Le jeudi 30 avril 1998


Dans la ville visible
Pierre Foglia, La Presse

Question aux Brochu, Savard, Coutu et autres bienfaiteurs qui veulent faire notre bonheur par le sport : d'où tirez-vous votre certitude qu'il y a assez d'amateurs de baseball dans la grande région métropolitaine pour faire vivre une équipe professionnelle de baseball ?

Ne vous dépêchez pas de répondre.

En fait, vous n'en savez rien. Pas plus que moi. Pas plus que les chroniqueurs et commentateurs sportifs. Ou que les politiciens opposés au financement public d'un nouveau stade.

La question est plus compliquée qu'elle n'en a l'air. Montréal est de plus en plus " ethnique " et les ethnies ne s'intéressent pas au baseball. Le public traditionnel du baseball de la grande région de Montréal s'effrite-t-il ? Dans quelle mesure a-t-il été submergé, éparpillé par les nouveaux arrivants très peu concernés par ce sport qui ne ressemble à rien de ce qu'ils connaissent ( alors que le hockey leur est immédiatement familier) ? Dans quelle mesure le vieux public du baseball se renouvelle-t-il dans Montréal la bigarrée ? Me semble que les jeunes se tournent de plus en plus vers le soccer ou le basketball ( en tout cas, je n'ai jamais vu, dans les parcs de la ville et d'ailleurs, autant d'animation sous les paniers ).

Il serait aussi utile de savoir dans quelle mesure les amateurs de baseball de la région montréalaise ont " la culture " du baseball. Ils ont la fièvre, ça on le sait, Ron Fournier nous donne leur température anale tous les soirs. Mais la culture ? Je veux dire cet attachement particulier au rituel du baseball qui relègue la défaite ou la victoire à un plan secondaire ? Avec un club en reconstruction pour au moins cinq ans, on voit l'importance de compter ceux qui n'attendront pas d'avoir la fièvre pour aller au stade.

Rappelons, à tout hasard, que Montréal est une ville pauvre. Ça ne veut pas dire que les villes pauvres ne vont pas au stade, ça veut dire qu'elles ont tendance à aller y chercher ce qu'elles ne trouvent pas ailleurs : des raisons d'exulter, de triompher. On fait souvent l'équation, ville riche-équipe victorieuse. C'est plus ou moins vrai. De nombreuses villes riches font vivre, très bien, des équipes perdantes. Et s'en contre-foutent. ( Toronto et ses Leafs sont un bel exemple ). Par contre, ce qui ne marche jamais, longtemps, c'est une équipe perdante dans une ville pauvre.

Alors ? Y a-t-il à Montréal et dans sa région assez d'amateurs de baseball pour faire vivre une équipe professionnelle de baseball ?

Je n'en sais rien.

Mais je sens bien que M. Brochu et sa gang d'hommes d'affaires ne le savent pas non plus. Je sens bien qu'ils vont de l'avant parce qu'il est dans leur nature de faiseux de faire. Dans leur nature entreprenante, d'entreprendre. Parce que ce sont des hommes d'action, de décision. Des élites, quoi. Eux savent ce qui est bon pour le peuple. Eux savent ce qui est bon pour Montréal : la visibilité.

De Drapeau à Brochu, toutes les bêtises qu'on a pu dire au nom de la visibilité ! Une invraisemblable collection de mensonges, de chantages, de promesses de retombées positives, de créations de jobs. Que ce soit à Cleveland (pour les Indians et les Cavaliers de la NBA ), à Baltimore pour les Orioles, à Oakland pour le retour des Raiders ), ces histoires de nouveau stade au centre-ville se terminent toutes de la même façon :

- les citoyens finissent par payer la note ;

- le prix des billets augmente ;

- les proprios et les joueurs s'en foutent plein les poches.

Mais bon, c'est le prix à payer pour être visibles. Selon les Brochu, les Coutu, les Savard de ce monde, ce pays n'existe pas par ses gens, pas par ses hommes et ses femmes qui le font chaque jour, il existerait par la grâce d'un groupe de peigne-cul millionnaires connus sous le nom d'Expos qui ont perdu 15-0 hier soir à Houston, ou gagné 3-2 à Milwaukee.

La preuve de notre exis-tence est une petite ligne dans le USA Today: Expos 3, Milwaukee 2.

Merci M. Brochu.

Et remerciez bien, pour nous, vos millionnaires peigne-cul.

***********************



Puisque nous y. sommes, parlons donc de sport, mais pour vrai cette fois. Parlons du marathon de Rotterdam il y a une dizaine de jours, et de l'exploit de la minuscule Kenyane, Tegla Loroupe, nouveau record du monde en 2 h 20 et 47 secondes. Et quand je vous dis minuscule : cinq pieds, 86 livres ! On est ici aux confins de l'humain et du manche de râteau.

Ce machin de rien a couru 42 km à 18 kilomètres à l'heure. Votre moyenne à vélo et encore. Le vieux record tenait depuis 13 ans.

Le lendemain, c'était le marathon de Boston que devait remporter, toujours chez les filles, la médaillée d'or d'Atlanta, Fatuma Roba. Une Éthiopienne (2 h 23). En mars, aux championnats du monde de cross-country, chez les juniors, huit Africaines aux huit premières places... Il aura fallu moins de cinq ans à la femme africaine pour sortir d'un presque esclavage et rattraper... Émile Zatopek, peut-être le plus grand athlète de ce siècle.

En 1952, Zatopek remportait le marathon olympique d'Helsinki en 2 h 23, c'était, mine de rien, trois minutes de plus que la minuscule Loroupe la semaine dernière.

Comme je le disais l'autre jour à ma fiancée nul pédalait un peu mollement à mon goût, je lui disais : Tu vois fiancée, en tête, on retrouve maintenant la femme noire, qui est presque l'égale de l'homme blanc. Assez loin derrière suit la femme blanche, mais la femme verte et mauve comme toi mon amour, la femme verte et mauve on n'en parle même pas, elle va au pas comme les ruminants. Et si tu veux qu'on arrive avant la nuit, tu devrais te bouger un peu le pis.

(C'était pour la rime).

Pour compléter votre information sur le marathon, le plus rapide de l'histoire a été couru en 1988 par un Éthiopien, Belayney Dinsamo, en 2 h 06 et 50 minutes. Un record qui ne tiendra plus bien longtemps. On l'a chauffé cette année à Rotterdam, et le lendemain à Boston, un peu plus de 2 h 07 dans les deux cas. On devrait battre ce mythique record d'autant plus rapidement qu'il paraît, selon un confrère de l'Équipe, que les marathoniens se seraient mis à l'EPO, la dope des cyclistes qui améliore de 15 % les capacités aérobies.

Bon ben, c'est tout. Je vais de ce pas me préparer une tartine d'EPO tout en regardant Canadien-Pittsburgh. On va bien voir si M. Corey avait raison, mardi au Parlement, de comparer son club à une industrie de haute technologie.