Le jeudi 21 mai 1998


La vie à la campagne
Pierre Foglia, La Presse

Un petit couple de la ville songeait à se retirer sur la grande terre, plus de cent acres, qu'il avait achetée voilà longtemps du côté de Richmond dans les Cantons de l'Est. On démolirait le chalet d'été pour le remplacer par une grande maison confortable. La commande fut donnée à un constructeur de maisons. L'arpenteur vint en premier comme toujours, et c'est là que le couple apprit qu'on ne construit pas sa maison où l'on veut, même sur sa terre. On doit le faire à l'intérieur d'un périmètre précis d'un demi-acre qui, ici, ne convenait pas vraiment. Le couple fit valoir à la Commission de la protection du territoire agricole que, juste à côté du périmètre imposé, (on parle de quelques mètres de différence), le sol se prêtait mieux à des fondations. Après de longs mois d'attente, la Commission refusa de déroger de quelques mètres, refus confirmé par le tribunal d'appel.

Pour quelques mètres ! ronchonnèrent les déboutés.

Ah ces gens de la ville... Les fonctionnaires leur firent valoir que quelques mètres ici, quelques mètres là, ce n'est pas long que le diable est aux vaches et l'homogénéité de la communauté agricole aussitôt compromise.

Notre petit couple baissa la tête, honteux de n'avoir pas pensé de lui-même à une chose aussi fondamentale que l'homogénéité de la communauté agricole.

Aussi, quand le petit couple a appris l'autre semaine que la ligne haute tension de l'Hydro passerait dans leur cour il a téléphoné à Hydro : et si ces pylônes, de la hauteur d'un édifice de dix étages, allaient briser l'homogénéité du territoire agricole ?

Pas du tout, les a-t-on rassurés à Hydro.

Je vous laisse imaginer le soulagement du petit couple.

Entre les pylônes, les porcheries, les séchoirs qui donnent l'impression d'avoir un DC-10 dans sa cour, les méga-scieries, les carrières et leurs camions de gravelle, l'usage massif des pesticides, les aménagements récréo-touristiques genre glissades d'eau et les villages de condos, la campagne québécoise atteindra bientôt à l'homogénéité des parcs industriels : du bruit et de la pollution partout.

Sans vision, sans plan d'aménagement du territoire, et en pestant contre les écolos qui parlent de qualité de vie sans jamais en évoquer le coût, les pouvoirs publics, avec l'approbation de l'UPA, sont en train d'abolir le paysage et le silence au nom du sacro-saint " droit de production " Et c'est à la fois un désastre et une grande pitié.

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LA PETITESSE DES BÂTISSEURS DE GRANDS PARKINGS -

Il y a dans ma région quelques maires de villages rock'n'roll, qui tournent les coins ronds et vont en politique comme dans leurs champs, plantant des piquets de clôture où bon leur semble. Ne sont-ils pas chez eux ? On leur dit, ben voyons donc, monsieur le maire, vous ne pouvez pas faire ça, vous êtes en conflit d'intérêts. Ils vous regardent de côté : Ah non, je ne peux pas ? Ils ne sont pas aussi innocents qu'ils en ont l'air. Mais le fond est bon.

Il y a aussi dans ma région, dans les villes moyennes, Bromont, Cowansville et surtout Granby, des petits seigneurs de province qu'on eût appelé, à une autre époque, des hobereaux. J'aime le mot, hobereau. Il évoque la petitesse des bâtisseurs de grands parkings. Ainsi le maire Duchesneau à Granby.

Il y avait, rue Dufferin, à Granby, attenante à un édifice de la ville, une belle maison de briques, avec une âme et une histoire. Sans avertissement, sans avis public, le maire l'a fait démolir l'autre matin. La décision avait été prise à la vapeur au conseil municipal de la veille. Le lendemain matin, un bélier mécanique foutait la belle maison à terre. Youppi, on pourra agrandir le parking de l'édifice voisin. Quand les journalistes ont demandé au maire pourquoi tant de précipitation, il a répondu, one for the book, il a répondu : " Il fallait agir vite, SINON ON AURAIT SUSCITÉ UNE POLÉMIQUE.. si on avait attendu trois semaine combien d'articles les journalistes auraient-ils écrit là-dessus ? "

Savez-vous, monsieur le maire, comment des esprits moins pragmatiques que le vôtre nomment ce genre de polémique que vous cherchez à éviter à tout prix ? Ils appellent cela la démocratie. Sont-ils assez fous ?

Ah oui, j'oubliais, le mot hobereau qui vous va si bien, désigne aussi une sorte de rapace. " De petite taille ", ajoute le dictionnaire. Je vous assure.

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POUR LE BONHEUR DES OURS -

Sur le parcours de vélo que j'emprunte le plus souvent, il y a un élevage de wapitis, vous savez, ces espèces d'orignaux de la toundra qu'on élève par ici pour leurs cornes. La corne de wapiti est un aphrodisiaque très prisé des Chinois, semble-t-il, comme les testicules du tigre, les viscères de l'ours, le pénis du phoque, l'oreille du castor et le genou du boa. Je pensais à ça en passant devant l'enclos de mes voisins wapitis : et si on envoyait aux Chinois quelques caisses de Viagra ? Ce sont les ours qui seraient contents. Et peut-être les Chinoises aussi.

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UNE TRÈS MAUVAISE HABITUDE ALIMENTAIRE -

L'élimination du Canadien est déjà loin, n'empêche que la modeste prestation de ses gardiens, devenue affaire nationale, nous a révélé une bien étrange pratique : saviez-vous que l'amateur de sport d'ici, lorsqu'il est bouleversé, mange ses bas ?

Deuxième match à Buffalo. Moog patauge. L'amateur de sport réclame Thibault. J'ai entendu cent personnes dont un animateur de radio dire qu'elles " mangeraient leurs bas ", si on ne mettait pas Thibault dans les buts pour le troisième match.

Troisième match, Thibault s'écroule, quatre buts en onze lancers, il est remplacé par Théodore. Qui ne fait pas de miracle, lui non plus, sur le but des Sabres en supplémentaire, mais le peuple le réclame pour le quatrième match. (Une chance qu'il n'y a pas eu un cinquième match, ils auraient réclamé Manon Rhéaume.) Bref, j'ai entendu cent personnes, dont un chroniqueur, dire qu'ils mangeraient leurs bas si ce n'était pas Théodore.

Ce fut Moog. Et Théodore en relève dans une cause perdue. Le Canadien est éliminé, mais ça ne fait rien, le peuple s'est trouvé un grand gardien pour l'an prochain : Théodore... Il aurait du Patrick Roy dans le nez, dit le même chroniqueur, prêt à manger une seconde paire de bas si Théodore n'est pas le gardien numéro un l'an prochain.

Je crois que les amateurs de sport ne devraient jamais manger leurs bas. Je crois qu'ils doivent absolument garder leurs pieds au chaud, parce que c'est là qu'est leur cerveau.