Le mardi 24 mars 1998


Les Chasseurs de coyotes
Pierre Foglia, La Presse

Les chasseurs de coyotes dînaient à la binerie du village de Saint-Alexandre. Ils avaient tué une femelle dans la matinée et l'avaient attachée avec des cordes sur le capot de leur jeep. La tête saignante de l'animal pendait dans le vide devant la calandre. Le sang dégouttait sur le pare-chocs. Garée à l'envers, la jeep avait le nez tourné vers la rue pour que personne ne puisse ignorer que les chasseurs de coyotes étaient dans le village, et qu'ils avaient tué.

C'était jeudi, j'allais au journal, j'ai quand même fait demi-tour pour leur parler. Je ne suis pas contre la chasse, mais tout ce que je haïs, de certains chasseurs était concentré là, dans le parking de la binerie de Saint Alexandre. Je ne comprendrai jamais l'imbécile contentement de faire de la mort un trophée, une fierté. Je ne comprendrai jamais le besoin d'exhiber à la terre entière son butin sanguinolent.

J'étais d'autant plus irrité que j'ai pour les coyotes une affection particulière. Deux ou trois fois par année, je croise un coyote au détour d'un chemin, toujours solitaire, toujours souverainement indifférent. J'aime leur façon de s'éloigner sans précipitation, de se retourner avant de disparaître comme pour dire : vous vous trompez humains, ce n'est pas de l'indifférence, c'est du mépris pour votre race.

Presque toutes les nuits j'entends les cris joyeux de leurs louveteaux qui jouent.

Les chasseurs sont sortis de la binerie. Ils parlaient et riaient haut. Il y en a un qui a roté. Celui que j'attendais fouillait dans sa gueule avec un cure-dent...

- Pourquoi ça ? ai-je demandé en désignant la bête sur le capot.

- Parce que la chasse est ouverte. Parce les coyotes font des ravages

dans les fermes alentour.

- Des ravages de quoi ?
- De moutons.
- Vous devez vous tromper, il n'y a pas de moutons dans la région. Mais j'ai vu quelques porcs...

Comme dans un western, il a négligemment jeté son cure-dents à mes pieds.

LES BEAUX VILLAGES-

Dans quel village du Québec iriez-vous vous installer, si vous aviez un an de vacances à prendre à la campagne ? À Mont-Tremblant et à Saint-Sauveur ont répondu, avec un remarquable manque d'imagination, la majorité des répondants à un sondage commandé par la revue Géo Plein Air.

Ma première réaction : Que le monde est donc nono. La seconde : Good ! Saint-Sauveur, La Malbaie, Percé, Magog, (Magog ! ! ! ), Bromont ( où ça à Bromont ? Dans le parc industriel ? ), North Hatley, Sainte-Agathe, good. Je vous félicite. Et je vous remercie. ,On saura où ne pas aller cet été.

Je connais vingt villages plus agréables que ceux du sondage. Je me garderai de les nommer. Déjà, ils sont trop connus. Même que certains (comme Knowlton ) mériteraient de figurer sur le même tableau de déshonneur où figure Saint-Sauveur.

Expliquez-moi quelque chose. Expliquez-moi comment un village peut être populaire, donc populeux, et rester un village. Magog par exemple, que je connais bien : la foule l'été, le bruit, des boulevards, des bêtises pour le dépaysement des touristes, où ça un village ?

Pour être beau, un village ne doit figurer sur aucune liste. Secondement, il doit être tourné vers lui-même, ne pas s'offrir au premier venu. Les villages, comme les paysages, se méritent. Enfin, il n'est de beau village sans silence.

Et soit dit en passant, les plus beaux villages du Québec ne sont pas à la campagne, ce sont certains quartiers de Montréal.

DÉFI OLYMPIQUE-

Je ne partage pas le sentiment de mes collègues des sports qui ont l'air de regretter que Radio-Canada ait obtenu les droits pour la présentation des Jeux olympiques pour les dix prochaines années. Radio-Canada jouit de plus d'indépendance que la télé privée pour résoudre le défi très particulier que pose la couverture des Jeux à la télé. Et puis il n'y a pas que des Pagé et des Quenneville à Radio-Canada, il y a aussi, Dieu merci, des Guy d'Aoust, des Robert Froisi, des Jacques Bertrand, des Michel Desautels, et des Jacques Thériault, es-tu encore là Jacques ?

Mais je parlais d'un défi particulier. Pour justifier l'énormité des droits payés, la télé courtise un grand public moins intéressé par le sport lui-même que par sa représentation folklorique. Et les gens dont je suis, qui tiennent le sport pour une culture à part entière, ne trouvent plus leur compte dans le reality show aérobique que sont devenus les Jeux. Le défi ? Combler deux publics aux intérêts très divergents. Ce n'est pas une petite commande.

Une illustration ? En fin de semaine, à Marrakech, une jeune fille de 16 ans de Le Gardeur, Émilie Mondor, a terminé dixième au championnat du monde junior de cross country. Les gens dont je suis s'intéressent prodigieusement à ce genre de chose. Parce que c'est de la course à pied, parce que c'est l'essence même du sport.

Pas une ligne, pas un mot à la télé, à la radio, dans les journaux qui faisaient tous, par ailleurs, grand cas des championnats du monde de patinage courte piste à Vienne. Les gens dont je suis se contre-crissent du patinage courte piste, et du saut à ski, et des bosses.

Les gens dont je suis trippent athlétisme, aviron, gymnastique, natation, ski de fond, ski alpin, patinage longue piste, haltérophilie, vélo, tous les sports. LES SPORTS.

FIN DE SIÈCLE-

Des lecteurs s'inquiètent : qu'arrive-t-il de votre projet pour l'an 2000, ce livre fin de siècle que vous devez écrire avec vos lecteurs ?

Un an plus tard donc. Je reçois toujours des textes, disons une dizaine par semaine. Des bonnes choses. Des moins bonnes. Surtout des moins bonnes.

Un petit rappel ? Il ne s'agit pas de création littéraire, on ne se prépare pas pour le festival de prose de la Haute-Mauricie, ne m'envoyez pas vos fonds de tiroirs, merci. Ne m'envoyez pas vos souvenirs de 1972 non plus. Ce livre se veut un instantané du Québec aujourd'hui. Pas d'opinions. Pas d'éditoriaux. Pas de bilan. Pas de morale. Et si possible pas de poèmes. J'ai reçu un million et demi de poèmes, il y en en a peut-être trois et quart qui échappent au ridicule. Soyez gentils, ne faites pas de poésie, ça la tue quand on " la fait ".

Pensez à un babillard. Ce projet n'est rien d'autre qu'un babillard où vous me griffonnez un ÉVÉNEMENT même minuscule, où vous me racontez un lieu, une personne, une bestiole, un éclat de rire, un chagrin. La vie. La vie sacrement. Faites de la vie. Ne faites pas de littérature. Ça la tue quand on " la fait ".

Marci bien.