Le jeudi 4 septembre 1997


Ce voyeurisme-là, exactement
Pierre Foglia, La Presse

J'ai un ami qui passe assez souvent à la télé pour que les gens le reconnaissent dans la rue et lui demandent des autographes. Ça ne le dérange pas trop, " parce que, dit-il, finalement c'est plutôt amusant de signer des autographes ".

Mon ami a une maison près d'Oka, en pleine campagne. L'autre jour, il lève les yeux de son journal. Il y avait deux madames qui le regardaient par la fenêtre de sa cuisine, elles s'étaient glissées par le jardin ; une disait à l'autre : " C'est lui, je te dis que c'est lui. " Des femmes dans la cinquantaine des gamines qui viennent de voler des pommes. Elles avaient laissé leur auto un peu plus loin, sur le chemin. Je vous rappelle qu'on est à Oka, pas à Buckingham Palace. Le dépanneur du village se fait demander deux ou trois fois par semaine où est la maison de mon ami ; pendant ses récentes vacances, quelqu'un s'est même arrêté pour demander au gardien la permission de prendre des photos " de son salon ".

Comme le précise encore mon ami : " Ça ne me dérange pas, ou si peu. Je ne me sens pas envahi, ni épié, ni rien. Je suis seulement gêné quand ça arrive, mais pas gêné pour moi. Gêné pour eux. J'ai un peu honte, pour eux. Te souviens-tu quand on était petits et qu'on avait honte de nos parents devant les copains parce qu'ils étaient un peu débiles ? Cette gêne-là exactement. "

Ce voyeurisme-là exactement.

Que je ne juge pas. Je vous dis seulement qu'il est extrêmement commun, et infiniment répandu, même à Oka, même à l'endroit d'un nobody comme mon ami, qui n'est ni un acteur, ni un chanteur, ni une princesse-belle-et-généreuse

Ce voyeurisme-là, exactement, qui fait marcher à croupetons deux mémés respectables dans le jardin d'un rien-du-tout à Oka. Qui fait arrêter le touriste dans son driveway : " Est-ce qu'on peut prendre une photo de son salon ? " C'est peut-être bien vous qui me lisez en ce moment. C'est peut-être, votre tante. Votre voisin. En tout cas, c'est quelqu'un que vous connaissez. Et je voulais vous dire ceci : vous n'avez pas un mot à dire contre les paparazzi qui ne font pas autre chose dans la vie que marcher à croupetons dans les jardins pour aller voir ce que les crisses de vedettes foutent sur leurs putains de toasts le matin.

Est-ce que Bernard Derome est un paparazzi ?

Non ? Alors que fait-il à Londres ? Remarquez que si j'étais boss des nouvelles à Radio-Canada, j'eusse aussi envoyé Derome à Londres, mais ça n'enlève rien à la pertinence de ma question - qu'est-ce que Derome va nous apprendre de plus sur la princesse qu'on ne sache déjà ? Qu'on n'ait déjà entendu cent fois ? Que va-t-il faire d'autre qu'alimenter notre voyeurisme ? Que nous répéter qu'elle était belle, qu'elle était bonne, qu'elle a changé la royauté et qu'elle était contre les mines antipersonnel. Mais surtout qu'elle était belle. C'est la clé de tout.

Y avez-vous pensé : si elle avait eu un grand nez ou un gros cul, on n'aurait jamais su qu'elle était contre les mines antipersonnel parce qu'elle n'aurait jamais épousé prince.

Et y'aurait pas d'histoire. Finalement, la seule histoire qui vous intéresse, celle que vous voulez entendre, et entendre encore, et encore, et encore, c'est celle-ci : il était une fois, en Angleterre, une bergère qui avait épousé un prince...

- Elle était belle ?
- Très belle.
- Ils s'aimaient ?
- Moyennement.
- Ils ont eu beaucoup d'enfants ?
- Deux, comme tout le monde.
- Le prince, il était bronzé et il avait une chaîne en or dans les poils de sa poitrine ?
- Non, ça c'est Alain Delon. C'était dans Paris-Match aussi, mais dans un autre numéro. Le prince dont je parle ici, le prince de la bergère, avait plutôt une sale mine, une mine presque antipersonnel, tu me vois venir ?
- Non. Recommence au tout début...
- Il était une fois, en Angleterre, une bergère qui avait épousé un prince...
- Elle était belle ?
- Très belle.

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LA POUNE EN VÉLO -

Eh, qu'elles sont malchanceuses, les filles du Grand Prix cycliste international qui se court à partir d'aujourd'hui dans ma région ! D'abord ce sont des filles. Pour faire du vélo, c'est pas une fameuse idée - je veux dire si tu veux qu'on en parle dans le journal. En plus, elles débarquent ici en même temps que Tiger Woods ; très mauvais timing. Et Jacques Villeneuve à Monza, et les Expos, et le football... Quand j'ai appelé les copains aux sports, pour qu'ils envoient quelqu'un, sont partis à rire :

- Riez pas les boys, y'a des Russes, des Tchèques, Sue Palmer, Lyne Bessette, Annie Gariépy, La Poune

- La Poune ?

- C'était pour voir si vous m'écoutiez.

Elles passent dans ma cour, littéralement. Aujourd'hui, Bedford, Saint-Armand, Frelighsburg, Dunham. Les plus beaux paysages du Québec. Je vous jure. Demain, Sutton et Knowlton, Mansonville, la course se jouera dans la montée vers le centre de ski de Sutton. Samedi, Farnham. Dimanche, Cowansville. Elles ne sont pas 50, Linda Jackson, qui a fini troisième du Tour de France, s'est désistée à la dernière seconde ; Lysanne Bussières, l'enfant du pays, est retournée travailler... Bref, Jean Lessard qui est derrière tout ça ( le même qu'au Grand Prix de Beauce ) a un peu l'air, le pôvre, d'un vendeur de frisbees à une assemblée du Front islamique du salut.

Mettons que le cyclisme féminin ne vous branche pas vraiment. Vous aimez les érables avec du rouge dedans ? Venez faire un tour. Y'aura pas de paparazzi. Promis. Sont tous à Tiger Woods.

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C'EST DE VOTRE FAUTE -

Merci à ceux qui m'ont envoyé les paroles de Pieces of You, de Jewel, et de Relish, de Joan Osborne. Je me suis fait engueuler au bureau parce que vous avez engorgé le fax de l'édito. Je me suis fait dire aussi, j'ai moins aimé ça, que je putassais un peu avec mes chroniques interactives. Je suis devenu tout rouge comme si j'étais, coupable alors que je suis juste trop innocent pour ne pas avoir pensé qu'on trouvait tout sur Internet. Même l'amour. Je vous embrasse pas, mes boss veulent pas.