Le jeudi 20 novembre 1997


Le beurre et la philosophie
Pierre Foglia, La Presse

Surviennent parfois dans l'actualité des pays riches et heureux comme le nôtre de minuscules et loufoques débats qui, dirait-on, n'ont d'autre fonction que de nous conforter dans notre médiocre bonheur. Comme nos soucis sont petits ! À d'autres les massacres, la faim et la tyrannie. Ce matin-là, en manchette de nos nouvelles radio, le président de l'UPA s'excitait le poil des jambes sur... sur la couleur de la margarine. " On défend nos jobs ", disait-il.

- Et ce n'est pas un débat philosophique, se défendait-il.

Vrai pour les jobs. L'industrie laitière est effectivement menacée par les succédanés de plus en plus nombreux du beurre.(1) Vrai pour les jobs donc, mais complètement faux pour la philosophie.

Colorer la margarine, y ajouter du jaune pour la faire ressembler au beurre - ce à quoi s'oppose l'UPA - est un problème éminemment philosophique. Pensez-y une seconde. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de colorer un truc merdique pour le faire ressembler à la vraie affaire.

C'est pas philosophique ça ?

Et ça marche ! Évidemment que ça marche. Autrement, on ne le ferait pas.

On se comprend bien, ce qui est philosophique ici n'est pas le choix que font les gens d'acheter de la merde plutôt que du beurre. Tout le monde sait que dans le beurre il y a du cholestérol et que c'est très mauvais pour la santé. Dans la merde non. Il y a de la gélatine, du sorbate, du palmitate, de l'acétate, du bohubohate, du tocophérol et peut-être même un peu de pétrole, mais pas de cholestérol. C'est donc une question de santé, pas de philosophie.

Ce qui est philosophique, par contre, c'est qu'on vende plus de margarine quand elle a l'apparence du beurre. C'est écrit " margarine " sur l'emballage, ça goûte la margarine, mais parce qu'elle a l'apparence du beurre, les gens ont l'impression que c'est du beurre.

On atteint là à la philosophie. Je dirais même qu'on atteint là à l'universel. J'entends à la connerie universelle élevée au rang d'idéologie. Il y a le marxisme, le libéralisme, le féminisme, l'écologisme. Et il y a le margarinisme.

J'insiste, le margarinisme n'est pas la margarine, mais la couleur de la margarine. Le margarinisme est la primauté de l'emballage. Le margarinisme, c'est qu'on soit assez con pour acheter un truc merdique juste parce qu'il ressemble à la vraie affaire.

Le margarinisme est dans tout. Pas seulement dans les produits de consommation courante. Dans les loisirs, la politique, la culture. Pourquoi pensez-vous qu'on a vu Amélie Nothomb, deux soirs de suite, à Julie Snyder ? Parce que c'est du beurre ? Parce que c'est un grand auteur ? Du tout. Ses livres sont nuls. Mais elle a de la couleur. Le monde en redemande.

Surviennent parfois dans l'actualité des pays riches et heureux comme le nôtre de minuscules et loufoques débats comme celui sur la coloration de la margarine qui, dirait-on, n'ont d'autre fonction que de nous conforter dans notre bonheur de gélatine, cholestérol free. Ce bonheur un peu niais - mais on va le prendre pareil - de n'avoir point de grands malheurs.

Avec tout cela, on s'est pas mal éloigné de l'industrie laitière, mais, je vous le souligne, sans échapper le moins du monde, à la bovine apathie du troupeau.

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(1) Particulièrement par un nouveau produit pas encore en vente au Québec, un mélange beurre-margarine ( très peu de beurre, juste ce qu'il faut pour justifier le mot " beurre " sur l'emballage ).

LE SYNDROME D'ANGOULÊME -

Y a-t-il quelque chose d'autre que vous aimeriez savoir sur la santé par le vin, sur maigrir en buvant du vin, sur maigrir en mangeant du gras, sur maigrir en mangeant comme trois, sur maigrir en mangeant n'importe quoi, même du lapin ? Supposons que vous avez manqué M. Montignac à Homier-Roy, à Arcand, à Bazzo, à Lamarche, à Mme Charette, à Mme Snyder, dans La Presse, dans Le Journal de Montréal ( pas dans Le Devoir), vous me le dites, ne soyez surtout pas gêné, vous me le dites, on se groupe en association, " Les citoyens qui ont raté Montignac ", je vais le voir, je lui dis bonjour M. Montignac, je m'excuse de vous déranger, voici ce qui m'amène, nous sommes 19 Québécois dans tout le Québec à vous avoir manqué à Homier-Roy, à Arcand, à Bazzo, à Lamarche, à Mme Charette, à Mme Snyder, dans La Presse, dans Le Journal de Montréal. Pardon ? Si on l'a fait exprès ? Pas du tout. On était dans le coma. On s'excuse. Alors voilà, seriez-vous assez aimable de répéter une fois encore, juste pour nous, tout ce qu'il faut savoir sur la santé par le vin, sur maigrir en buvant du vin, sur maigrir en mangeant du gras, sur maigrir en mangeant comme trois, sur maigrir en mangeant n'importe quoi, même du lapin ?

Merci M. Montignac.

Vous vous demandez peut-être ce qu'est le syndrome d'Angoulême - mon titre ? C'est le syndrome de la province profonde : passe un camelot, les commères s'affairent, les chiens reniflent ses bagages.

HAGIOGRAPHIES -

Je ne lirai pas le Beaunoyer. Pas parce que c'est Beaunoyer. Parce que c'est Céline Dion.

Je ne lirai pas le Georges-Hébert Germain. Pas parce que c'est Céline Dion. Parce que c'est Georges-Hébert Germain, que c'est un ami, et que je suis un peu tanné de m'engueuler avec mes amis quand ils écrivent des livres.

Il s'est dit pas mal de choses insignifiantes sur la différence entre les biographies autorisées et celles qui le sont moins. Particulièrement Mme Dion quand elle a dit " que c'était con, sans autorisation ", sous-entendu : " Comment peut-on parler de moi, si je ne le veux pas ? " La dame confond biographie et hagiographie. Elle n'est pas la seule dans cette affaire à faire la confusion.

Mais bon, puisqu'il était clair qu'on ne ferait pas une vraie biographie, pourquoi pas la vie d'une sainte ? Je n'ai rien contre.

Ce n'est pas le livre qui m'ennuie ici. Je suis sûr qu'il est très bien, le livre de Georges-Hébert Germain. Il m'avait parlé, cet hiver, de sa structure - ce découpage par chapitres portant le nom de villes de la tournée -, j'avais applaudi. Je n'ai pas de problème avec le livre, je suis sûr qu'il est parfait. En ce sens que c'est exactement le livre que des milliers de gens attendaient. Un bon produit, une bonne idée, une bonne affaire, et quel marketing ! Bravo.

Ce n'est pas le livre. C'est l'auteur qui me déçoit ici. Quand j'entends Georges-Hébert défendre son sujet à la radio et à la télé, je me dis que c'est juste un peu trop. Je me dis que, décidément, je préfère les mercenaires aux convertis.

Je me dis aussi que tout cela manque terriblement de cynisme.