Le mardi 25 novembre 1997


La vie sans bail
Pierre Foglia, La Presse

Pierre Roger Nadeau est mort, vous avez dû l'apprendre dans les journaux. Mais peut-être ne savez-vous pas qui était Pierre Roger Nadeau. C'était le père du Palais du Livre, ce machin de six millions de livres sur six étages du début des années 80. Les libraires voulaient le tuer. C'était le père, aussi, de la Maison hantée et de toutes sortes d'autres machins, toujours un peu fous, un peu excessifs, rarement de bon goût. Ce n'était pas mon héros, mettons.

Bref, il a eu une belle mort Pierre Roger Nadeau. Il est mort mardi vers minuit sur le trottoir, devant un petit café qui fait aussi librairie, Le DéLire, au coin de Marie-Anne et de de La Roche. Le DéLire fêtait ce soir-là son premier anniversaire. Nadeau était ami avec Léo, la propriétaire du café, il avait parrainé l'ouverture, il avait donné des livres... Mardi donc, durant la petite fête, Nadeau a raconté sa vie, récité du François Hertel, puis il a annoncé aux gens qu'il venait d'ouvrir un nouveau restaurant dans le Vieux-Montréal, en signant un bail de 10 ans : " J'ai 74 ans, vive la vie " qu'il a dit. Et il est sorti. Un client l'a vu tomber sur le trottoir. Il est mort là, sur le trottoir.

C'est juste pour dire que la vie se vit sans bail.

LE MEILLEUR ET LE PIRE DE MONSIEUR BLANCHARD -

Le meilleur : quand il parle. Le pire : quand il chante. Le meilleur : le numéro de danse à claquettes du début. Le pire : ses copains crooners. Le meilleur : sa femme Louise, à la fin. Le pire : Mitsou. Le meilleur : ses souvenirs, comment il les raconte. Le pire : ses souvenirs, comment il les arrange.

Bref, le meilleur : l'homme. Et le pire aussi : l'homme. Comme toujours en fait. Comme pour n'importe qui. Comme pour chacun de nous. Mais avec, en plus, un sacré talent pour en rire et en pleurer.

Un beau moment de télé.

INVITATION -

Question : quelle est la meilleure librairie de Montréal ?

Je sens que vous allez dire des folies. Non ce n'est ni Gallimard ni Hermes. C'est la librairie Olivieri, rue Gatineau, dans le quartier Côte-des-Neiges. Même ma libraire est d'accord. Remarquez je ne vais presque jamais chez Olivieri, c'est hors de mes sentiers. Mais quand le hasard me mène par là, c'est toujours un grand plaisir.

Pourquoi la meilleure ? Essentiellement parce que ce n'est pas un fourre-tout. On n'y suit pas aveuglément les modes et les grands lancements. Un fonds très pointu en littérature étrangère. Des libraires érudits et pourtant capables de déconner si vous en avez envie. Si ça ne vous suffit pas, je vous donnerai en preuve ultime et définitive que Olivieri n'a pas vendu une seule biographie de Céline Dion, il faut dire qu'ils ont caché leurs deux seuls exemplaires en " office " dans une armoire.

Bref, tout ça pour vous dire que la librairie Olivieri accueillera jeudi de la semaine prochaine, à 18 heures, Alan Sokal, ce physicien américain qui a brocardé les intellectuels français de Lacan à Baudrillard en passant par Kristeva et Deleuze, dans un livre ( Impostures intellectuelles, coécrit avec le physicien belge Jeann Bricmont ) dans un livre, disais-je, dont la France postmoderne se remet douloureusement. Mais ne vous attendez pas à une corrida, jeudi. Les intellectuels, les vrais, ne s'invectivent, ni ne se collettent. Ils s'empoisonnent à petits coups d'épingles trempées dans de la mort-aux-rats..

Réservations recommandées.

LA RELIGION -

Je ne me souviens plus comment on s'est mis à parler de religion avec ma fiancée, on n'en parle jamais - ah si, je me souviens, la petite fille d'un ami a fait sa première communion, samedi, c'est comme ça que c'est arrivé sur le tapis - j'ai demandé à ma fiancée :
- Toi ? T'as fait ta première communion ?
- Ben oui.
- T'allais à confesse ?
- Jusqu'à 12, 13 ans oui. Pas le choix.
- De quoi tu t'accusais ?
- Je ne savais jamais quoi dire. Je m'accusais d'avoir menti à ma mère.
- Tu mentais à ta mère ?
- Jamais.
- Alors tu mentais en disant que t'avais menti ?
- Si tu veux. Tu penses que c'est plus grave de mentir à Dieu qu'à sa mère, ou moins grave ?
- Je pense que le plus grave, c'est la religion.

LES VACHES -

Cette lettre d'un lecteur ( Serge Lemonde ), de Sainte-Julie...

J'aime les vaches, leurs formes, leur face, leur philosophie. L'hiver j'ai hâte au printemps que M. Provost sorte ses vaches. Elles sont juste de l'autre côté de ma clôture. Elles me regardent faire mon jardin, je leur parle.

Hier j'arrive chez nous, il y avait un encan chez M. Provost. J'apprends que M. Provost doit vendre ses vaches parce que des voisins se sont plaint que ça sentait le fumier.

Voilà, y aura plus de vaches derrière chez nous.

Juste des cadres moyens qui sentent l'after-shave, et leurs femmes qui sentent ces parfums qu'on achète moins cher dans les aéroports.

RAPPEL -

Éditeurs, auteurs, agents de presse, êtes-vous sourds ou nonos ? Arrêtez de m'envoyer des livres. Pour la dix millionième fois je vous rappelle que je ne suis pas critique littéraire, je suis un lecteur, j'achète mes livres comme n'importe quel autre lecteur, en me fiant aux critiques dans les journaux, au bouche-à-oreille, à ma libraire, à la réputation de l'auteur, au titre, au résumé au dos du livre, à la couverture, à mon feeling. Et je parle des livres que je lis si je veux. Si je veux pas j'en parle pas.

Ne m'envoyez pas non plus de cassettes de chansons. Je HAÏS 98 % des chansons qu'on entend à la radio, et le 2 % qui reste, je le choisis moi-même, comme un grand garçon. Parlant de chanson vous avez sans doute déjà noté combien elle est en mouvement, la chanson d'amour surtout, perpétuel va-et-vient, " je pars, je m'en vais, adieu " et dans la chanson suivante, " je reviens sur le chemin "... Branche-toi Chose, tu pars ou tu reviens ? C'est fatigant. Tout ça pour vous dire que je viens d'entendre à la radio une nouvelle chanson, paraît-il très en vogue, dont le titre et le refrain vont ainsi : " Je suis venu te dire que je m'en vais ". Ça se complique, trouvez pas ? Il revient pour s'en aller. T'aurais pas pu téléphoner, ducon ?