Le mardi 3 mars 1998


Une job pour rien
Pierre Foglia, La Presse

Les mauvais journalistes ont tendance à devenir flics, les bons à devenir curés. Mais je pourrais vous le dire autrement. Les mauvais journalistes ne vérifient pas toujours si c'est vrai. Les bons, parce que c'est vrai, insistent beaucoup, beaucoup, beaucoup, et ça finit par devenir faux. Exemple les hôpitaux. Exemple les dossiers sécurité publique. Exemple le chialage sur la soi-disant irresponsabilité de la Sécurité civile avant et après la tempête de verglas. Il ne se passe pas une semaine sans que les grandes émissions d'affaires publiques interpellent la Sécurité civile: " Serons-nous prêts pour la prochaine crise d verglas ? "

Voui, nous le serons.

Manquerons-nous de bois de chauffage ?

Nan. Nous n'en manquerons pas.

Un de mes voisins bûcheron vient de passer trois semaines à scier du bois, juste pour ça. En prévision de la prochaine crise de verglas. Il est venu prendre un café hier...

- Ridicule. On était 70 bûcherons à Saint-Bruno, à travailler pour rien. Je veux dire, on était payés. Mais c'est la job qui sert à rien. Gros gaspillage...

Le bois est arrivé de partout, Abitibi, Témiscouata, Témiscamingue, Saguenay. Des milliers de camions-remorques qui ont déchargé des millions de cordes de bois dans les trois grands centres de triage et de sciage de la Montérégie : Saint-Bruno, Saint-Luc et la base militaire de Farnham. Quarante bûcherons à Farnham, 70 à Saint-Luc, 70 Saint-Bruno. À 12 $ ou 18 $ de l'heure selon qu'on les engageait comme travailleurs autonomes ou non. Pendant trois semaines. Et le transort. L'essence, les chauffeurs, les camions... Étendez l'opération à la grandeur de la province...

Le bois était gratuit, donné. Mais comme dit mon voisin : " il ne vaut pas beaucoup plus cher ! " Bois mou. Pin gris, pin rouge, épinette, 80 % de bois mou, de résineux qui font de bien mauvais feux et laissent dans les tuyaux de la créosote dangereuse pour les feux de cheminée. Non seulement du bois qui donne peu de chaleur, mais celui-là en plus, est pourri, creux, du bois " coti ", comme dit mon voisin.

Remarquez, de loin, ça ne se voit pas. Quand les gens passent sur l'autoroute des Cantons de l'Est, peu après la sortie Saint-Jean, ils aperçoivent cette grande montagne de bois et ils sont contents. Les journalistes aussi, je suppose. Le voilà bien, le bûcher de nos petites niaiseries. Mon voisin m'a raconté le jour où les caméras sont allées au chantier ; le petit boss, un militaire, leur a dit : " Je veux entendre les scies, même si vous ne coupez rien. Faites-les aller à fond, ça paraît bien... "

Le bois est maintenant cordé dans la cour des municipalités.

Il achèvera de pourrir là.

UNE BONNE CHOSE -

J'avais trouvé plus que convenable le silence de M. Daniel Johnson pendant la tempête de verglas. Dans les circonstances, j'avais trouvé très digne qu'il oublie de politicailler... Je note que cette attitude pleine de retenue lui a été vivement reprochée et serait une des causes de son départ. Cela nous renseigne sur la politique : c'est un métier où il ne faut jamais cesser d'aboyer.

Parlant d'aboyer, je crois que ce serait une bonne chose que mon député, M. Pierre Paradis, devienne chef du Parti libéral. Je n'ironise pas. Une bonne chose comme Don Cherry est une bonne chose. Une bonne chose qui cristallise toute la médiocrité du monde, si bien qu'on peut la voir, la montrer, la nommer, la reconnaître. Et le haïr quand on n'a rien vraiment d'autre à faire.

VIRGULE - L'autre jour je lisais La Presse. J'étais ordinaire, ni de bonne, ni de mauvaise humeur, j'étais comme on est souvent quand on lit le journal, neutre comme un buvard. Et je tombe sur cette histoire d'un couple de Repentigny, Fernand Beaudouin et Claire Ouellet, qui roulaient dans leur caravane sur une route déserte, quelque part au Mexique, quand tout à coup une voiture les dépasse et se met à zigzaguer devant eux. Ouvrez les guillemets :

" Fernand, ce sont des bandidos ! " a crié Mme Ouellet à son mari.

Je n'ai jamais pu aller plus loin dans l'article. Rire, mais rire. Des grosses larmes. Des hoquets. Ma fiancée me prend le journal des mains. Elle part elle aussi. Houhouhou.

J'ai changé plusieurs fois d'avis sur ce qui déclenche le rire dans cette phrase-là. Mais finalement, j'ai trouvé : c'est la virgule. Farnand, virgule.

JE VOUS AIME -

Je ne sais pas chez vous' mais chez moi le printemps est arrivé samedi. Les carouges à épaulettes aussi. Le voisin venait d'entailler dans son bois, je suis passé derrière lui, juste comme les premières gouttes résonnaient dans le fond des chaudières vides. Ça faisait comme une musique japonaise. Ça m'a rappelé Nagano où je ne suis pas allé. Ça m'a rappelé aussi qu'il fallait que je vous dise que je vous aime.

Si, c'est vrai, je vous aime. Je vous trouve très reposants. Prenez samedi : je vous ai fait une chronique sur l'Homme et sa fiancée qui s'inventent des outils de plus en plus intelligents pour faire, avec, des choses de plus en plus bêtes. C'est quand même étonnant ! Ben non, ça ne vous étonne pas du tout. Vous, ce qui vous étonne, c'est que je n'aie pas aimé Le Bonheur est dans le pré : vous m'en parlez plein ma boîte vocale.

Je vous aime. Vous me faites des suggestions de films comme Pretty Womam, My Best Friends Wedding, et un autre aussi où Isabelle Adjani se met toute nue. C'est fou ce que vous êtes fins, ce que vous prenez soin de ma culture...

L'autre jour, je me pogne avec Nathalie Lambert. Et qu'est-ce que vous me dites dans ma boîte vocale et dans les lettres ? Vous me dites que je n'aurais pas dû. Ou le contraire : vous me dites que j'ai bien fait, tsss, tsss, encore. Vos lettres et vos commentaire ont l'air des feuilles de score que remplissent les juges à la boxe. Pas un, pas une pour parler de la chose. On s'est pognés pour quelque chose. Pas un, pas une, pour parler du quelque chose. Je vous aime pour ça aussi. Vous n'êtes pas compliqués. Un rien vous amuse. Un rien vous distrait du sujet. On ne se prend pas longtemps la tête avec vous.

Samedi, je me promenais dans le bois où mon voisin venait d'entailler, les gouttes faisaient cling et cloung dans le fond des chaudières vides et je pensais à vous.

Et je pensais que je vous aimais. Si, c'est vrai.

Même que je me disais : si au lien d'entailler des érables, j'entaillais mes lecteurs, je suis sûr que ce serait du sirop direct qui coulerait.

Allez, mes sucres, je vous embrasse.