Le mardi 6 janvier 1998


Et si c'était un toaster ?
Pierre Foglia, La Presse

Comme ça vous trouvez que la Direction de l'état civil a abusé de son pouvoir en interdisant à des parents de prénommer leur enfant Tomás avec un accent aigu sur le " á " ?

Je trouve un peu aussi. Un peu seulement. Et ça m'embête parce que je m'apprêtais à souligner le bon sens de cette même Direction qui, juste avant, avait refusé à d'autres parents de prénommer leur fille C'est-un-ange ".

A-t-on idée ! Les registres de l'état civil n'ont pas pour fonction de recueillir les moumouneries des parents qui guiliguilisent autour des berceaux.

Ben oui, votre fille, votre fils est un ange, madame. Une merveille. Un amour. Un petit lapin. Mais il faut qu'un prénom dure toute la vie, et votre petit ange n'en sera plus un très vite. Le petit crétin qui met ses doigts dans son nez deviendra un ado de taille

Maintenant que la porte est ouverte aux prénoms-célébrations, qui empêchera les nouvelâgeux de prénommer leur rejeton " C'est-notre-enfant-intérieur " ? Le petit comique : " C'est-un-toaster ". Ou le lucide : " C'est-un-fils-de-pute " ?

Pour revenir à Tomás, la difficulté qu'on aura à trouver un accent aigu pour son " á ", le temps que passera cet enfant-là à expliquer que c'est une spécialité portugaise comme la morue " à bràs " ne regarde peut-être pas là loi, mais entre vous et moi, ce n'est pas non plus la trouvaille du siècle. Drette-là, je viens de passer dix minutes à chercher le " á " sur le clavier de mon ordinateur, et ne l'ayant pas trouvé j'ai dû appeler au pupitre pour dire aux boys de faire attention. Un Léon m'eût causé moins de problème, et c'est très joli aussi Léon.

Un sujet léger oui, mais qui pose des questions qui le sont moins. Un sujet anodin qui sous-tend deux cultures, deux sensibilités, deux modèles de société. L'un se propose de garantir les libertés individuelles - appeler son enfant " C'est-un-ange ", porter le voile islamique à l'école, prier en classe, etc... L'autre modèle (que l'on nomme parfois République) propose, lui, de garantir le bien commun.

EN BOUT DE LIGNE -

Mon unique résolution de l'année était de ne plus jamais parler des livres de mes confrères, et qu'est-ce que je m'apprête à faire, là, tout de suite ? Eh oui : je m'apprête à vous parler du livre d'un confrère de La Presse, Paul Roux, l'auteur du Mot du jour de la page trois, et maintenant auteur d'un remarquable Lexique des difficultés du français dans les médias .

Le français dans les médias, c'est le français que la plupart des gens parlent en bout de ligne, si j'ose dire, puisque c'est celui qu'ils entendent et lisent dans les journaux.

Ce que le lexique de Paul Roux a de plus remarquable, c'est de n'être pas pédant comme le sont trop souvent les lexiques. On y apprend des choses sans recevoir des tapes sur les doigts, on y apprend forcément qu'on est nul, mais avec l'impression qu'avec un peu d'application ça pourrait se corriger...

Dans mon cas, beaucoup d'application. C'est affreux toutes les fautes que je fais. Ces majuscules et ces traits d'union où il ne faut pas, cette ponctuation syncopée, ces mauvais usages, et tous ces anglicismes. Ah les anglicismes ! Franchement, je crains de ne jamais réussir à dire prêt-à-monter, au lieu de kit ! Revendeur au lieu de pusher. Et ne le répétez pas, mais je crains aussi que l'office de la langue française ait à se brosser un crisse de temps avant que je ne dise aliment vide au lieu de junk food.

- Qu'est-ce tu manges quand t'es sur la route ?

- De l'aliment vide....

Allons donc.

C'est comme le toaster du titre de la présente chronique. Un grille-pain, c'est un machin pour faire des toasts. Un toaster, non. Dans mon lexique intime, le toaster est le grand Objet mythique lui-même. Un peu comme le lion est le roi des animaux, le toaster est le lion des objets. Bref, il y a l'Office de la langue française et il y a l'Office de la langue Foglia.

Un peu de sérieux, le Lexique des difficultés du français dans les médias de mon collègue Paul Roux est disponible au prix de 19,95 $, à La Presse ( 514) 285-7364, et dans de très rares librairies, dont la Librairie du Square, rue Saint-Denis.

IL ÉTAIT UN PETIT NAVIRE (chanson triste ) -

C'est avec un frisson d'horreur que la province tout entière et la Caisse d'économie de la Sûreté du Québec ont réagi à la mésaventure de Jean-Marc (un ex-policier ) et de son épouse Suzanne, ces deux plaisanciers de Charlesbourg qui se sont faits rosser et dévaliser sur leur voilier, du côté de Cartagène en Colombie. Aïe, aïe, aïe ! Nous n'irons plus au large ma mie, la brise ne gonflera plus le grand foc, et y a un crabe dans mes gougounes.

Le Québec en pleurs a donné à la collecte, et la Caisse d'économie de la Sûreté du Québec a fait quelque chose aussi, je ne sais pas quoi au juste, mais c'était très gentil d'y avoir pensé, on les remercie au nom des deux martyrs de la navigation à voile qui ne peuvent plus parler tant ils se sont égosillés sur toutes les ondes à appeler au boycott de la Colombie : " Évitez, je vous en supplie, ce pays de bandits ", disait la dame.

Bien. Où irons-nous caboter désormais ?

Je me permets d'attirer votre attention sur un article du Time traitant du nouveau fléau de la piraterie (A Plague of Pirates, août 97 ). Deux cent vingt-quatre piratages en 1996, aucune côte n'a été épargnée par le retour des corsaires, qui ne portent plus le perroquet sur l'épaule comme avant, à cause qu'ils ont maintenant sur l'épaule un lance-flammes.

D'après la revue Time toujours, les hauts lieux de l'abordage sont les îles Grecques, les Philippines, le Brésil, la Thaïlande, l'Indonésie, la côte ouest de l'Afrique et la Somalie.

Par contre je tiens de bonne source que le lac Champlain, les îles de Sorel et le lac des Castors sont assez sûrs. Pour plus de renseignement sur la navigation dans les eaux locales et limitrophes

Pour plus de renseignements en général, sur n'importe quoi, lisez cette chronique régulièrement et des fois celle de Nathalie.

Je vous embrasse.