Le jeudi 22 janvier 1998


Les bénévoles sont formidables (verglas)
Pierre Foglia, La Presse

J'écoutais M. Lucien Bouchard remercier longuement les bénévoles à la télé et je me suis posé une question un peu bizarre peut-être : dans la vie, chez lui, avec sa fiancée, avec ses enfants, avec ses ministres, M. Bouchard parle-t-il des bénévoles ? Dit-il des choses comme : " As-tu remarqué, chérie, comme les bénévoles sont formidables ? "

Et vous, est-ce le genre de trucs dont vous parlez avec vos amis ?

C'est curieux pareil, je n'entends jamais dans la vie réelle, parler de bénévoles, sauf à la télé et dans le journal. Sauf si je suis en reportage : " N'oubliez pas de remercier nos bénévoles, ils ont été merveilleux. " À la seconde où se termine un événement, n'importe quel événement, Jeux du Québec, corvée de ramassage de crottes de chiens dans le parc Lafontaine, opération Nez rouge, tempête de pluie verglaçante, c'est la première chose que disent les organisateurs aux médias : " N'oubliez pas de remercier nos merveilleux bénévoles. "

J'ai évidemment posé la question, bien que je me doutais un peu de la réponse :

- Pourquoi ne les remerciez-vous pas vous-même ?

- Parce que les bénévoles sont tellement plus contents quand c'est écrit dans le journal, et quand on les voit à la télé...

De là à conclure que le bénévolat est une manière d'atteindre à la célébrité en faisant des sandwiches au poulet, il y a un tout petit pas que je ne franchirai pas parce que, finalement, on s'en crisse pourquoi les bénévoles font du bénévolat. La question qui importe est celle-ci : les bénévoles sont-ils, oui ou non, indispensables ?

Absolument indispensables.

Le bénévolat est aussi indispensable à notre société en panne qu'une génératrice dans une porcherie pendant une tempête de verglas. C'est pour vous dire.

Bénévolat et génératrice, même fonction : soulager quand la vraie affaire ne fonctionne pas. Et mêmes inconvénients : ça fait beaucoup de bruit, ça tombe souvent en panne, et en bout de ligne, quand tu calcules tout ce que ça fait mal marcher, ça coûte très cher.

" Pourquoi avez-vous parlé des monteurs de lignes et si peu des bénévoles ? " La question m'a réellement été posée dans ma boîte vocale par des féministes, habituellement plus avisées.

Et il y avait une sous-question en forme de coup de pied de l'âne: " Avez-vous remarqué que les bénévoles sont très majoritairement des femmes ? "...

Bien sûr, j'avais remarqué, je trouve ça très bien d'ailleurs et tellement plus pratique pour les corvées ménagères. Mais non, mesdames, ce n'est pas parce que ce sont des hommes que je préfère les monteurs de lignes. Voulez savoir ce que je trouve de particulièrement sympathique et rafraîchissant chez les monteurs de lignes ? C'est précisément qu'on ne puisse pas les remplacer par des bénévoles. Voyez, rien à voir avec le sexe des uns et des autres.

(En passant, pour le sexe, je préfère les bénévoles. )

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Et dire que j'étais parti pour faire un lexique des mots qu'a laissés la tempête dans notre vocabulaire. Bénévole n'était qu'un de ces mots. Au lieu d'en faire une définition, j'en ai fait une crise...

Vous n'allez peut-être pas voir le rapport et peut-être n'y en a-t-il pas, mais dans la vie, je passe souvent pour un grossier personnage, parce que je dis fuck, chier, cul, mais savez-vous ce que moi, grossier personnages, je trouve vraiment vulgaire ?

Les retours de bonté, voilà ce que je trouve le boutte du boutte de la vulgarité. Les retours de bonté. Des retours en bravos, en mercis, en félicitations, comme des retours d'impôts. Trouvez pas qu'il y a quelque chose d'obscène, dans la bonté congratulée ? Dans la reconnaissance émue de la nation obligée ?

Trouvez pas, quand Bouchard, ou n'importe qui, nous fait l'apologie du bénévolat, trouvez pas qu'on nous fait courir après le bien comme après un lapin ?

Voyez pas ce qu'il peut y avoir de débilement naïf à croire que la bonté, c'est comme de la saucisse dans une pub, que plus on va en montrer à la télé, plus les gens vont en manger...

C'est le contraire. La bonté, quand on en a, faudrait la cacher, faudrait la taire, faudrait la faire en silence, faudrait se sauver quand on voit arriver une caméra, dire au journaliste qui vient pour ça : Décrisse !

On devrait être un million de fois plus pudique avec nos trois poils de bonté qu'avec tous ceux de notre foutu cul.

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Et dire que j'étais parti pour déconner sur les mots que nous a laissés la tempête. Comme triangle, tiens. On connaissait le triangle des Bermudes, le triangle des aventures adultérines, le triangle isocèle, le triangle de la femme quelque part entre les genoux et le nombril, voilà que s'ajoute le triangle noir entre Saint-Jean et Granby.

En plus des nouveaux mots, on en a revisité quelques anciens comme " foyer " par exemple qui a perdu bien de son romantisme évocateur de douce chaleur. Les gens qui n'avaient qu'un foyer pour se chauffer pendant la panne ont appris en grelottant qu'un foyer ce n'était que du show. Pour le chaud mieux valait, mille fois, un poêle à bois.

La tempête nous a laissé aussi de nouveaux visages. Dites-moi, cet André Caillé, avec ses éteignez vos lumières, allumez vos lumières, serait-il l'oncle de Jean-Marc Parent ? Et l'autre petite face, ce Pierre Bélanger que l'on dit ministre de la Sécurité civile... ministre vraiment ? Si pâle. Si hors de saison, dans les circonstances. Il avait l'air, dans la tourmente, d'un petit fromage de chèvre à la température de la pièce.

Parlant du rôle des hommes politiques dans cette histoire, on a dit combien s'étaient dépensés efficacement les " municipaux " et bon, c'est un peu normal, ils étaient plus près des besoins, des problèmes de leurs gens que, par exemple, les députés provinciaux et fédéraux. J'ai devant moi l'emploi du temps d'un député fédéral pour la matinée du 15 janvier ( il me l'a envoyé après que j'aie insinué qu'on le voyait peu) :

7h 45 : réunion au Centre des gestions ; 8 h 15 : réunion avec le coordonnateur du comité d'urgence ; 9h : réunion de gestion 10 h 30 : réunion avec les autorités militaires ; midi : entrevue à la radio.

Ben vous voyez, M. le député, c'est exactement pour çà que les monteurs de lignes ont tant impressionné la population : ils se réunissent très peu.

Pour finir, le mot de Chapleau pour résumer tout ce désastre : " Watt de fuck ! "