Le samedi 14 mars 1998


La femme infidèle
Pierre Foglia, La Presse

C'est l'histoire d'une femme qui changeait d'amant pour un oui pour un non et parfois même pour ni oui ni non.

Au moment, où commence cette histoire, on la croyait pourtant casée pour longtemps. Son mari du moment s'appelait Lucien et elle l'aimait d'amour: " Lulu, mon beau Lulu, toi et moi c'est pour toujours, serre-moi fort. " Il la serrait si fort qu'il l'étouffait un peu, mais elle aimait ça.

Elle avait d'autres prétendants, un jeune homme un peu pâlot de Rivière-du-Loup et le long Daniel à la triste figure qui lui faisait une cour si maladroite qu'elle en riait publiquement. Au moment où commence cette histoire, elle filait un bonheur sans nuage avec son Lucien. Sans nuage, mais non sans ombre. Le bonheur, comme le soleil, fait tonjours de l'ombre. ( Oups, c'est ici que le lecteur déçu, se rend compte qu'il est dans un conte philosophique et pas dans une histoire de cul, comme le laissait présager le début de cette histoire d'une femme qui change d'amant pour un oui, pour un non, et même pour ni oui, ni non.)

Vous ai-je dit que cette femme avait un grand frère qui n'aimait pas Lucien ? Un être bien curieux, le grand frère, qui mettait toujours une enfantine volonté à ne jamais céder, surtout quand il avait tort. Le grand frère se mit en frais de trouver un nouvel amant pour sa soeur. Il connaissait son inclination pour les saints Jean-Baptiste dodus et frisottés, il en dénicha un qui convenait tout à fait, avec une tête bien faite, raisonnable sans excès, avenant et pas sot. Il s'appelait Jean.

Jean était en politique comme le Saint-Laurent dans son lit, coulant large et tranquille vers la mer de ses certitudes. Un petit Mozart de la politique, disait-on. On exagérait. On le dépeindrait mieux en disant un petit Montignac : un peu de n'importe quoi, mais pas trop. Mais c'est vrai aussi que Jean était fait selon les canons de l'époque, et qu'il sacrifiait au goût du jour en promettant au tout-venant un régime amaigrissant.

Il commença par se défiler : " Ta soeur, j'en ai rien à foutre ", répondit-il au grand frère qui lui fit habilement répéter :

- Excuse-moi, je n'ai pas bien entendu, pourrais-tu répéter plus fort ?

Jean répéta. Et comme le grand frère l'espérait, sa soeur entendit. Le soir même, le coude rageusement planté dans l'oreiller, la lampe allumée sur la table de nuit, elle ruminait l'insulte : " Comment ça rien à foutre ? " Elle repoussa rageusement les draps :

- Lulu, tu vois quelque chose qui ne va pas ?

- Comme quoi ?

- Je ne sais pas moi. Ai-je la jambe mal tournée ? Le téton bas ?

- Mais non, tu es la plus belle, dors.

La fin de l'année n'était pas terminée que Lulu était abandonné et aussitôt oublié.

C'est l'histoire d'une femme qui changeait d'amant pour un oui pour un non et parfois même pour ni oui ni non. Au moment où commence cette histoire, elle vient justement de prendre un nouvel amant qui s'appelle Jean. Ils partiront en voyage de noces dans les Rocheuses, au retour, ils s'arrêteront chez le grand frère qui ne se tiendra plus de contentement.

L'avenir sera radieux.

On les retrouve cinq ans plus tard. En rentrant un soir à la maison, Jean a trouvé un mot sur la table. Le mot disait ceci : Excuse-moi, tu devais bien te rendre compte que ça ne marchait plus très fort ces derniers temps. Tu me rappelles décidément trop mon frère. Je pars. Cette fois, ce n'est pas parce qu'il y a un autre homme dans ma vie. Cette fois, ce n'est pas pour un oui, pour un non. C'est pour rien. D'ailleurs, tu vas trouver ça drôle, mais je te jure que c'est vrai, je t'ai dit que je partais, mais ce n'est pas vrai: JE DISPARAIS.

P.S. Je t'ai fait un gâteau d'adieu, un de ces poudings chômeurs que tu aimes tant. Il reste un peu de sirop d'érable sur la tablette. "

Et Lulu ? me direz-vous. Ah Lulu. Il à épousé en secondes noces une petite brune d'origine espagnole, qui est la représentante des ventes de Wonderbra pour toute la Saskatchewan et le nord de l'Alberta. Elle parle un peu du nez. Elle aime son Lulu à la folie, elle aime par-dessus tout qu'il ait survécu à sa terrible maladie, lors de leurs ébats amoureux elle lui susurre parfois : " Appelle-moi Bactérie mon zéri, ça mé fait des frizons. "

Le grand frère ? Aux dernières nouvelles, le grand frère déployait toujours la même ardeur à ne pas se faire aimer.

Le roi de la bullshit-

Que M. Raymond Malenfant tente de se refaire une virginité en exploitant des motels de cul, c'est son affaire. Que son fils vende de la dope, c'est l'affaire de son fils. Alors pourquoi j'en parle ? Je parle d'un détail qui n'a rien à voir. " Je ne mérite pas cela " a dit M. Malenfant devant les hommes d'affaires de Verdun.

Pardon ? M. Raymond Malenfant donne des conférences aux hommes d'affaires ?

Des conférences sur quoi, grand dieu ?

Sur comment foutre en l'air une business en accumulant des dettes ?

Sur comment bullshiter le monde entier ? Sur comment fourrer les fonctionnaires pour obtenir des crédits ? Sur comment devenir le champion du monde de la libre entreprise en se faisant financer par des fonds publics ? Sur comment bulldozer les travailleurs et leurs syndicats ?

Surtout ça. Un enfant sur les genoux de son grand-père lui demande de raconter la guerre : " Encore Raymond, raconte-nous encore comment tu as terrassé, le méchant dragon de la CSN, raconte-nous encore comment il est mort le monsieur dans la manifestation, à La Malbaie. "

La seule vraie histoire que pourrait raconter M. Malenfant, c'est l'histoire d'un nul, qui s'est bâti un empire parce qu'il était aussi un génie de la bullshit. Et cet empire, il la perdu parce que même dans ce monde-là, où le triomphe d'un nul est un grand encouragement pour tout le monde, même dans ce monde-là, il y a une limite à la nullité et à la bullshit.

Môman !

Un sourire pour finir. Cette petite que m'a racontée un lecteur...

Une dame sort de chez le psychiatre avec son petit garçon. Elle croise une amie qui la trouve bien pâle :
- Mon dieu, vous en faites une tête ! Vous n'êtes pas malade au moins ?
- C'est pas moi. C'est mon petit garçon.
- Ah bon. Et qu'est-ce qu'il a, votre petit garçon ?
- Le psychiatre dit qu'il a le complexe d'Oedipe...
- Bof, faut pas vous inquiéter, répond l'amie, Oedipe, Oedipe, c'est rien du tout ça, l'essentiel c'est qu'il soit gentil et qu'il aime sa maman...