mis dans la tête, je ne sais trop comment, qu'il n'y avait pas de mauvais élèves, il n'y a que des mauvaises méthodes, et des mauvais profs. Je ne sais par quelle simplification de la pensée on est arrivé à cette équation magique : " égalité des chances donc égalité des résultats ". De mauvais résultats ? C'est la faute de la méthode. Ou la faute du coach qui n'a pas donné " sa chance " à l'élève, à la joueuse. Il n'a pas su établir " un bon dialogue ". Il a privilégié " une pédagogie de l'échec "...

Dans le milieu aisé où l'on recrute les joueuses de basketball -contrairement aux gars qui viennent des milieux très pauvres - il est hors de question que l'enfant roi soit obèse, lent ou inintelligent. Que les entraîneurs se le tiennent pour dit.

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Reste que cet entraîneur a offert, après un match, de la bière à ses joueuses de 15 ans ( et non 14. Un an, la différence est d'importance à cet âge-là ). Les parents d'une joueuse - les parents d'une joueuse sur 12, et il faudrait vérifier à l'instigation de qui - ont porté plainte. Saisie de l'affaire, la Fédération de basketball du Québec n'avait d'autre choix que d'écarter l'entraîneur en question des Jeux du Québec. Mais je tiens de bonne source que la décision a été prise à regret par la Fédération. Parce qu'il s'agissait d'une tempête dans un verre de bière, parce qu'il s'agissait d'un excellent entraîneur, et parce qu'une majorité de parents des autres joueuses, tout en déplorant le manque de jugement de l'entraîneur, insistaient pour qu'on le maintienne en poste...

Je recevais l'autre jour une vingtaine de jeunes cyclistes avec leur prof accompagnateur, des ados de 15-16 ans. Je les ai reçus au jus de pomme. En joke un jeune a lancé : " Y'a pas de bière icitte ? ". Je suis allé en chercher. Personne n'a fait de folie. Le prof, un peu frileux, m'a quand même expliqué : " Suffirait qu'un parent proteste à l'école, tu peux pas imaginer les emmerdements... "

Bref, le coach a fait comme moi. Il leur a payé la bière. Ce n'est pas une bonne idée. Ce n'en est pas une mauvaise non plus. C'est pas une ligne de coke. C'est même pas une cigarette. C'est rien. On ne les a pas paquetés. Ils n'ont pas bu toute la nuit. Une bière. Pas douze. Virons pas su l'top. Calmons-nous le pompon.

Où est-ce parce que c'était des filles ? " Il offrait de la bière à ses joueurs de 14 ans ", n'a pas le même sens, sur huit colonnes qu'" à ses joueuses de 14 ans ". On pense tout suite aux histoires de cul qui courent partout. Mais y'en a pas de cul. Y'a rien.

Derrière tout ça il n'y a qu'une chicane de bénévoles. Deux coachs qui se haïssent. Celui qu'on a épinglé sur huit colonnes, un gars plutôt correct et, de l'avis des gens du milieu que j'ai joints, un super bon entraîneur.

Et l'autre bénévole. Celui qui nous a raconté l'histoire. Le grenouilleux. Un petit homme de pouvoir. Un entraîneur brouillon. Trois des filles de son organisation ont fait l'équipe de Lanaudière pour les Jeux du Québec. Il n'a pas pris qu'il n'y en ait pas plus. Il a sauté sur l'histoire de la bière.

C'est contre lui que le premier entraîneur a proféré les menaces de violences évoquées dans notre titre. Il n'aurait pas dû le menacer. À mon avis il aurait dû lui en crisser une.