Vous avez mis un peu d'huile sur la chaîne et fait tourner les roues pour voir si rien ne frottait. Vous avez installé le rack à vélos sur le toit de l'auto. Fait beau. Direction Oka. Saint-Marc-sur-Richelieu. La Piste cyclable du canal de Lachine. Vous roulez 20, 35, 50. Fatigué, mais pas trop. Content. Vous me croisez le lendemain. Vous savez que je fais du vélo aussi. Vous me saluez. As-tu roulé hier ? Moi je suis allé du côté d'Oka. Ou le long du Richelieu à Saint-Marc. C'était super le fun.

Je vous dis oui, c'est vrai, c'est le fun.

Mais vous ajoutez : " Ç'est le fun, et ça met drôlement en forme aussi. "

Cette fois, je ne réponds pas. Parce que ça ne sert à rien. La forme est un des malentendus les plus répandus de notre l'époque.

Mais comme je suis un peu tanné de vous entendre vous raconter des histoires, je vais vous le dire pareil : le vélo récréatif, que nous faisons vous et moi, ne met pas forme. Ne fait pas maigrir. Ne donne pas, ou si peu, de souffle, ni d'endurance. Il donne du fun, c'est tout.

Avez-vous remarqué que lorsqu'on arrête de pédaler, le vélo continue d'avancer ? Et que vous et moi, cyclos récréatifs, sommes toujours en train d'arrêter de pédaler ?

Avez-vous remarqué, au contraire, que lorsqu'on arrête de jogger, on n'avance plus ? C'est toute la différence entre le jogging et le vélo. Le jogging va tout de suite chercher ce qu'on a dans le ventre. Le vélo ( récréatif, j'insiste ) est plein de temps morts, improductifs. Il faudrait toujours rouler au-dessus de 100 kilomètres et ça prend la journée.

La forme ? Tout simple. Joggez 20 minutes tous les jours. Le vélo, le canot, la marche, l'escalade, pour s'amuser. Le jogging pour la forme.

Et c'est rendu à ce stade de la conversation que vous me parlez immanquablement de vos genoux.

- Ouais, ouais, le jogging. Sauf que tu vois, moi je peux pas jogger à cause de mes genoux.

- Quoi, vos genoux ?

Y'ont rien, vos genoux. Sont rouillés c'est tout. Votre dos aussi est correct. Et vos hanches. Et votre coeur. Arrêtez donc de vous ausculter. " J'ai des trop gros seins pour courir ", me disait souvent les filles. Et mon cul madame, pensez qu'il ne rebondit pas quand je le bouge ?

Courir, quand on n'est pas un athlète, qu'on est un peu gros, un peu fatigué, un peu vieux, ça fait mal aux genoux, c'est sûr. Au dos et aux hanches aussi. Et sans doute aux seins. En fait, courir, ça fait mal partout. Et vos histoires de genoux et de dos, c'est juste une façon de dire que vous ne voulez pas avoir mal.

On y est. On est ici au coeur de l'époque.

Au lieu d'être sportive, cette conversation pourrait tout aussi bien être scolaire ( la difficulté d'étudier ), culturelle ( la difficulté d'appréhender une oeuvre complexe), ou existentielle ( no pain no fuckin gain )

Mais restons dans le sport. Et même, entrons dans un gymnase. Un Nautilus si vous voulez. Voyez tous ces bicycles stationnaires, ces tapis roulants, ces appareils à poulies, ces espèces de cerceaux pour le dos, que croyez-vous que vous vend la lucrative industrie du conditionnement physique ? Elle vend de la forme qui ne fait pas mal. Elle sait que vous haîssez avoir mal. Alors elle vous vend de la forme sans effort, en musique. De l'aérobie sous vide. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un coureur cycliste de ma connaissance, ( Michel Nepveu ) qui écrivait dans un texte que les journaux ont trouvé trop intellectuel pour le publier, que le sport est de plus en plus théâtralité, de, moins en moins quintessence... Il s'agit d'avoir l'air. Les milliers de femmes qui pratiquent la marche aérobie évacuent l'effort dans une gestuelle symbolique qui ne les fera pas maigrir, le symbolisme n'a jamais fait maigrir personne.

Mon ami coureur est juste en retard d'une mode. La marche aérobie a été remplacée par une nouvelle folie, un exercice nommé " pilates " du nom de l'Allemand qui l'a inventé au début du siècle. Il s'agit d'étirements plus ou moins zen qui visent à renforcer les muscles de l'abdomen. Aux States, et ça s'en vient ici, des centaines de centres d'entraînements ont acheté l'appareillage compliqué qui permet de pratiquer le Pilates. Madonna et Sharon Stone s'y sont mises. C'est la fureur de l'heure. Sa réclame illustre comme une caricature le propos de cette chronique : avec Pilates vous serez en forme sans sueur ni douleur. Youppi.

Des conneries. Du commerce. Lacez vos running. Sortez de chez vous. Joggez. Quand vous n'en pourrez plus, marchez. Recommencez à jogger quand le souffle vous sera revenu. Vingt minutes. Je vous jure, pas plus compliqué que ça.

Mais ça fait mal un petit peu.

TÉMOIN MAL CITÉ -

Quand vous êtes impliqué dans un accident automobile avec dégâts matériels, votre nom se retrouve dans les fichiers informatiques du Centre des renseignements policiers du Québec, le CRPQ. À côté de votre nom apparaît la mention : " cité comme témoin dans une cause d'accident ". Si vous vous faites voler votre voiture, vous serez cité comme plaignant dans une cause de vol. Si on vous soupçonne de vol, vous serez cité comme suspect. S'il s'avère qu'on s'est trompé, vous serez cité pareil, mais cette fois la mention précisera : cité comme témoin dans une cause non fondée de vol.

On peut voir la chose comme une autre atteinte à la vie privée des, citoyens, mais bon c'est comme ça. C'est pas le genre de truc qui m'excite beaucoup l'indignation. On est fiché partout, de toute façon, les banques, les gouvernements, les trucs de crédit, anyway...

Sauf que vous vous rappelez le gars l'autre jour qui s'est fait signaler à la police par les morons d'Astral Photo parce qu'il avait photographié son fils tout nu, ça a fait une grosse histoire dans les journaux, eh bien lui, au CRPQ, à côté de son nom, il est écrit : Cité dans une cause non fondée de pédophilie. C'est très embêtant. Le mot pédophilie est en lui-même une vomissure qui salit tout, et dans l'hystérie qu'il soulève, pas sûr que la mention " non fondée " n'atteigne pas un but contraire : induire le soupçon plutôt que le faire taire.

Si j'étais à la place du gars, je consulterais un avocat. Et un autre petit conseil : j'arrêterais de m'agiter dans les médias. La péladophilie, c'est fatigant aussi.