Le jeudi 29 janvier 1998


Il manquera l'odeur des lilas
Pierre Foglia, La Presse

J'arrive de Saint-Jean-sur-Richelieu où " le combat continue sur fond de lassitude", titrait La Presse ce matin. Il eût convenu d'ajouter à la lassitude la désolation. La lassitude passera dans les prochains jours. La désolation restera pour des mois, des années. La grande victime du verglas aura finalement été le paysage.

On avait bien sûr noté le massacre des arbres, mais comme en passant, comme un inconvénient supplémentaire. On avait, c'est normal, à se soucier d'abord des gens, des poteaux et des fils. C'est presque fini. On est à se réjouir de s'en être si bien sorti, on est un peu comme ces accidentés de la route, ils ont fait trois tonneaux dans le champ, ils se relèvent en se tâtant, un peu incrédules : je ne suis même pas blessé.

Si. Vous l'êtes. Regardez autour de vous. Vous êtes blessés au paysage. Et pour longtemps.

Je reviens de Saint-Jean par la 133, j'y étais allé par le Chemin de la grande ligne et Saint-Alexandre, je me suis promené dans Iberville. Ce ne sont partout que grappes d'arbres suppliciés qui dressent leurs moignons dans le ciel d'hiver avec une théâtrale ostentation. Ce paysage laid d'avance, ce paysage dont je connaissais par coeur toutes les laideurs, a l'air d'avoir été remodelé par un Dieu en pleine crise d'épilepsie.

Mais le paysage n'est pas seulement ce qui défile de chaque côté du chemin quand on rentre à la maison. Ce n'est pas seulement un bouquet d'arbres au loin. C'est aussi le lilas dans sa cour. La rangée de cèdres qui nous cachait des voisins. Le pin qui donnait de l'ombre pour quelques siestes. L'érable qui poussait ses branches jusqu'à la fenêtre de notre chambre. Eux aussi, eux surtout ont été touchés à mort.

Notre paysage intérieur est tailladé pour longtemps même si on ne le sait pas encore. On le saura au printemps quand on aura l'impression qu'il nous manque quelque chose, mais quoi ?

Ce sera l'odeur des lilas.

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Nous venons de vivre quelque chose de si particulier que, manquant de repères, nous avons pensé à la guerre. Mais ce n'est pas la guerre, il n'y a pas de morts, ou si peu. Ce n'est pas un tremblement de terre. Ce n'est même pas les débordements du Saguenay qui ont laissé des milliers de gens sans rien. Nous avons vécu une douzaine de jours entre parenthèses puis retrouvé nos habitudes, nos maisons, notre train-train. C'est drôle à dire, nous venons de vivre presque sans conséquence (sauf pour le paysage) quelque chose d'immense.

Immense par la dévastation et par là destruction du réseau électrique. Mais immense, surtout, par les moyens pris pour le rebâtir. Occupés à bougonner autour de nos bougies, nous n'avons pas vu qu'Hydro était à refaire la Baie-James ou presque en trois semaines, dans notre rue, dans notre cour, au bout du champ. Ni vous ni moi ne nous doutons de l'immensité de la tâche accomplie. Un travail colossal. Un déploiement d'effectifs et de matériel incroyable. C'est là qu'on voit qu'on est riches. On s'est payé en trois semaines un réseau électrique comme n'en auront pas encore, dans 50 ans, la plupart des pays d'Afrique.

Occupés à bougonner au-dessus de nos bougies, nous n'aurons vu là-dedans, finalement, qu'un grand dérangement. Forcément. Nous passons notre vie à nous protéger, à nous assurer contre le dérangement, imaginez qu'on va même jusqu'à faire des lois pour interdire aux Témoins de Jéhovah de cogner à notre porte parce qu'on ne supporte pas d'être dérangés cinq minutes tous les six mois, alors imaginez 15 jours sans électricité...

Nous venons de vivre un truc qui ne nous a fait ni du mal ni du bien. Un arrêt sur l'image dans un film en noir et blanc qui a montré des choses étonnantes à certains. Ainsi ces vieux qui, dans la chaleur et l'animation temporaires des centres d'hébergement, ont vu leur solitude et se sont mis à prier pour que la panne dure toujours.

Moi ? Moi, j'ai redécouvert le lien mystérieux entre le temps et la lumière. Dans le noir, le temps dure autrement. J'ai redécouvert que je n'avais pas peur du noir, seulement du temps.

LE CONTEXTE -

J'entre bien dans les raisons que donne un peu tout le monde pour désapprouver la juge Monique Dubreuil. Je trouve nono, comme tout le monde, que la juge invoque le " contexte culturel " pour justifier sa clémence envers deux violeurs d'origine haïtienne.

Cela dit, Je m'étonne qu'on s'étonne. C'est le genre de dérapage qui vient inévitablement avec le multiculturalisme, avec l'apologie de la diversité, avec la valorisation des diverses identités culturelles, avec la notion même de mosaïque, si chère aux Canadiens.

Ce n'est pas la première fois. Rappelez-vous cette jeune fille sodomisée par son beau-père, le juge avait expliqué qu'il se devait d'être clément parce que les valeurs des musulmans ne sont pas les mêmes que les nôtres...

Rappelez-vous l'excision du clitoris des petites filles africaines, revendiquée par des Tchadiennes de Toronto, j'insiste, REVENDIQUÉE au nom d'un multiculturalisme vrai.

C'est aussi du multiculturalisme que se réclament les gamines musulmanes qui veulent porter le voile à l'école. Et les sikhs de la GRC qui portent le turban. Vous allez me dire que ça ne fait de mal à personne. C'est vrai. Mais ça fout un sacré bordel. La diversité culturelle enrichit un pays quand elle s'exprime à l'intérieur d'un certain consensus national, quand elle le déborde, c'est le bordel assuré, c'est le faux dieu qui ruine les nations, selon le mot de Keith Spicer, cité par Neil Bissoondath dans son livre contre le multiculturalisme ( Le Marché aux illusions ).

Devant le grossier dérapage de la juge Dubreuil, les Haïtiens ont beau jeu de hurler au scandale, et au racisme. Ça fait de belles envolées à la radio. Mais j'aimerais les entendre sur le " multiculturel ". Est-il des cas où on peut s'en réclamer ?

Par exemple, je tiens de bonne source que la Direction de la protection de la jeunesse tient compte du " contexte culturel " pour ne pas intervenir dans de nombreux cas de parents haïtiens qui battent leurs enfants, comme elle interviendrait si c'était des pure-laine...

Êtes-vous d'accord ou pas ? Ne me répondez pas que vous êtes d'accord pour battre vos enfants. Moi aussi. Êtes-vous d'accord de tenir, du contexte culturel, le droit de leur crisser une volée quand lis le méritent ?