Le jeudi 11 septembre 1997


Vous apporterez votre vin
Pierre Foglia, La Presse

Vous savez " la route des vins " entre Stanbridge et Dunham ? Eh bien, ce n'est plus une route. C'est toute une région. Une vraie folie. Il ne se passe pas un mois sans que je découvre un nouveau vignoble dans un rang où il y avait jusque-là une prairie, un verger, ou du maïs. En venant de Montréal, les vignobles commencent à Iberville ou presque et s'étendent jusqu'à Cowansville, Frelighsburg, Saint-Armand... Même mon député, M. Paradis, s'est improvisé gentleman viticulteur. La vigne cerne maintenant sa magnifique propriété de Saint-Armand ( je parle ici de Denis Paradis qui est mon député fédéral, qu'il ne faut pas confondre avec Pierre, son frère, qui est mon député provincial, celui-là bien trop con pour faire pousser ne serait-ce que des patates ).

Qu'est-ce qu'on disait ? Ah oui, les vignobles. Ils s'insèrent dans le paysage de ma région comme autant de voluptueux petits mensonges pour nous faire accroire qu'ici, il fait moins froid qu'à Drummondville ou à Laval. C'est peut-être vrai après tout.

Et dire que les fonctionnaires de la SAQ prétendaient vers la fin des années 70 que JAMAIS on ne pourrait cultiver la vigne ici. Le démenti est spectaculaire encore qu'il ne s'agisse pour l'instant que d'une petite production très éparpillée ( d'où l'impression qu'il y en a partout ), mais d'une superficie totale de seulement 120 hectares, l'équivalent, me dit-on, d'un seul vignoble moyen en Roussillon.

Nos minuscules exploitations donnent un vin très correct ( dans le meilleur des cas ), mais un peu cher, en regard de vins de qualité comparable, comme par exemple les vins chiliens, tout de même supérieurs. Je vous répète là ce que disent les experts, n'ayant moi-même aucun goût pour le vin.

Un vin, très correct dans les meilleurs des cas, disais-je. Mais dans les autres cas ? Les viticulteurs de mon coin ne sont pas tous aussi professionnels que ceux de l'Orpailleur par exemple. Beaucoup ont appris le métier dans leur cave avec du moût acheté en Californie. Beaucoup ont appris dans " les livres ". Et avant qu'ils apprennent assez de leurs erreurs pour produire un vin seulement " acceptable ", ils gâcheront quelques vendanges. Tiendront-ils ? Quand j'en vois qui ne craignent pas de s'annoncer comme viticulteurs et... professeurs de danse japonaise ( ce n'est pas une blague ), je me dis c'est bien amusant, mais y a-t-il vraiment un marché pour un vin qui goûte le saké pétillant ?

En fait, nombre de nouveaux viticulteurs visent moins à produire du vin et en vivre qu'à créer " un environnement " où ils pourront attirer les autobus de l'âge d'or dans " des forfaits champêtres tout compris ". Leur vignoble est si clairement un prétexte à vendre un quart de poulet, des frites et un tire-bouchon en inox ( ou du tofu et du taï chi ) qu'il ne serait pas étonnant qu'on vous invite bientôt, comme à la porte des restaurants grecs, à " apporter votre vin ".

BÉBÉ CHINOIS PERDU PERDU -

La bonne nouvelle est arrivée de Chine quand on ne l'attendait plus : le bébé est prêt. Venez le chercher.

Dix couples du Québec ont aussitôt pris l'avion pour Hefei, une grande ville industrielle chinoise, une heure à l'est de Shanghai.

Six mois de retard. Ce devait être en février. Au lieu de dix mois, l'enfant en aurait 16. Le bébé ne serait plus tout fait un bébé. Il allait marcher, parler. Six mois de plus à être complètement chinois dans sa petite âme de Chinois. Six mois de plus pour s'attacher à sa nounou de l'orphelinat ou du foyer d'accueil.

Les parents adoptifs sont arrivés à Hefei le dimanche après-midi après des escales à Tokyo et Shanghai.

Lundi matin, 10 h. Tadam ! La remise des enfants se fait dans la grande salle de l'hôtel. D'un côté, les enfants avec les nounous. De l'autre, les parents. Sept couples de Hollandais se sont ajoutés aux Québécois. Au milieu de la salle, une grande table où siègent des officiels chinois.

" Mme Simard !... " Mme Simard se précipite. " Signez ici ! " Mme Simard signe en tremblant. Une nounou s'avance poussant devant elle une petit fille de 16 mois. " Votre fille ! " Mme Simard se penche pour la prendre dans ses bras. L'enfant recule vivement, effrayée : que me veut cette face blême avec un grand nez ? Madame Simard fait une autre tentative. L'enfant s'enfuit. Elle court rejoindre sa nounou et les deux fils de celle-ci au fond de la salle. La nounou serre la petite contre elle et part à pleurer. La petite pleure. Les fils de la nounou pleurent. Madame Simard, ravagée, pleure.

Dans la salle, d'autres parents vivent le même drame. Ça braille mur à mur. Les parents ne s'imaginaient pas que cet instant qu'ils ont si souvent imaginé, si longtemps attendu, serait si pénible. Ils s'étaient préparés à tout sauf à se sentir comme des voleurs d'enfants.

Les deux premiers jours, dans la chambre de l'hôtel, la petite de Mme Simard ne cessera de montrer la porte. Elle veut s'en aller.

Les parents adoptifs sont restés sept jours à Hefei qui est une grande ville industrielle polluée que les guides sur la Chine conseillent d'éviter. Sept jours à remplir des paperasses. Se promener ? Problématique. Une femme blanche qui se promène avec un bébé chinois dans les rues d'une grande ville chinoise où ne vont pas les touristes, c'est juste pas une bonne idée. Un jour, Mme Tremblay s'est fait engueuler par une petite vieille. Elle n'a pas compris si la petite vieille lui disait qu'elle avait trop habillé la petite, ou pas assez. Elle a seulement compris que l'autre essayait de lui refiler sa culpabilité.

Au milieu du séjour, l'hôtel a mis un autobus à la disposition des parents pour un petit tour à la campagne. Youppi. Tout le monde dans le bus. Ils sont allés jusqu'à la sortie de la ville, jusqu'au premier champ de riz. Le guide les a fait descendre : " Ceci est un champ de riz ", leur a-t-il dit. Et ils sont revenus à l'hôtel.

Au retour, escale à Pékin pour d'autres chinoiseries, canadiennes celles-là, visa, visites médicales, etc. Cinq autres interminables journées d'hôtel.

Mme Tremblay et sa petite Chinoise sont rentrés à Laval depuis trois semaines. Dans l'appartement de Mme Tremblay, il y a une chatte, Picotine. L'enfant n'a pas essayé une seule fois de la toucher. Et la chatte n'est pas venue se frotter une seule fois. Mais leurs yeux se parlent. " Qui es-tu ? " demande la chatte. " Je ne sais pas ", répond l'enfant.