Le jeudi 19 mars 1998


Les oreilles du Président
Pierre Foglia, La Presse

C'est l'histoire d'une dame qui dit au président des États-Unis qu'elle l'aime beaucoup et le président lui répond : " Ça tombe bien madame, je suis bandé. " Deux ans plus tard, la dame s'en va raconter son histoire à la télé. " Je suis très déçue, j'avais des gros problèmes familiaux à l'époque, je m'adressais à lui comme à un ami, je m'attendais à ce qu'il me prête une oreille compatissante. Au lieu de cela il m'a sauté dessus. "

Une oreille compatissante, donc.

Serge Chapleau a génialement résumé la chose dans notre numéro de mardi en dessinant la queue de Clinton plutôt que ses oreilles. Comme le dit très justement un vieux proverbe bulgare : homme bandé n'a point d'oreille.

Le trait de génie de Chapleau dit tout ce qu'il y a dire de cette histoire. J'ajouterai quand même qu'il y a moins d'un mois, cet homme-là est passé à un cheveu de bombarder l'Irak. De tuer des tas de gens pour rien. Que cet homme-là soumet le monde à son ordre économique et culturel. Que cet homme-là empoisonne délibérément la vie de millions de Cubains, d'iraniens, de Colombiens, de Coréens du Nord, d'Haïtiens.

Parlait-on de le destituer ? Non.

Puis-je vous faire encore observer que cet homme-là n'a tenu aucune de ses promesses sociales ? Que cet homme d'ouverture s'est dépêché, aussitôt en place, de trahir les libéraux qui l'avaient élu, de céder aux groupes de pression ( les militaires dans l'affaire des gays à l'armée, les Cubains de Miami, les pro-vie, etc ). Vous ferais-je observer aussi qu'il avait promis de s'occuper des pauvres, mais qu'il s'est surtout occupé de financement électoral ( le Whitewatergate ).

Puis-je vous faire observer que cet homme-là encule tous les jours 275 millions d'Américains ?

Et on devrait se scandaliser pour quelques bénévoles de plus ?

Je me souviens de discussions avec des féministes à une époque où elles étaient plus libertaires qu'aujourd'hui. C'était avant qu'elles s'enlisent dans des combats néo-victoriens comme celui contre la pornographie. C'était avant qu'elles culpabilisent sur l'avortement, avant qu'elles fassent l'apologie de la famille, avant qu'elles remercient leur mari de faire la vaisselle. Je me souviens de discussions. Je me souviens d'une amie qui disait, la liberté sexuelle c'est pas de baiser quand tu veux, ce serait plutôt de ne pas baiser quand tu ne veux pas. Elle disait que le désir m'exclut jamais la politesse... Elle s'appelait Loulou. Elle est morte il y a quelques années. Elle couchait des fois avec le premier ministre quand il descendait à Montréal. Une petite vite. Elle m'avait raconté que la première fois, elle lui avait tapé sur les doigts : " on dit s'il vous plaît. Puis-je vous pogner le cul, madame, s'il vous plaît. "

Ça me fait penser que Chapleau aussi la connaît, c'est juste pour vous dire que je ne l'ai pas inventée pour les besoins de l'actualité. C'est juste pour dire aux filles qu'il y a moyen de baiser avec un président, un premier ministre et sûrement un roi sans en faire une affaire d'État.

LE DÉPOTOIRE DE NOS RÊVES-

J'ai fait quelque chose que je ne fais pas souvent quand il s'agit de livres, j'ai fait le journaliste. J'ai lu un livre, non parce qu'il me plaisait de le lire, mais parce que ce livre est un événement.

Il s'agit de L'Alchimiste de l'auteur brésilien Paulo Coelho. Sans doute le livre le plus lu actuellement dans le monde, après la Bible. Le livre le plus demandé dans nos bibliothèques. Best-seller dans 40 pays. Traduit en 22 langues.

L'Alchimiste est l'histoire d'un berger qui s'appelle Santiago. Il est visité par des anges qui l'envoient en Égypte chercher la vraie recette du couscous au mouton. En chemin, Santiago trouvera l'amour et la sagesse et surtout découvrira que l'important dans la vie n'est pas de trouver un trésor, mais bien d'en chercher un.

Je vous soumets que Jean de la Fontaine a exploité le même thème dans Le laboureur et ses enfants - Mais le père fut sage de leur montrer, avant sa mort, que le travail est un trésor - avec une concision qui fait hélas défaut à Coelho. Je vous soumets encore que Saint-Exupéry dans Le Petit Prince et Sonia Benezra dans son Approche sémiotique d'une structure discursive ont également dit que l'important était " le dedans". Mais que cela ne vous empêche surtout pas de tripper sur Paulo Coelho dont les longues paraboles font penser à des chandelles à l'avant-champ : on sait qu'elles n'iront pas loin, mais on regarde au ciel pareil. Ça ne peut pas faire de mal.

Notons que L'Alchimiste date déjà de plusieurs années, Paulo Coelho a écrit de nombreux autres livres depuis qui marchent tous très bien aussi. Il y en a un qui s'appelle Sur le bord de la rivière Piedra je me suis assise et j'ai pêché des poissons-chats, un autre Le Pèlerin compulsif et le tout dernier qui vient de sortir, Là-haut sur la Montagne y'avait un vieux râteau. Je ne les lirai pas. Vous me les raconterez, je sais que vous êtes des fans.

Je disais donc qu'on vit une époque formidable pour tout ce qui vient du ciel. Les gourous. Les sauveurs de province. Les auteurs à auréoles comme Coelho. Et les anges gardiens. Avez-vous remarqué le nombre de séries qui mettent en scène un ange gardien à la télé américaine ? À commencer par le gros hit de la saison à CBS, Touched by an Angel..., une sainte merde qui nous fait regretter Baywatch, c'est tout dire.

ABC a répliqué avec un curé de choc ( Nothing Sacred), et Teen Angel, un ti-cul qui devient, après sa mort, l'ange gardien de son meilleur copain. À ABC toujours, Soul Man met en scène un curé à moto. Comme j'ai passé l'âge de croire à un grand complot du Vatican, je me dis que ça doit être, comme disent les sociologues, parce que cette fin de siècle a grand soif de spiritualité. Mais ne serait-ce pas plutôt de religiosité ?

Une enquête Time-CNN révèle que 81 % des Américains croient au paradis et de ceux-là, 61 % pensent au paradis comme à un lieu avec une géographie terrestre, des chemins, des maisons où vivent leurs parents et amis, le palais de saint Pierre sur le haut d'une colline, une harpe égrène sa musique d'eau, bref.. un paradis bêtement prévisible en forme de banlieue, le dépotoir de nos rêves dont parlait Rostand ( Jean ) dans ses carnets. Et le printemps qui tarde.