Le samedi 11 avril 1998


Dialogue sur la 417
Pierre Foglia, La Presse

J'ai rencontré Jean-Sébastien jeudi, à l'Université d'Ottawa où il étudie en économie. J'étais allé donner un atelier de journalisme à l'équipe du journal de l'université. Après l'atelier, Jean-Sébastien m'a demandé si je pouvais le ramener à Montréal, on a parlé tout le long de la route, c'est la raison pour laquelle cette chronique s'appelle " Dialogue sur la 417 dans une auto qui pue l'essence "...

Oh, ça sent l'essence, a t-il dit en rangeant son sac à dos à l'arrière.

Un petit peu, c'est vrai. Le réservoir fuit. ,je ne dois pas le remplir plus que la moitié. J'oublie souvent. Ça s'arrange en roulant. Le niveau baisse.

On a parlé de ses études. Il était déçu de son année. Déçu aussi de l'université. Il y restera quand même. En administration. Puis en droit. Il n'est pas sorti de là. Pas pressé. Pour faire quoi de toute façon ?

Tu n'as pas l'impression que c'est un des buts inavoués de la " démocratisation " des études universitaires : retarder l'entrée de jeunes dans la vie active ? Au fait pourquoi as-tu choisi Ottawa ?

Pour le bilinguisme. Pour les deux cultures. Mais ça aussi je suis déçu. Au mieux, les deux groupes s'ignorent. L'Université d'Ottawa est très fréquentée par les francos des autres provinces, des étudiants pointilleux au chapitre de la défense de la langue française... Ça fait un peu drôle, parce qu'ils parlent le plus souvent un français si laborieux qu'on les croirait anglophones. Ça fait drôle d'entendre défendre sa langue par des gens qui la parlent si mal...

À quoi tu t'attendais à l'université ?

Je ne sais pas. À un endroit où se brassent des choses. Un lieu d'échanges, de discussions, de confrontation des idées.

Et c'est pas ça ?

Non. Les étudiants viennent chercher un diplôme, c'est tout. On court après un bout de papier. C'est fou les énergies qui se perdent là, et l'argent. C'est fou les étudiants qui arrivent de l'autre bout du pays, louent un appartement, pour se rendre compte au bout de trois mois qu'ils n'ont pas envie d'étudier. Ils restent là pour le bout de papier... Mais vous, M. Foglia, que pensez-vous que devrait être une université ?

Pas différente d'une autre école. Les jeunes ont été si mal préparés au secondaire et au cégep que l'université ne peut être qu'une école comme une autre. Je ne crois pas, comme toi, à un endroit où il se " brasse des choses ". Je ne crois pas à la discussion, aux échanges, à la confrontation. L'école est un endroit où on va apprendre. T'écoutes, tu notes, tu lis, t'étudies, tu te tais. T'es pas équipé, de toute façon pour confronter qui que ce soit. Et échanger quel savoir ? Que t'aurais pris où ?

Et nos droits ?

Quels droits ? T'es là pour apprendre. Mettons tu tombes sur un prof d'économie ultrachiant. Ultralibéral, disons. Tant pis. Tu ne lèves pas la main pour dire, m'sieur, m'sieur, c'est dégueulasse l'économie ultralibérale. T'écoutes. Tu fais l'éponge. Tu te gonfles du savoir qu'il te donne. Quitte à lui recracher ça dans la gueule un jour, quand tu sauras. Mais pas maintenant. Maintenant tu sais rien. Maintenant t'apprends. Tes droits, tu dis ? Quels droits ? Pourquoi faire des droits ? Vous en avez déjà trop. Vous avez surtout ce droit totalement ridicule, mais qui arrange tout le, monde, vous avez le droit, d'avoir des bonnes notes. C'est bien pour ça que vos diplômes ne valent rien. Mais vos parents sont contents. Mon fils est diplômé de l'Université de Montréal. Ou de McGill. Ou d'Ottawa. C'est pas brillant Ottawa, mais c'est exotique, et tellement bilingue. Les administrations se pètent les bretelles avec leurs taux de succès. Les profs trop sévères se font rappeler à l'ordre... Je déconne ? Attends, réponds-moi pas tout de suite. Faut je remette du gaz. Ça va repuer l'essence. Vaut mieux pas trop respirer. Ça monte au cerveau...

T'as des parents ?

Mon père est mort d'un cancer l'année dernière, de toute façon je ne le voyais jamais. Je vis avec ma mère qui travaille dans un Rona. En fait, je vis à Ottawa. Vous aimez Ottawa ?

Beaucoup.

Vous êtes sérieux ? Je disais ça pour rire. Vous êtes séparatiste ,je; crois ? Vous l'avez déjà écrit. Pas moi. Je suis fédéraliste. J'aimerais bien que ça marche, le Canada. J'aimerais m'installer un jour du côté de Calgary, pas loin des montagnes. Je suis fou de planche à neige. Vous pensez vraiment que ce pays ne se fera jamais, je veux dire le Canada avec le Québec dedans ? Vous n'y croyez pas ?

Je n'y crois pas, c'est ça. J'ai le sentiment qu'on est devant deux pays très différents, c'est tout. Je ne crois pas qu'on trouvera un jour le moyen de les fondre l'un dans l'autre, je ne crois pas non plus que ce soit souhaitable. Je peux me tromper, bien sûr. Mais ce qui me préoccupe vraiment depuis quelques années, ce qui me passionne et me désespère en même temps, c'est moins l'issue du débat, que sa piètre qualité, son bas niveau. L'incroyable démagogie des politiciens et des groupes de pression, des deux côtés. L'absence de sérénité, la bêtise, notre vie en commun gâchée par une bande de tôtons qui ne sont pas capables d'accepter que l'on ne soit pas de leur camp. Ce qui est effrayant, c'est le nombre de tôtons d'un océan à l'autre. C'est l'ampleur de la démission civique. L'absence dans ce pays de vraie liberté de pensée. Ce qui est effrayant, c'est la proximité de la violence...

Pourquoi dites-vous qu'il n'est pas souhaitable que le Québec se fonde dans le Canada ? Avez-vous déjà pensé que la Suisse, c'est trois pays différents dans un, quatre langues officielles, connaissez-vous la Suisse ?

Si je connais la Suisse ! J'ai même un compte dans une banque suisse, mon vieux ! N'empêche que c'est un pays fabuleux pour la planche à neige, tu devrais y penser. Je ne veux pas te décourager, mais Calgary là, même quand on aime beaucoup le Canada, le cole slaw et les patates au four cuites dans du papier d'aluminium, c'est un peu inhumain.

Prenez-vous de la drogue M. Foglia ?

Un peu d'héroïne le matin. Jamais quand je conduis. Toi ?

Je l'ai laissé au métro Outremont et je suis allé remettre du gaz. " Juste cinq piastres, mon réservoir fuit. " Le pompiste m'a regardé croche. Si j'avais un compte en Suisse pour vrai, vous savez ce que je ferais ? Je changerais le réservoir à gaz de ce char de merde.