Le jeudi 18 septembre 1997


Droit de réplique
Pierre Foglia, La Presse

La dernière fois que j'ai chroniqué livres, je vous ai parlé d'un journaliste français du Nouvel Observateur, Jean-Paul Dubois, que j'aime beaucoup. C'est-à-dire que j'aime ses reportages ( 1 ) et je suis hanté par deux de ses livres, l'un de nouvelles, l'autre de courtes proses ( 2 )... Mais je vous disais aussi m'ennuyer dans ses romans, " suis-je un peu con, sont-ils un peu chiants ? " me demandais-je à haute voix, associant Dubois à l'ennui distingué que distillent ( pour moi ) Hang Modiano, Kundera, Simon, McGuane.

M. Dubois m'a répondu. Je ne pensais pas publier sa réponse. Il insiste. Soit.

Cher monsieur Foglia,

Je viens de lire ce matin la chronique que vous avez bien voulu me consacrer dans La Presse d'hier et que vous concluez ainsi : " Suis-je un peu con ou sont-ils un peu chiants ? " Sans vouloir engager nullement Messieurs Handke, Kundera et Modiano auxquels vous avez eu la bonté de bien vouloir m'associer, je vous répondrai pour ma part que ne vous ayant jamais pris pour un con, vous ne me laissez pas d'autre alternative que de vous concéder que je publie des romans chiants.

Cela, je l'espère, vous apportera la paix de l'esprit et, forcément renforcera mes doutes sur mon propre travail. C'est dans l'ordre des choses de la libre critique.

Chaque fois qu'il m'en sera donné l'occasion, sachez que je continuerai à prendre du plaisir à lire vos chroniques. Et vous verrez qu'alors il s'en trouvera certains qui penseront que pour continuer à aimer ainsi celui qui vous châtie, il faut vraiment être un con.

Bien à vous,

Jean-Paul Dubois.

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C'est drôle : dans cette chronique-là je ne parlais que très accessoirement de livres. Je me souviens d'une autre occasion, un peu malheureuse, comme celle-là... Une amie, une des dix personnes que j'ai le plus aimées dans ma vie, son livre m'avait laissé indifférent et je l'avais écrit. Alors qu'on ne me demandait rien. Je n'étais tenu à aucun devoir d'information. J'aurais pu attendre la critique ( qui a déliré d'ailleurs : le livre a été en nomination pour plusieurs prix ). " Qu'est ce qui t'a pris ? " m'a-t-on reproché.

Il m'a pris qu'il faut que je dise. Plus j'estime quelqu'un, plus il faut que je dise. Cela n'a rien à voir avec l'honnêteté ou le courage, ou la méchanceté. Cela a à voir avec ma mécanique intérieure Il faut que je dise, pour qu'elle baigne dans l'huile.

Je peux ne pas dire. Mais alors ça ne fonctionne plus avec ces personnes-là.

Je ne divise pas le monde entre gens que j'aime et gens que je n'aime pas. Mais entre gens à qui je peux dire, et gens à qui je ne peux pas dire. Ces derniers infiniment plus nombreux, ne serait-ce que parce que je ne les connais pas assez pour leur parler...

Supposons, que je rencontre Jean-François Lépine dans un ascenseur à Radio-Canada. Supposons qu'il me reconnaisse et me salue amicalement. Moi, Jean-François, il me tombe sur les rognons, au Point. Mais pourquoi le lui dirais-je, là, tout de suite, dans l'ascenseur ? Alors voilà, je lui dirais-je pas et je filerais-je tout croche.

Je suis souvent tout croche. Le pire, c'est avec les relationnistes. Si on leur dit, on les tue. L'autre jour, un message dans ma boîte vocale : " Rappelez Luc Lavoie. " Je rappelle :

- Monsieur Foglia !! !! !! ! Douze points d'exclamation suivis d'un tonitruant : " Comment allez-vous aujourd'hui ? "

Qui es-tu, bougre de con ? Pourquoi " aujourd'hui " ? Pourquoi tu ne m'as pas appelé hier pour savoir comment j'allais ? Vas-tu m'appeler tous les jours pour avoir des nouvelles de mon cancer du côlon ? Qu'est-ce tu veux ? T'organises une marche pour ramasser des fonds pour le diabète ? Dis-le. Fais pas le chien savant qui veut un susucre. C'est mauvais pour le diabète, le susucre.

On est loin de Jean-Paul Dubois. Qui ne m'a jamais rien demandé. Mais un jour, on marchait rue Saint-Denis. On est allés prendre un café à La Brioche lyonnaise. Il parlait. Il se taisait. Plus il parlait, plus il se taisait, plus j'aimais bien ce type. Et plus je l'aimais bien, plus j'étais tout croche parce que j'y disais pas pour son livre.

J'y ai dit. Voilà.

COMMUNI-CONS -

C'est la période de l'année où les étudiants en communication et même toutes sortes d'autres étudiants appellent les journalistes " pour une entrevue ". Je dis toujours oui. J'ai longtemps donné un atelier de journalisme à l'UQAM ; j'envoyais aussi mes étudiants faire des entrevues avec " des personnages " et quand ils me revenaient avec un refus, je disais : " Ah, y veut pas ! Quel peigne-cul ! " Je suis de moins en moins convaincu de la pertinence pédagogique de ces entretiens, mais je ne veux pas être un peigne-cul, alors je dis oui. Sauf que je prierai les étudiants et leurs professeurs de noter que j'ai décidé DE NE PLUS RÉPONDRE aux questions suivantes :

- Vouliez-vous être journaliste quand vous étiez petit ( et toute autre question sur " quand j'étais petit " ).

- Quel âge avez-vous ?

- L'information doit-elle mener à une interaction synchronique entre les membres d'une collectivité et avoir pour finitude de libérer l'individu du pouvoir coercitif ?

- Est-ce vrai que Réjean Tremblay et Fabienne Latouche ne sont plus ensemble ?

LA VIE À LA CAMPAGNE -

Sur quatre colonnes, à la une du Journal des Rivières, mon hebdo local : " Après avoir effectué une surveillance constante des lieux tout l'été, les policiers de la sûreté municipale de Bedford ont procédé à la saisie de 15 plants de marijuana plantés derrière l'usine d'épuration "...

Whaô. Quinze plants ! Vous avez dit QUINZE ?

Vous jouez dur, les boys. Le cartel de Medellin va y penser deux fois avant de s'installer à Bedford.

LA BEAUTÉ -

Conversation entre deux jeunes femmes dans un ascenseur de l'Hôpital général, mardi après-midi...

- Hier soir, je suis allée souper au restaurant Le Globe ( 3 ) avec Dino

- C'était bon ?

- Très. Tu devrais voir les filles qui travaillent là...

- Belles ?

- Écoeuramment belles ! Tellement belles que tu te dis : pis moi ? Qu'est-ce qui arrive avec moi ? Je me sentais comme si j'avais été chiée par une mouette sur la poubelle d'un McDo de banlieue.

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( 1 ) L'Amérique m'inquiète, L'Olivier
( 2 ) Vous aurez de mes nouvelles, Laffont/ Parfois je ris tout seul,
( 3 ) Le Globe, resto chicos, Saint-Laurent près Milton.