Le jeudi 21 août 1997


Jésus-Christ de Laval
Pierre Foglia, La Presse

Il y a des jours de fous. Hier était un de ces jours où les fous attaquent à l'aube dans ma boîte vocale. La journée a débuté avec un paranoïaque. Un vrai. Pas une joke. On n'imagine pas le nombre de paranos dans cette ville. Je les attire, je ne sais pas pourquoi. Ils sont faciles à reconnaître. Ils racontent tous la même chose. On les surveille. On a mis leur téléphone sur écoute. On fouille leur appartement en leur absence. Je leur dis de consulter un psy. C'est souvent là que ça leur fait le plus mal : ils en consultent déjà un, mais justement : " Vous ne le croirez pas, monsieur Foglia, mon psy fait partie du complot. C'est lui le pire. C'est lui qui dit que je suis fou. C'est pour ça que je m'adresse à vous... "

Avant, ça me faisait rire. Maintenant, la paranoïa me fait plus peur que la maladie d'Alzheimer. Me semble que j'aimerais mieux me rappeler de rien que de capoter sur tout...

L'autre jour, j'ai reçu une lettre d'une petite vieille d'un foyer de vieux, elle me dit : " La femme qui fait le ménage vole mes bonbons. " Je crois que j vais en faire une de mes dernières volontés, je vais tirer là, la frontière de la sénilité : " Chers enfants, quand vous m'entendrez dire que la femme de ménage vole mes bonbons, déploguez-moi s'il vous plaît, merci. "

D'autres fois, d'autres folies. Ce ne sont peut-être pas des lettres de fous, mais ce sont des lettres complètement folles. Comme celle-ci de Monique Larocque qui m'avertit qu'elle a reçu une carte postale de Java signée René S. Elle m'adresse une photocopie de la carte postale avec ce petit mot : " Quelle agréable surprise, n'est-ce pas, ces bonnes nouvelles de René ! " Sans doute. Sauf que je n'ai aucune d'idée de qui est René. Et de qui est Monique Larocque.

Et la carte postale m'en apprend encore moins : " Je passe de belles vacances en Indonésie. Il fait chaud. Les gens sont sympas et accueillants. La nourriture est correcte et la bière excellente. "

Comme j'ai hâte d'y aller.

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Le chiffre ésotérique de Jésus est 74. La lettre J est la dixième de l'alphabet. E, la 5e. S, la 19e. U, la 21e. S, on vient de le dire, la 19e. On additionne et on obtient 74. Got it ?

Cent cinquante et un est le chiffre pour Jésus-Christ. Mais c'est aussi le chiffre pour " quintessence ". Et pour " révolution ". Et ce n'est pas par hasard. Non monsieur.

Jean-Pierre Darveau, qui m'explique tout ça dans ma boîte vocale, porte un gros 151 sur son T-shirt. " Mais le croirez-vous, M. Foglia, personne ne me demande jamais ce que ça veut dire. Vous êtes le premier "...

Son message m'avait laissé songeur : " Bonjour, je m'appelle Jean-Pierre Darveau, je suis Jésus-Christ. Je sais que vous n'en avez rien à foutre et je ne veux pas vous déranger, continuez votre bon travail. Mais sachez que je suis là. "

Je l'ai rappelé : " J'ai souvent rencontré le Christ, vous êtes le premier qui ne veut pas me déranger. Je vous félicite. Dites-moi, je ne voudrais pas avoir l'air soupçonneux, mais Jean-Pierre Darveau ça ne fait pas 151, ça fait 173...

- Vous avez raison. Sauf qu'on est Christ par sa mère et ma mère s'appelait Marcelle Authier, 151, vérifiez.

À ce point-ci, je sens la nécessité de confirmer à mon lecteur que je rapporte ici une vraie conversation, avec un type qui s'appelle réellement Jean-Pierre Darveau, qui habite rue Guilbault, à Laval. Ce qui n'est pas non plus un hasard, comme il nous l'explique :

- Ce Guilbault qui a donné son nom à la rue où j'habite s'appelait Léon. Vérifiez. Léon Guilbault, 151 ! Voulez-vous d'autres preuves ?

Il y a tant de 151 dans la vie de Jean-Pierre Darveau qu'il a fini par se prendre pour Jésus-Christ, plus exactement, précise-t-il : " Je suis le centre de la structure symbolique de l'univers. C'est un peu difficile à expliquer, disons que je suis en synchronicité avec la réalité dont j'ai une connaissance circulaire et globale. J'ai aussi des pouvoirs télépathiques.

- Donnez-moi un exemple...

- Un exemple ? Bon. Très simple. Je regarde la télévision. Je m'immisce dans la tête de Bernard Derome et je le fais cligner des yeux quand je veux

- Et vous voulez souvent ?

- Non. Juste pour le taquiner, des fois.

- Alors quand Bernard Derome cligne des yeux, c'est vous ?

- C'est moi.

Je commençais à le trouver drôle, quand il s'est mis soudain à engueuler son fils. " Jasmin, sors du salon. Je suis au téléphone avec M. Foglia. Jasmin, décolle du salon, tu m'entends ! "... Il m'a semblé que Jésus-Christ trépignait quelque peu. " Excusez-moi, a-t-il dit en reprenant le téléphone. J'ai trois adolescents qui tournent autour de moi comme des mouches autour d'une lumière. " C'est exactement ce qu'il a dit : " Des mouches autour d'une lumière. "

" Celui que je viens de chasser du salon, a-t-il poursuivi, c'est Jasmin 66.

- Pardon ?

- Soixante-six. Jasmin. J, dix. A, un. S, 19. M 13. etc... 66 au total. Il est tout renfermé. Il est dans son ventre. Forcément, 66.

- Je ne vous suis pas...

- Vous voyez un 6 ? Le ventre d'un 6 ? Jasmin, 66. Mon fils est enfermé dans le ventre de ses 6. Vous, Pierre Foglia, 121. Comme la relativité, 121 aussi. La relativité. Qu'en pensez-vous ?

- Je pense que vous êtes complètement fou.

- Fou, 32. Mais sage aussi c'est 32. Ah, ah !

Je l'ai rappelé plus tard. Ça m'avait assez intrigué pour que je vérifie, et il s'était trompé.

- Fou, c'est 42 !

- Tout le monde peut se tromper, il m'a dit.

- Fuck !

- Quarante et un, fuck.

- Comme lapin, j'ai dit.

J'ai senti que je commençais à l'amuser. Ce n'est pas la première fois que je l'observe, se moquer des fous n'est pas bien utile, mais les rejoindre un instant dans leur folie les distrait de leur plus grande douleur : la solitude.

PETITE PRÉCISION -

Ayant titré ma première chronique post Tour de France " Retour ", plein de gens bien intentionnés me souhaitent " bon retour de vacances ", ce qui pourrait laisser entendre, à mes boss par exemple, que je reviens effectivement de vacances. Hon, hon. Mes vacances, je les prendrai à l'automne. J'attends, pour partir, que vous soyez tous rentrés. Lalalère.

AUTRE PRÉCISION -

Dans cette même chronique de retour, je parlais d'un livre pour enfants et vous êtes deux millions et demi à m'en demander le titre que voici, il s'agit de L'Ogre, le Loup, la Petite Fille et le Gâteau, de Philippe Corantin, c'est édité par l'École des Loisirs, probablement le meilleur éditeur de livres pour enfants au monde. Je vous embrasse. Bye.