Le mardi 31 mars 1998


Le printemps est arrivé
Pierre Foglia, La Presse

Samedi matin. Vous vous rappelez le soleil samedi matin ? 24 radieux degrés. Pas un souffle de vent. Devinez ce que j'ai fait ? Cochez la bonne réponse :
- J'ai regardé la lutte à la télé.
- J'ai lavé mon auto dans l'entrée du garage.
- J'ai fait du vélo.
Du vélo, ben oui. Comment avez-vous deviné ?

Je ne me souviens pas d'une aussi lumineuse première sortie. Dans le creux des vallons, les ruisseaux, gros des neiges de la montagne, vomissaient l'hiver à grands bouillons. on traversait des nappes de froid qui nous faisaient frissonner, mais c'était pour retrouver aussitôt la touffeur de l'été dans l'adret du même coteau. Chaud et froid, l’impression de pédaler dans une omelette norvégienne.

Mes routes ne sont jamais plus belles que lorsque je les retrouve la première fois, au sortir de l'hiver. Toute la beauté du monde à l'endroit précis où le regard prend en enfilade la lisière de la forêt pour aller buter sur la montagne de Jay, au loin. La route monte doucement avant de plonger vers Richford à travers les prairies encore enneigées.

" Ici Serge, juste ici, une des images les plus achevées de la beauté de monde. " J'aime à le répéter à mon ami Serge qui n'a presque jamais quitté ce coin de pays. On se disait en pédalant que la beauté était souveraine contre le cancer et la politique. On disait notre certitude la plus certaine : " La vie est là, simple et tranquille. "

Du côté de Berkshire on a fait un détour par la Old Boston Post Road pour aller saluer l'antiquaire du Jolly Store et son chat blanc. Mais le détour était aussi pour la perfection architecturale de la petite église anglicane voisine, qu'on devine meublée de sapin clair et de bois verni.

À la douane de Richford, le douanier canadien avait sorti au soleil ses plants de géranium, une centaine au moins. Il paraît qu'on songe à fermer les petites douanes comme celle-ci. On économisera presque rien. Et on aura quelques chômeurs de plus. Et quelques géraniums de moins.

Du côté québécois, la route qui reconduit à Frelighsburg, tout aussi bucolique que celles du Vermont, traverse les terres de vieux orangistes que la lutte pour la tranquillité du mont Pinacle a rapprochés des nationalistes. La plus chaleureuse des mésalliances. Sherman sortait de l'étable avec son chien. On s'est arrêté pour lui parler des pins rouges qu'il a bûchés cet hiver. On a aussi parlé jardin tout en se refélicitant du calme retrouvé après le grand brouhaha des promoteurs esbroufeurs.

- Crois-tu que ça le dérange qu'on soit séparatistes ?

- Ça le dérangerait si on en faisait une histoire, par exemple, si je hissais le drapeau du Québec sur mon toit...

- C'est pour cela que tu ne le fais pas ?

- Un peu. Ce sont des gens fragiles. Ils se sentent menacés. Ils ont énormément perdu au cours des vingt dernières années. Ce paysage leur doit beaucoup. Ils l'ont façonné. Il faut en prendre soin. De toute façon les gens sont toujours plus importants que les idées.

Du haut de la Joy Hill on a plongé vers Frelighsburg. Dans un mois et demi, l'air embaumera le lilas, et le muguet. Mais samedi rien. Je l'ai noté dans la descente. L'air n'était que du vent, chargé de rien d'autre que d'un reste d'hiver. Il aura manqué à cette première sortie un parfum. Dans un mois et demi, l'air embaumera le lilas et le muguet, mais avant il devra tomber quelques pluies chaudes. Alors montera l'odeur de la terre. Alors le printemps pourra commencer.

On a pris un café Aux Deux Clochers où le frère de Lizanne nous a dit que Lizanne était enceinte, Vous ne connaissez pas Lizanne ? C'est pas grave. Moi, je ne connaissais pas son frère. Lizanne Bussières, la gloire sportive du village. Marathonienne olympique, 5e au marathon de Boston, venue au cyclisme depuis trois ans, elle a terminé 17e du Tour de France l'an dernier, ce qui est une conversion totalement prodigieuse. Une grande athlète. Et une petite bonne femme de rien du tout. Enceinte elle doit avoir l'air d'une fourmi qui pousse un ballon de rugby. Hey voisine, si c'est des quintuplés, m'en mettrais-tu un de côté ?...

J'ai roulé le dernier bout de chemin tout seul. Je suis passé devant chez Lizanne justement. C'est le chemin Saint-Armand, le plus beau d'Amérique. Il me ramène chez nous.

LA LECTURE : UNE FARCE ? –

Un lecteur d'Ottawa qui sait ma grande passion pour Céline Dion m'envoie un extrait d'une entrevue qu'elle a récemment accordé au London’s Sunday Times Magazine. Mme Dion parle de ses habitudes au lit :

" Sometimes I wake up and have patato crisps in bed. Not plain, but barbecue or ketchup or whatever. Sometimes I read fashion magazines. I don't really read books : il n'y a pas assez d'espace dans ma vie pour lire des livres ", explique votre grande dame de la chanson.

" When I have an empty space in my brain - appréciez avec quelle aisance elle passe d'un espace vide dans sa vie à un trou dans son cerveau - quand il y a un espace vide dans mon cerveau, dit-elle, c'est cool, c'est okay, je ne tiens pas à le remplir "...

Je prends note que Mme Dion dit de la lecture, exactement la même chose que dit mon livre de cuisine de cette préparation faite de mie de pain et de chair hachée dont on bourre les dindes à Noël : " Laissez un petit espace, n'en mettez pas trop, vous ne sauriez plus où commence la dinde et où finit la farce. "

Comme ce serait dommage.

UNE ORDINATEUR –

Un monsieur de Québec, Denis Louverture, vient d'adresser à monsieur Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l'Académie française ( 23 quai de Conti, Paris, France), une requête en féminisation du mot " ordinateur ". Cette machine électronique de traitement numérique de l'information qui, selon le Petit Robert, " exécute à grande vitesse les instructions d'un programme enregistré ".

Les arguments de M. Louverture pour qu'on dise désormais, au choix, UNE ORDINATEUR, ou UNE ORDINATRICE, se fondent sur la nature profondément femelle de cette machine. Qu'on en juge :
- dès que vous en possédez une, une meilleure s'offre à vous ;
- plus de la moitié de votre salaire doit être consacré à payer ses accessoires ;
- seul son créateur en comprend la logique interne ;
- le langage utilisé entre ces machines est incompréhensible pour quiconque n'est pas une de ces machines ;
- elle attrape tous les virus qui passent et les transmet tout aussi facilement ;
- elle garde en mémoire, pour utilisation ultérieure, toute erreur, si minime soit-elle.