Le samedi 8 novembre 1997


C'est fini les gâteries
Pierre Foglia, La Presse

Les Gâteries, c'était le dimanche matin. On s'y réveillait. Paquet de Gitanes ouvert sur les horaires de cinéma de La Presse, on y noyait nos gueules de bois dans des grands bols de café au lait jusqu'à l'heure d'aller... au cinéma. Tout le carré Saint-Louis défilait. Gérald Godin sans sa chanteuse qu'on ne voyait jamais. LeBigot avec sa fille, toute petite à l'époque. Claude Jutra, Gilles Carle et Carole Laure. Gaston Miron haranguait l'assemblée du comptoir, on le rabrouait gentiment : " Tais-toi Gaston, on dort. " Le Devoir avait fait un papier sur la faune des Gâteries, la fille qui prend un café sur la photo du reportage, c'était ma blonde de l'époque.

Aux tables le long du mur, des solitaires écrivaient, on a toujours beaucoup gribouillé aux Gâteries, je connais une fille - Danielle Roger - qui y a écrit deux livres de petites proses qui commencent souvent par : " Un matin dans un café " ; et par : " Une femme entre dans un café " ; ou encore : " Assise à la même table que lui dans un café du centre ville "...

C'était l'époque où la rue Saint-Denis se donnait des airs parnassiens, les putes et les junkies ne squattaient pas encore le carré, on était beau ( pas moi, je le suis devenu plus tard ), on était fin, on était jeune, on sentait bon le sable chaud, mais attendez, je me trompe de chanson je crois... Anyway.

Les Gâteries ont fermé samedi dernier. Elles sont à vendre ou à louer dans les petites annonces de La Presse.

Dix-neuf ans que ça durait.

Quand on passait sur le trottoir, devant Les Gâteries, je vous parle de la semaine dernière encore, on voyait toujours le même gars en vitrine, à la même table, celle dans l'encoignure de la fenêtre. N'importe quel jour, n'importe quelle heure, toujours le même gars. On raconte que ça fait 19 ans qu'il était là, devant le même café depuis 19 ans ( 1 ). C'est pour ça, que les Gâteries ont fermé. Le charme des Gâteries, c'était aussi le problème des Gâteries, les habitués qui y étiraient leurs après-midi devant un café à 1,75$, service inclus. Ça ne payait pas le chauffage. C'est ce qu'ont compris les cafés-franchises, café Van Houtte, Café Dépôt, Café République et les Croissant Plus : service téflon pour que le client ne colle pas.

Les piliers des Gâteries, je vous parle de la semaine dernière encore, c'était Michel Tremblay tous les matins quand il n'est pas dans son repaire floridien. C'était un autre écrivain et chroniqueur au Devoir, Robert Lalonde. C'était Françoise ma libraire qui y traitait ses affaires avec les représentants. C'était des inconnus qui écrivaient, signe des temps, certains sur leur petit ordinateur portatif.

Les Gâteries fermées, ne restent dans le quartier que quelques musées, La Paryse, Le Pèlerin, L'Anecdote ( coin Rachel et Saint-Hubert ), mais l'âme de la rue Saint-Denis est partie depuis longtemps sur Saint-Laurent et nouvellement avenue du Mont-Royal, éclatante de vitalité.

De Maisonneuve à Ontario, la rue Saint-Denis s'est complètement crétinisée. Et un peu plus haut, où étaient Les Gâteries, elle fait carrément pitié avec ses loyers trop chers, ses commerces souvent déserts. La fin d'une époque ? C'est pas grave, elle reviendra. Elles reviennent toutes. On recyclera cette époque-là, comme les autres. Mais c'est surtout la fin d'un quartier, et c'est beaucoup plus triste.

Une indigence de plus dans une ville qui en a déjà trop.

Et un autre trou dans notre paysage intérieur.

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AH LE SUPER BOWL ! -

Cette année, le Nobel de la paix n'est pas allé, comme je le craignais, à la princesse Diana. Cette année, le Nobel de la paix, et c'est un très bon choix, est allé à une dame qui habite pas très loin de chez moi, à Putney, un joli village du Vermont où je vais souvent faire du vélo.

Elle s'appelle Jody Williams.

C'est Jody Williams - pas la princesse Diana, pas Jean Chrétien - avec l'ICBL ( International Campaign to Ban Landmines ) qui sont à l'origine du traité qui bannira l'usage, la fabrication, la vente, le stockage des mines antipersonnel, ce traité que 40 pays ratifieront, en décembre, à Ottawa.

Les États-Unis n'en seront pas. Les États-Unis prétendent avoir besoin des mines antipersonnel pour assurer la sécurité de leurs 40 000 soldats toujours stationnés à la frontière des deux Corées.

Notons que les mines antipersonnel tuent 25 000 personnes par année, surtout des femmes et des enfants. Très peu de soldats américains.

On ne s'étonnera pas que le président Clinton ait complètement " oublié " d'appeler Jody Williams à Putney pour la féliciter. " C'est normal, dans notre pays le président félicite seulement les gagnants du Super Bowl ", a ironisé la gagnante du Nobel devant quelques journalistes européens venus l'interviewer...

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LES CHATS DE SOPHIE -

Sophie Rhéault, 5 ans, a cinq chats en peluche et c'est sans compter Pesto, le chat de son frère Olivier, en peluche aussi, pas Olivier, Pesto. Les chats de Sophie s'appellent Krapoutchina, Églantine, Fleuret, Caramella, Gris-Gris et ils ont tous des liens de parenté, ainsi Krapoutchina est l'épouse de Pesto, " mais, nous apprend Sophie, Krapou va bientôt divorcer pour se remarier avec le nouveau chat siamois qu'elle a commandé au père Noël ". Sophie nous assure que Pesto prend très bien la chose : " Il pense qu'il sera plus heureux tout seul. "

L'autre matin, grand drame, Satan a voulu tuer sa fille Églantine ( qu'il a eue avec Caramella ).

- Qui est Satan, Sophie ?

- C'est un chat invisible. Il est très méchant et il veut tuer tout le monde, sauf Fleuret qui est son ami parce qu'il a des yeux spéciaux et qu'il peut voir Satan qui est invisible, comme je viens te le dire, mais tu comprends jamais rien...

- Si, si, j'ai compris. Mais comment Fleuret peut-il avoir un ami aussi méchant qui veut tuer Églantine ?

- En fait, explique Sophie, Églantine a plusieurs vie et c'est pas grave si Satan la tue...

Ouf. Je dirais même miaouf.

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( 1 ) On peut le voir maintenant quelques portes plus bas, au Café Vienne, toujours dans la fenêtre.