Le jeudi 14 mai 1998


Sur cette lune désolée...
Pierre Foglia, La Presse

J'en parlais l'autre jour avec Nathalie qui me disait n'être plus capable de lire les articles que les revues américaines commettent depuis des mois sur la dernière émission de Seinfeld (ce soir à 20 h, à NBC ). Je lui objectais que si tout le monde en parle c'est parce que c'est gros, et si c'est gros, n'est-ce pas notre devoir de chroniqueurs d'en parler ? Dussions-nous nous abaisser au niveau des 80 millions d'humains qui regarderont ce dernier épisode, passer ainsi pour des ploucs, et courir le risque de n'être plus jamais invité chez Marie-France Bazzo ?

Dilemme.

En tout cas moi, quand c'est gros, je n'ai pas honte d'en parler. Vous pouvez demander à Réjean. Qu'est-ce qu'on disait ? Ah oui, que je suis tanné de lire partout ces articles qui lèvent le nez sur Seinfeld. Même si j'ai perdu mon emballement du début, il me semble que cela reste un bien agréable moment de télévision. Ce qui me désole dans les réflexions sur Seinfeld, c'est ce mur que s'évertuent à dresser les intellectuels et certains confrères ( ils font le même exercice avec La Petite Vie ) ce mur entre le presque rien et le quelque chose, se dépêchant, bien sûr, de situer leur propos du côté du quelque chose. Ils ont un contenu, eux.

Faites-moi donc chier. Comme ça, depuis neuf ans, le jeudi soir, vous vous installez devant la télévision en vous demandant où vais-je, où suis-je, qu'est-ce que l'information et est-ce que la vie est une illusion ? Et quand Seinfeld vous répond : si la vie est une illusion alors j'ai payé ma chemise trop cher, cela vous fait soudain penser au grand vide idéologique de cette époque... Ben cout'donc. Pas moi. Je trouve Jerry, Kramer et George plutôt drôles. Pas moins que Woody Allen, autant que les Monty Python à l'époque ( qui ont mal vieilli ) et que les Marx Brothers, toujours inégalés, sauf peut-être par Lewis Carroll dont ils se sont largement inspirés, notamment dans Duck Soup.

Et à part de ça, je ne suis pas d'accord. Le presque rien ne fait pas la particularité de Seinfeld. Le presque rien est la tasse de thé d'à peu près tous ceux qui se crissent de l'actualité resucée et repiquée par un million de communicateurs qui finissent tous par dire cette même chose que vous appelez, sans rire, le contenu. Anyway. Ce qui fait la personnalité de Seinfeld, c'est l'écriture, l'éclatement du récit traditionnel, l'art de mêler les histoires et de les attacher ensemble par un point de broderie invisible. C'est ce qui fait qu'on a l'impression d'être devant une oeuvre, alors que lorsqu'on regarde Virginie, on a l'impression d'être devant une tarte au coconut.

Donc c'est ce soir la dernière de Seinfeld. Je ne suis pas de ceux qui pleurent. Depuis un an ou deux c'était moins génial. Passons à autre chose. N'empêche, que sur cette lune désolée qu'est très souvent la télé, Seinfeld aura fait faire un petit pas à... la lune.

MOMAN ! -

Une dame cherchait sa mère biologique. Elle s'adresse comme il se doit aux services sociaux, qui lui donnent assez rapidement des nouvelles : " Votre mère est d'origine hongroise, on la recherche, on vous contactera quand on aura des nouvelles. "

La recherche a duré vingt ans, émaillée, on le devine, de lettres impatientes de la dame. Finalement, il y a quelques mois, les services sociaux l'avisent que sa mère biologique est malheureusement introuvable et que le dossier était définitivement clos.

Puisque le dossier est clos, on veut bien donner à la dame le nom de sa mère, sa date et son lieu de naissance en Hongrie. La dame appelle alors au Régime des rentes à Ottawa. Explique son cas. Vous avez son nom et sa date de naissance ? Pas de problème. Retrouvée en Ontario, la mère laissait un message sur le répondeur de sa fille une semaine et demie plus tard.

C'est bien pour dire. On va-tu la chercher notre mère, quand on sera séparé !

ON ACHÈVE BIEN LES INHALOTHÉRAPEUTES -

Trois finissantes en inhalothérapie du cégep Rosemont qui attendaient impatiemment leur diplôme d'études collégiales (DEC), préalable pour passer l'examen de l'ordre des inhalothérapeutes, ont plutôt reçu la sommation de reprendre l'examen de français du ministère qu'elles avaient raté voici deux ans et demi. Sinon pas de DEC, pas d'examen de l'ordre, pas de job. Ça vous gâche un printemps.

À l'époque, on leur avait dit qu'elles n'auraient pas à reprendre cet examen. Il faut savoir que c'est seulement depuis janvier cette année que les étudiants sont tenus de réussir leur test de français pour avoir leur DEC... Les trois finissantes prétendent relever de l'ancien régime, et si elles se trompent, c'était de les avertir avant. " Les envoyer à cet examen sans préparation, c'est comme les envoyer à l'abattoir ", m'a dit le jeune homme de l'association étudiante qui défendait leur cause.

C'est ce qu'il a dit, à l'abattoir. Suspendues à des crochets par les parties tripes passées.

LE BONHEUR -

C'est l'histoire d'un type qui sait que sa blonde le trompe. C'est une petite histoire à la Cioran, le vieux Roumain triste dont je viens d'acheter les Cahiers ( Gallimard ). Alors voilà, le type sait que sa blonde le trompe, mais pendant 18 ans, il ne dit rien. Il ne dit pas, comme vous l'eûtes dit : va-t'en salope. Il souffre en silence pendant 18 ans, malheureux certes, mais pas tant que ça, heureux de son malheur, et fort de son silence. C'est le truc des stoïques et des martyrs de se nourrir de leur tourment et même de devenir plus grand et plus fort que lui, de devenir, en quelque sorte, le cancer de leur propre tourment.

Un beau jour, au bout de 18 ans, fortuitement, le type et sa blonde s'expliquent, et horrifié, le type comprend qu'elle ne l'a jamais trompé.

Il se tue.

C'est la grande question : comment être heureux quand on n'a pas mal ?

Je vous parlais de Cioran, le vieux Roumain triste, sachez avant de vous précipiter chez les libraires qu'il a écrit un Précis de décomposition, un Bréviaire des vaincus, des Syllogismes de l'amertume et qu'il a écrit surtout : De l'inconvénient d'être né, bref que toute son oeuvre interroge la nécessité de vivre, ce qui ne l'a pas empêché de mourir très vieux, sans doute pour nous montrer que tout cela, au fond était une blague, je veux dire de la littérature.