Le mardi 9 juin 1998


Tours de piste
Pierre Foglia, La Presse

Ce garçon nous rend intelligent, disais-je de Jacques Villeneuve l'automne dernier. Sans doute. Mais sans doute ne sommes-nous pas devenus assez intelligents pour lui, puisqu'il nous a traités comme des enfants un peu retardés toute la semaine dernière.

C'est quand la fête ?

Dans quatre dodos.

Le jeudi, Villeneuve nous a dit que sa saison commençait véritablement à Montréal Le vendredi, il nous a dit que ça irait mieux samedi. Le samedi, que ça irait mieux dimanche. Mais le dimanche, la voiture n'était toujours pas au point, bobo suspension, bobo freinage, bobo pneus, en plus il a conduit comme un pied, et le jour de gloire a été reporté à dans trois semaines.

N'étant pas passionné de course automobile, je ne suis pas déçu du pilote. Seulement peu déçu du jeune homme trop vite rentré dans le rang des champions prévisibles qui disent ce que leur agent leur dit de dire, juste assez pour alimenter les discussions pathétiques des fans, mais pas trop, pour ne pas nuire au spectacle, à l'organisation et surtout aux commanditaires.

Certes, après la course, Villeneuve ne s'est pas gêné pour critiquer le pilotage dangereux de Schumacher. Mais il l'a fait sans cette souriante insolence qu'il affichait quand il gagnait, et qui fait toute la différence entre le petit baveux sympathique qu'il était et le râleur un peu chiant qu'il est devenu. Toute la différence entre l'ironie et le dépit.

Ce fut donc un Grand Prix formidable. Tout le monde le dit. Des carambolages, des sorties de piste, une voiture qui monte sur une autre comme un taureau sur une vache, un début d'incendie.

Du sport, quoi.

Un doute effleure parfois, pas longtemps, l'esprit de certains de mes confrères. Les pilotes sont-ils des athlètes ? se demandent-ils ponctuellement, à chaque Grand Prix. Pour les autres pilotes on ne sait pas, mais Jacques Villeneuve est assurément un athlète, la preuve, il jogge. Un collègue de Radio-Canada, dans son grand empressement à nous le présenter en marathonien de la Formule 1 nous a même rapporté cette semaine que Villeneuve joggait QUATRE HEURES PAR JOUR. Et ta soeur Chose, elle marche ou elle court ?

Qu'un journaliste sportif puisse sortir une telle énormité montre à quel point le discours sportif est devenu oiseux. On ne sait plus de quoi on parle quand on parle de sport, on confond tout, mais surtout, on confond performance athlétique et bonne forme physique. Je suppose que Villeneuve jogge quarante minutes par jour comme tout le monde, ce qui est bien assez pour le maintenir en forme. Mais, et c'est ici que les esprits s'embrument, être en forme ne signifie pas qu'on soit un athlète. C'est la performance qui fait l'athlète, pas la forme. Villeneuve, s'il court aussi souvent qu'il s'en vante, doit tourner environ huit kilomètres aux 40 un poil plus vite que la moyenne des ours, mais rien qui ne l'autorise à écrire à sa mère : look ma, no hands.

Quand Villeneuve a fini de jogger il s'assoit dans son char et vroum, vroum, il part. Oui oui, c'est dur chauffer une Formule 1, vous me le répétez à chaque fois. Faut être en forme, c'est sûr. Mais c'est pas plus dur que planter des arbres toute la journée, le dos courbé, comme mon voisin qui est très en forme aussi, mais qui n'est pas un athlète, ou qui en est peut-être un, on ne le saura jamais, pour le savoir faudrait qu'il pratique un sport.

Villeneuve aussi. Faudrait qu'il pratique un sport pour qu'on sache si c'est un athlète.

L'ANTI-SPECTACLE -

Puisqu'on parle de jogging, je vous signale, si vous l'avez manqué, le record du monde du dix kilomètres établi par l'Éthiopien Gebreselassie la semaine dernière, en Hollande. 26,22. Cinq secondes de moins que le record précédent ( qui appartenait au Kenyan Paul Tergat ). On approche doucement du moment fabuleux où ces surhommes vont courir le 5000 sur la base d'une minute au tour de piste, ce qui est absolument délirant pour une simple machine humaine. Mais je vous l'accorde, pour le tôton moyen égaré dans les estrades, c'est juste un gars qui court à pied, rien de bien spectaculaire, pas de carambolages, ni de sorties de piste, ni de début d'incendie. L'anti-spectacle, quoi.

AMÈRE AMERICA -

Puisqu'on parle de sport signalons cette écoeuranterie qui a cours aux États-Unis sur le circuit de la course à pied, une discipline totalement dominée par les Africains, surtout les Kenyans. Tannés de devoir donner des bourses à des Nègres même pas Américains, les promoteurs de courses ont trouvé un truc : une prime au premier Américain, une prime plus importante que celle donnée au vainqueur ! Genre 3000 $ au gagnant du dix kilomètres de Boulder, et 6000$ au premier Américain, même s'il termine aussi loin que la 14e place. Une pratique approuvée par la fédération d'athlétisme américaine... qui n'y voit qu'un moyen comme un autre pour encourager les talents locaux ! Résultat ce n'est plus meilleur qui gagne. C'est le plus Blanc ( note : les coureurs de fond américains sont presque tous Blancs )... Non, on n'a pas parlé de cela dans The Gazette. Pourquoi je dis ça ? Parce que je viens juste d'imaginer ce qu'on écrirait dans The Gazette et dans le Toronto Sun si, au marathon de Montréal, le premier francophone recevait une bourse deux fois plus grande que celle du vainqueur.

LE GIRO -

La victoire du petit grimpeur chauve Marco Pantani dans le Tour d'Italie, qui s'est terminé dimanche à Milan, est la meilleure chose qui soit arrivée au cyclisme professionnel depuis la retraite de Miguel Indurain. Tiré par les puissantes locomotives que sont Ullrich et Riis, le cyclisme sur route était en train de devenir aussi prévisible qu'un voyage en TGV. Une sorte de cabri des montagnes caracole maintenant devant ces locomotives qui s'essoufflent à le suivre. Alors, même scénario dans le prochain Tour de France ? Pas sûr. Le cabri sera fatigué. Et la pente plus douce lui sera moins favorable. On verra bien. En attendant l'Italie a trouvé dans ce chauve miraculé revenu d'un très grave accident, un personnage excessif et mystique comme elle les aime : un peu tragique, un peu bouffon.

LE MONDIAL -

Le Mondial commence demain mon vieux. Vous le saviez ? Vous en savez des choses. Mais vous ne savez pas qui va gagner. Moi si. Lalalère.