Le jeudi 16 avril 1998


Quand on instrumentalise la connerie
Pierre Foglia, La Presse

C'est entendu, Don Cherry est un des pires imbéciles qui ait sévi dans le sport, un univers pourtant très riche en nuls, en intempérants bavards et en fatigants de toutes espèces. Qu'on le rappelle à l'occasion, qu'on constate que Radio-Canada respecte peu son auditoire sportif pour lui imposer ce clown vaniteux, bien. Très bien.

Mais qu'on réclame sa peau, pas d'accord. Que des chroniqueurs, intempérants bavards eux aussi, s'érigent en professeurs de vertu, sportive, pas d'accord. Que des journalistes tirent un trait à la hauteur du 37e dessous de leur propre nullité et décrètent que c'est là, la limite à ne pas dépasser, pas d'accord.

Qu'on dénonce le racisme de Don Cherry, si on veut. Mais qu'on sache bien qu'on donne alors dans le genre de chasse aux sorcières des associations et des ligues puritaines du genre B'nai Brith qui a protesté, elle aussi, contre les excès de Don Cherry. Qu'on sache bien qu'en traitant Don Cherry de raciste on instrumentalise la connerie. Don Cherry est un con. Les cons ne sont pas idéologiquement racistes. Leur racisme n'est pas sulfureux. Il est juste con.

Le mépris de Don Cherry pour les Québécois, les Suédois, les Russes, les Finlandais, ne relève pas de l'opinion. Comme souvent les cons, Cherry n'aime pas les étrangers. C'est la plus banale des postures. Cela pose son ultra-patriotisme, au fait pas tellement différent de bien des politiciens à Ottawa et de quelques-uns à Québec. Rien de séditieux là-dedans. Que de la connerie ordinaire, banale, western.

Le manque de respect de Radio-Canada pour son auditoire sportif me semble beaucoup plus grave. C'est traiter le sport bien bas que de lui imposer ce mauvais clown. Radio-Canada ne tolérerait aucun bouffon du genre dans aucune de ses émissions culturelles. Mais c'est du sport, alors c'est pas grave. C'est cette attitude-là qui me fait chier.

Une bonne raison de débarquer Cherry, là seule, c'est qu'il est nul comme analyste et comme commentateur. Mais encore là, pas après une campagne menée par des presque aussi nuls que lui.

Certains se réjouissent ce matin de la décision de Bell Canada de ne plus commanditer Coach's Corner... Pas moi. C'est une très mauvaise nouvelle pour l'information. Oubliez cinq minutes que vous détestez Don Cherrv. On est devant quoi ? On est devant un très puissant annonceur qui sanctionne un contenu éditorial. Aussi pourri que soit ce contenu, la décision de Bell va dans le sens d'une aseptisation de l'environnement éditorial. Oubliez qu'il s'agit de Cherry. On est devant un puissant annonceur qui dicte sa morale en sanctionnant un contenu.

La morale de Bell, de Chrysler, de McDonald, de Procter and Gamble est dix fois plus pathologique, cent fois plus redoutable que la connerie de Don Cherry. Elle soumet l'opinion. Elle lave plus blanc. La prochaine fois que Bell retirera ses annonces, qui sait, ce sera peut-être parce qu'elle n'aime pas l'orientation politique du média ou parce qu'on y a parlé de cul, d'avortement, de cigarettes...

-----------------------------------------------------



Sur ce sujet, la dictature des annonceurs, à lire dans Le 30, - le journal des journalistes - l'excellent dossier de Charles Grandmont qui rappelle cette fameuse note de Chrysler aux magazines américains:

" Dans le but d'éviter des conflits potentiels, Chrysler demande à être prévenu d'avance de tout contenu éditorial qui traite de questions sexuelles, politiques ou sociales ou de tout éditorial qui pourrait être perçu comme provocant ou offensant "... Got it ?

-----------------------------------------------------



VIE PRIVÉE-

Comment comprendre cette jeune femme qui a porté plainte pour " atteint à la vie privée " parce que, photographiée à son insu, sa photo a été publiée dans un magazine ?

Comment comprendre la Cour suprême qui lui a donné raison ?

Comment débattre d'une question aussi niaiseuse ? N'a-t-on rien d'autre à foutre, rien d'autre à penser, pas d'autre problème philosophique ou moral plus intense que celui-là à débattre ?

Combien a-t-on photographié et filmé d'enfants en train de mourir ? Qui leur dira que dans un pays où on s'ennuie, une jeune femme a obtenu réparation parce qu'on l'avait photographiée assise dans un lieu public ? Qui expliquera à ces enfants que leur mort n'était pas privée, mais l'ennui de celle-là, si.

GUERNICA -

On me dit toujours du parc de la Gatineau à Hull que c'est un parc magnifique, mais infréquentable, trop de monde. C'est drôle, quand j'y vais, il n'y a jamais personne. Jeudi passé j'étais fin seul avec les chevreuils. Vers le sommet, de grandes sections de route enneigée obligeaient à mettre pied à terre. Je suis monté jusqu'au belvédère Champlain et retour, 40 kilomètres de dégâts, le parc a énormément souffert du verglas, des milliers d'arbres mutilés, c'en est grande pitié. On roule parfois sur un lit de copeaux et de branchettes comme si un million de castors neurasthéniques avaient rongé là leur angoisse.

La montagne reste belle pourtant avec un petit quelque chose de tragique qu'elle n'avait pas avant. L'impression de rouler dans un Guernica forestier.

MONTRÉAL-LES-CHAUSSETTES -

D'Italie, mes parents ont immigré dans une petite ville de Champagne crayeuse (la Champagne sans vigne ) où j'ai grandi. Cette miteuse petite ville s'appelait Romilly-sur-Seine mais on disait Romilly-les-chaussettes parce que c'était la capitale mondiale du tissage de la chaussette. Ma mère et mes soeurs travaillaient dans les filatures de chaussettes, elles rapportaient le soir à la maison des sacs de chaussettes dont nous devions " tirer les fils ", fastidieuse opération qui occupaient nos soirées. Quand j'ai immigré au Canada, à Noël ma mère m'envoyait des chaussettes. Quand mes enfants sont nés, ma mère leur a envoyé des chaussettes. Mes tiroirs sont encore pleins de chaussettes de Romilly-les-chaussettes.

La une de La Presse de mardi passé: " La société Iris investira 200 millions pour la construction, dans la région de Montréal, de la plus grande usine de chaussettes du monde ".

Non je n'ai pas pensé que mon passé me poursuivait. J'ai pensé qu'il m'avait rejoint. La boucle bouclée. J'ai pensé que j'allais mourir.

Qu'on m'enterre pieds nus, nom de dieu.

Parlant d'enterrer, salut Nick. C'était une fichue bonne idée cette fanfare dixieland, cet air de fête et la vie qui reprend de plus belle.

Fuck la mort.