Le samedi 3 janvier 1998


Ce qui ne changera pas cette année
Pierre Foglia, La Presse

Attendez-vous que je vous fasse une revue de l'année ?

Hon hon. Je ne vous parlerai pas des grands disparus, Lady Di, mère Teresa, Cousteau, Marie-Soleil Tougas, Jean-Claude Lauzon, Gerry Roufs et le maire Bourque. Je ne vous parlerai pas des canonisés vivants, Céline Dion et Jacques Villeneuve. Je ne vous parlerai pas d'El Niño, de Dolly la brebis, du retour des camionneurs de Métro-Richelieu, du traité sur les mines antipersonnel, du transfert des vols internationaux de Mirabel à Dorval, des 200 noyés de Port-au-Prince, des massacres en Algérie.

Je ne vous parlerai pas de l'ordinateur full equiped que tout le monde, ou à peu près, s'est payé pour les Fêtes. Pas moi. Moi, c'est un magnétoscope que je me suis acheté. Tiens c'est une idée ça. Je pourrais vous raconter le film que je me suis loué hier. The Sound of Music. Pardon ? Vous l'avez vu ? C'est plate ? Et la revue de l'année alors, c'est pas un vieux film plate que vous avez déjà vu, peut-être ?

Cependant, vous en redemandez.

O.K. d'abord. Prêts pour une revue de l'année politique ? Pardon ? La politique vous ennuie ? Trop tard. Fallait choisir The Sound of music.

Une question, tiens. C'est quoi le grand débat politique qu'on n'a pas fait en 1997 au Canada et qu'on ne fera pas non plus en 1998 ?

Le débat sur la pauvreté.

On continue de répéter que le Canada est un pays riche, ce qui est vrai, mais avec l'air de croire qu'on mérite cette richesse-là parce qu'on est meilleurs que les autres, plus travaillants, plus sages, plus je ne sais quoi. Il y en a même qui croient que c'est parce qu'on a un bon gouvernement.

Niaiseux. Comme les autres pays riches, le Canada construit sa richesse sur la paupérisation d'une partie de plus en plus grande de la population de ce pays, de ce continent et du monde. " Il n'y a pas moyen de faire autrement, nous répètent les experts des marchés financiers c'est comme ça que ça marche, il n'y a plus que les attardés de la social-démocratie pour ne pas l'accepter. "

Sont convaincus d'être dans la modernité, les théoriciens du libéralisme . Et ils tiennent leurs diktats de droit divin. Ils osent dire des énormités qui auraient fait scandale il n'y a pas longtemps, mais qui laissent aujourd'hui le troupeau sans l'ombre d'un frémissement. Par exemple j'ai entendu l'un d'eux déclarer. cette semaine à Radio Canada que " 11 % de chômage c'est trop, mais pas tellement trop, le bon ratio pour empêcher la flambée des salaires, c'est autour de 9 % ".

Le bon ratio ?

Le plus désespérant est que le libéralisme est devenu la pensée politique unique de politiciens aussi différents que Chrétien, Bouchard, Harris, Daniel Johnson. Tous partagent la même indifférence pour les perdants " structurels ". Tous prônent que la justice sociale est l'affaire des bénévoles de la charité publique. Alors forcément les gens dans la rue aussi se rallient. " Si des hommes d'allégeances aussi diverses font le même choix économique, se disent les gens, ce doit être parce que c'est vrai qu'il n'y a pas moyen de faire autrement. "

Si. Il y a moyen.

L'économie c'est pas une religion. Faut pas venir fou avec ça. C'est pas une religion, c'est plusieurs. Faut rester laïque devant l'économie. Permettre que s'expriment d'autres credos que celui du profit. Le partage, tiens. Le partage aussi est de droit divin...

Le débat sur la pauvreté ? On ne le fera pas non plus en 1998. Pour une maudite bonne raison: on se pense riche. Y'en a même qui croient qu'on mérite cette richesse-là parce qu'on est meilleurs que les autres, plus travaillants, plus sages, et qu'on a un bon gouvernement.

Niaiseux.

Savez quel débat on fera en 1998 ? Le même qu'en 1997. Le débat sur la santé. La vôtre. Moi ça ne va pas si mal, je vous remercie. C'est vous qui m'inquiétez. Je vous vois si pâles depuis si longtemps. Vous êtes malades de peur... d'être mal soignés. C'est bien là le comble de la frilosité.

Voulez que je vous avoue un truc : je ne suis plus capable de vous entendre freaker sur les urgences encombrées, les listes d'attente, les hôpitaux qui ferment, les médecins pas assez ou trop payés, les petits n'enfants qui meurent à pleins couloirs à Sainte-Justine, freaker sur la médecine à une, deux, douze vitesses. Je ne suis plus capable d'entendre parler de tout cela sur ce ton d'une sirène d'ambulance, dans mon journal, dans ma radio, dans mon salon.

À vous écouter rêver tout haut de soins princiers on a l'impression que le bonheur, dans ce pays, est d'aller mourir du cancer du côlon au Ritz. " Monsieur désire-t-il une chambre avec fax ? "

Le plus odieux de ce faux débat est la récupération politique que l'on en fait. Prenez cinq minutes un soir pour écouter aboyer Pierre Paradis, le critique libéral en matière de santé. Écoutez-le faire freaker le monde. Et venez donc me dire sans rire que c'est la santé publique et la compassion qui inspirent cet ex-avocat des grandes porcheries du Québec.

Deux petits conseils à propos de la santé qui devraient largement corriger les inconvénients du virage ambulatoire :
Premier conseil : Bougez-vous le cul un peu.
Second conseil : Bougez-vous la tête. Par quelques lectures " difficiles ", par exemple.
Et un rappel important: vous n'en mourrez pas moins.

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Puisqu'il me reste de la place, un mot pour souligner un exploit qui, sans être sportif, a profondément modifié la scène sportive montréalaise, même si on ne se doute pas encore à quel point.

Je parle de l'exploit de Réjean Houle qui, miné de rien, a fait basculer, le Canadien dans le 21e siècle en remplaçant Mario Tremblay par un trio de " têtes de hockey " qui rompt avec la tradition des " coaches par oreille ", des meneurs d'hommes que le Canadien a toujours voulu voir derrière son banc.

Un choix qu'on devine douloureux. Un choix rationnel, contre sa propre inclination, j'en jurerais. Un choix éminemment intelligent, le seul qui pouvait sortir le Canadien du Moyen Âge où le maintenaient depuis des années ses hommes de tradition.

Cela fait vingt ans que je répète à qui veut l'entendre que ce garçon, malgré son air un peu con, n'est pas " le peanut " que l'on croit.

Ça fait cent ans que je vous répète que je me trompe rarement sur les hommes, surtout ceux qui ont l'air un peu con, c'est ma grande spécialité.