Le samedi 17 janvier 1998


Radio catastrophe (verglas)
Pierre Foglia, La Presse

Tandis que je tapais ma chronique à la bougie près du feu, ma fiancée écoutait la radio sur le walkman.
- Qu'est-ce qui disent ?
- Rien.
- Comment ça rien ?
- Rien de nouveau.

Forcément, à parler de la tempête 24 heures sur 24, la radio s'est beaucoup répétée. Ce n'est pas un reproche. C'est un bémol à l'auto-encensement qui s'annonce. Mais non, on n'a pas redécouvert la radio. On a redécouvert la lampe à l'huile, pas la radio.

De toute façon, les informations dont les gens avaient besoin, ni la radio ni les journaux ne pouvaient les leur donner. Les gens voulaient être renseignés sur leur situation particulière, sur leur quartier, leur rue, l'heure à laquelle il y aurait de l'eau chaude pour se laver, où trouver des piles 4 " D ", des bougies, etc. Dans mon coin, une vingtaine de personnes cherchaient désespérément un adaptateur spécial sans lequel leur génératrice ne pouvait faire fonctionner les appareils branchés sur le 220. Il leur a fallu cinq jours pour en trouver finalement dans un entrepôt de Saint-Laurent.

C'est cette information-là, utile, primordiale, de type babillard, qui a fait cruellement défaut. Une information de base que doit normalement donner celui qui marche devant, à ceux qui suivent derrière : " Attention à la marche, les boys. " Sauf que ce n'est pas comme ça que ça s'est passé. Au lieu de parler directement à ceux qui suivaient derrière, le type qui marchait devant, le maire, le flic, le curé, le responsable des mesures d'urgence, appelait d'abord, à radio-catastrophe-CKAC : " Dites-leur de faire attention, il y a une marche. "

- Comme vous êtes braves et généreux, les remerciait Paul Arcand.

Il s'agissait moins de donner une information utile que de se faire mousser en la donnant. Ce matin-là, le maire d'une ville que je ne nommerai pas avait à annoncer aux 1000 réfugiés de son centre d'hébergement qu'ils auraient désormais de l'eau chaude à volonté pour se laver. Au lieu d'aller le leur dire, tout simplement, il a tenu une conférence de presse à trois kilomètre de là !

Je suis passé dans des villages où on m'a accueilli comme un sauveur ou presque : " Enfin ! Un journaliste ! " Je demandais s'ils avaient besoin de couvertures, de bouffe, de bois...

- Non merci, on est bien organisés.

- Pourquoi espériez-vous tant un journaliste, alors ?

- Pour qu'on parle de nous, pour être sur la map !

Le croyez-vous ? Dans ces villages du triangle noir, on était plus malheureux de ne pas être passé à la télé, à la radio, dans le journal de Montréal que de manquer d'électricité. À Clarenceville, on m'a lancé : " on sait bien, vous avez parlé de Venise-en-Québec ( le village voisin ) parce qu'il y a eu trois morts, mais nous, rien. " Souvent, le lendemain, ils étaient fâchés que je n'aie pas souligné " le dévouement des bénévoles ". Le maire d'un de ces villages m'a même reproché d'avoir nui, en soulignant la désolation des lieux à leur " vocation récréo-touristique ". Je vous jure.

Après le paysage mutilé, ce que cette tempête a montré de plus désolant, est le piège à cons dans lequel sont enlisées nos valeurs.

On ne se dit plus rien, et le pire, il faut absolument se le dire à travers un média. Si on n'était pas dans le journal, on n'était pas dans la tempête, on n'existait pas.

- Qu'est-ce qui disent ?

- Que tout s'écroule, mais qu'il faut rester positifs.

Tandis que je tapais ma chronique, à la bougie, près du feu, ma fiancée écoutait radio-catastrophe-CKAC sur le walkman.

- Quoi d'autre ?

- Rien d'autre. Tout s'écroule, mais faut rester positifs.

Je vous soumets que cela pourrait facilement devenir la devise de cette provinces verglas ou pas.

L'autre grand message de radio-catastrophe, c'est que tout s'est écroulé, mais qu'on va s'en sortir parce qu'on est formidables.

Sommes-nous formidables ?

Les circonstances commandaient que nous fassions preuve de civilité, et quand la civilité ne suffisait pas, de solidarité. Ce qui serait vraiment formidable, maintenant, ce serait d'avoir la modestie de ne point se vanter de ce qui est bien la moindre des choses.

LE MARCHAND DE BOUGIES -

Quand la panne a commencé, il y a dix jours, j'étais en train de regarder un film sur mon nouveau magnétoscope, Dead Man Walking. Quand l'électricité est, j'ai cru c'était le film qui continuait, mais non, c'était Le Point. Jean-François Lépine qui parlait de Beloeil, cette petite ville exemplaire, prête à faire face à la tempête, dès les premières heures grâce à un plan d'urgence concocté par un maire extrêmement prévoyant. Et même un peu obsédé sécurité.

Ce n'était pas l'avis de Jean François Lépine qui se roulait à terre. Quelle belle idée. Quel bel exemple. Toutes les villes du Québec ne devraient-elles pas adopter un plan semblable ?

Tu devrais vendre des bougies dans tes moments libres, Jean-François, t'as un don et l'oeil juste assez charbonneux pour que le client, soudain inquiet d'une catastrophe, t'en commandes trois caisses.

Sérieux. On ne va quand même pas se mettre à attendre en tremblant, sur notre lit de camp, la prochaine tempête de pluie verglaçante, dans 87 ans ? Si ?

TI-PROUT -

Dans un refuge, je ne vous dirai pas où, j'ai rencontré une dame pas, belle du tout. Si si, ça existe. Elle portait des pantalons en coton ouaté et des pantoufles. Elle avait des cheveux courts, un menton carré et le visage couperosé comme, parfois, les gens qui boivent beaucoup. Elle était assise sur un matelas, elle tenait un énorme minou noir sur son épaule.

- Ils ne veulent pas que je le garde...

Elle s'est mise à pleurer. Son nez morvait. Je lui ai demandé comment il s'appelait, elle a dit : " Ti-Prout ". En entendant son nom, le gros minou a roulé sa tête dans le cou de la dame.

Un type est arrivé. Il essayait d'être gentil, mais son sourire avait l'air d'un couteau, de poche à moitié ouvert...

- On a trouvé une belle place pour votre minou madame, à la campagne...

Elle l'a mis dans une boite en carton avec des trous. Elle y parlait : " T'auras du bon manger à la campagne. Pis ça va pas durer tout l'hiver cette affaire-là. Jamais je croirai... " Le type a emporté le chat. Elle ne pleurait pas. Elle a remonté ses culottes en coton ouaté. S'est rassise sur le matelas.

Elle m'a dit quel temps il fait dehors ?

J'ai dit il fait froid.