Le mardi 12 mai 1998


Perline, Jacques et les autres
Pierre Foglia, La Presse

On parlait dans mon journal en fin de semaine d'une famille de trois enfants (l'article le précisait incidemment ) prénommés Perline, Mikaël-Or et Rubis.

Un peu plus tôt cette semaine, mon journal toujours, je n'en lis pas d'autres, rapportait les tracasseries que fait le directeur de l'état civil du Québec à des parents qui veulent appeler leur petite fille Ivory. La règle, si j'ai bien compris, étant d'éviter les prénoms qui prêtent à rire, et on rirait ici de l'association avec une marque de savon connue.

Ne pensez-vous pas, monsieur le directeur, qu'on rira plus fort de Rubis, de Perline et de Mikael-Or que de Ivory ? Souhaitez-vous, à fin de démonstration, que je vous amuse de cette poudre de Perline-pimpin, de ce Mikael-Or qui se mutera assurément en argent, à moins que ce ne soit en étain, éteint comme dans " pas brillant " ? Tout cela en espérant que ses parents, sur leur lancée minérale, ne nommeront pas leur prochain filon, je veux dire leur prochain fiston, Tristan-Titane.

Votre projet de réglementer les prénoms est une vaine entreprise monsieur le directeur parce qu'il touche à plus profond que l'état civil. Savez comment s'appelle le père de Mikael-Or ? Il s'appelle Marcel. Savez-vous comment Mikael-Or, s'il n'est pas stérile ( ce qui ne serait pas du tout étonnant avec un prénom pareil ) savez-vous comment il appellera son fils pour se venger ?

Il l'appellera Ronald.

BOBO CARBURATEUR -

Les collègues qui font dans le vroum-vroum nous disent, plutôt cent fois qu'une, que la voiture de Jacques Villeneuve est, cette année, un cauchemar. On vous croit collègues, on vous croit. Mais l'an dernier, quand Villeneuve gagnait, disiez-vous, avec la même lourde insistance, que sa voiture était un chef d'œuvre ? Je crois plutôt me souvenir que l'an dernier, vous disiez que c'était le pilote qui était un pur prodige.

Ainsi en va-t-il dans ce sport de tôle, le " bon ", perd à cause de sa voiture et gagne grâce à ses qualités de pilote. Inversement pour le méchant. Sans sa McLaren injustement supérieure, Mika Hakkinen n'aurait jamais gagné un Grand Prix de sa vie, la réputation de Schumacher, on le sait depuis le dernier Grand prix l'an dernier, est complètement surfaite, mais, mille fois hélas, Villeneuve ne peut remettre ceux-là à leur vraie place de seconds, parce qu'il conduit une brouette.

Ainsi s'écrivent les choses dans le merveilleux sport du vroum-vroum. Ce n'est rien de neuf, mais on touche, cette année, au burlesque dans le cas de Villeneuve. Le jeune homme est toujours aussi brillant, fendant et baveux comme il sied de l'être à son âge et avec son talent, mais rien n'est plus ridicule quand on est un guerrier casqué, fendant et baveux, de sans cesse pleurnicher, bobo carburateur, bobo aileron, bobo suspension, whaô ! T'avais rien qu'à faire de l'aviron, Chose, si tu voulais pas d'ennuis mécaniques..

LA FORME ET LA FORME -

Selon ce qu'a écrit un sociologue français, qui l'a répété en entrevue à mon confrère André Pratte, le jogging serait un exercice de séduction. " Des petits riens comme la tenue qui donne le corps à voir, les attitudes, le rituel, la montre-chronomètre, font du jogging un lieu de séduction ", dit le sociologue.

Fort bien. Mais séduire qui ? Je vous raconte, docteur. Je cours à la tombée de la nuit sur des chemins je croise quelques chiens, des chevreuils, parfois un renard, deux fois un coyote, de temps en temps, il est vrai, un paysan qui revient des champs sur son tracteur, mais je vous donne ma parole que je n'ai jamais essayé de le séduire. Tout cela sans ajouter que sept mois par année je cours emmitouflé et encagoulé jusqu'aux yeux et donne bien peu à voir, comme vous dites, de mon corps d'athlète.

Le sociologue nous souligne qu'il est lui-même joggeur, mais c'est plutôt, ici, sa qualité de Français qui nous éclaire sur son oeuvre. Sans être sociologue, j'ai observé assez souvent les Français pour affirmer qu'ils sont les champions du monde du kit. Le Français est un sportif d'attitudes, il a toujours l'air d'un pro, surtout quand il est nul. Un vrai Français ne jogge pas sans son " sweatshirt " à mailles aérées. Pour sa première leçon de tennis le Français doit absolument enfiler au poignet ce petit bandeau de tissus éponge qui empêchera la sueur de mouiller son manche de raquette. Bref le Français est un peu poseur et c'est ce qu'illustre involontairement notre sociologue joggeur : le Français court pour la forme.

Ce qui n'est pas du tout la même chose que pour la forme.

TABLEAU D'HONNEUR -

Le Soi-disant, c'est le titre bien trouvé du plus petit journal de la province et sûrement du continent, tiré à 1000 exemplaires, écrit et distribué depuis quatre ans par des ados du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Deux ordinateurs dans un local prêté par la Maison de jeunes de la rue Ontario, une dizaine de journalistes entre 12 et 16 ans recrutés surtout à l'école Chomedey voisine, un animateur qui revoit les textes, et justement, parlant des textes, du solide, qui ne s'enfarge ni dans la rhétorique ni dans la provocation. Des jeunes qui disent les choses simplement, mais en regardant dans le dictionnaire pour voir comment elles s'écrivent. S'ajoute à l'équipe, un super bédéiste.

Bref, bien des journaux de cégep ne valent pas ces modestes feuilles-là, publiées par des jeunes du quartier le plus déshérité, le plus violent, le plus ci et ça de la ville. Vous savez bien, ce no man's land que M. Brochu a tellement hâte de quitter...

Le Soi-disant est financé par le Groupe communication collective, un organisme communautaire de prévention de la violence.

Pourquoi je vous parle du Soi-disant ? Pour le seul plaisir de nommer ceux qui le font, on nomme bien ceux qui font des dépanneurs à coups de barre fer, pourquoi pas ceux-là ?

Alors voilà, autour de l'animateur Sigfrid Tremblay et de la rédactrice en chef, Isabelle Tessier, 16 ans, on retrouve les journalistes Jérémie Viau, 16 ans aussi, Martin Hotte 13 ans, Roland Kay Doiron 15 ans, Yannick Blanchard 12 ans, Jean-Pierre Saintune 14 ans, Emmanuelle Pelland 12 ans, le super bédéiste s'appelle Duy Tran, et quand je suis passé l'autre soir, il y avait Laurence Poirier, 15 ans, qui venait d'arriver dans l'équipe, toute ébahie de se retrouver là, disons qu'elle revient de loin, même si c'était juste à côté.

Je les embrasse toute la gang. Et vous aussi, allez.