Le jeudi 30 juillet 1998


D'amour et de vaseline
Pierre Foglia, La Presse

Il y a les bons livres, pas si répandus. Et il y a les livres bons, encore moins courants. La Maladie de Sachs de Martin Winckler est les deux : un bon livre et un livre bon. C'est vous dire s'il est rare.

Le livre commence quand le docteur Bruno Sachs accroche sa plaque au portait de son nouveau cabinet : Docteur Bruno Sachs, Médecine générale.

Les presque 500 pages qui suivent racontent la pratique du docteur Sachs, telle que la vivent ses patients, sa secrétaire, ses collègues médecins, le pharmacien, ses amis. Un livre tout simple, un peu déroutant au début, le temps que l'on s'habitue au changement de narrateur à chaque paragraphe.

La salle d'attente du docteur Sachs est pleine d'une humanité moyennement souffrante, grippe, ulcères, oreillons, cancer, solitude. Le docteur Sachs prend la pression, sonde les gorges, les oreilles et le reste.

- Mmmmh... depuis quand ces démangeaisons ?

- Quatre ou cinq jours...

- Et votre mari, ça le démange aussi ?

Un bon docteur. Un soignant. Qui essaie de comprendre ce qui arrive aux gens. Qui prend le temps d'expliquer. Un docteur avec une conscience sociale, de la race de ceux, nombreux, que l'on trouve dans nos CLSC.

- C'est peu de chose docteur, mais l'autre jour vous avez aidé ma femme à s'asseoir, je sais bien que ça ne l'empêchera pas de mourir, mais c'est un petit geste que ne faisait pas l'autre docteur... Je sais qu'elle va mourir, elle aussi, mais c'est fou le bien que vous lui avez fait juste en posant votre main sur son bras, comme l'autre fois...

Le docteur Sachs, comme jadis notre bon docteur Ferron, a la passion d'écrire. À quoi sert-il d'écrire quand on est médecin ? " D'abord à coucher sur le papier tous les patients que j'ai vu mourir. Tous les bébés que j'ai vu naître. " Ferron dit cela quelque part. Sachs aussi, étonnamment. " J'ai vu passer des milliers de patients, je ne me souviens que d'une cinquantaine ; écrire, pour un médecin comme pour n'importe qui, c'est prendre la mesure de ce qu'on ne se rappelle pas, écrire ça se fait contre la mémoire et non pas avec. Écrire c'est mesurer la perte. "

On sort de ce livre-là tout attendri. On n'a rien appris vraiment. On savait cela que " le corps souffre parce que le corps vit ". On savait que la souffrance n'était ni rédemptrice ni punitive. Qu'elle est seulement partie de la vie. Que la santé n'est pas le bonheur. Et la médecine pas une philosophie.

On ne sort pas de ce livre-là guéri de nos angoisses. Juste ému par la bonté du docteur Sachs qui nous dit qu'il n'est qu'une façon de soigner : en aimant un peu.

- Même quand vous me rentrez un doigt dans le cul pour me tâter la prostate, vous m'aimez un peu, docteur ?

- Même.

- Remettez quand même un peu de vaseline, s'il vous plaît.

Poisons -

Juan Antonio Samaranch, le président du Comité international olympique, vient de fait monter la pression des tartufes en déclatant au journal espagnol El Mundo qu'il était favorable à une forte réduction des produits dopants interdits. Pour une fois que ce vieux croûton ne dit pas des conneries, le public lui tombe dessus...

Le public se fait de la dope une idée obsolète. Style Allemagne de l'Est. Style Ben Johnson. On n'en est plus là. On est en plein dans l'usine à monstres, mon vieux. On est tout près du clonage. Je ne déconne absolument pas.

Oubliez le Tour de France une seconde. Écoutez bien ça. En Californie, on vient de demander à 2000 sportifs du dimanche, des gens comme vous, et comme moi donc, qui ne sont absolument pas des athlètes, qui n'ont jamais fait de compétition dans rien, qui joggent, qui pédalent, qui nagent, qui rament, qui canotent pour leur plaisir, pour leur santé ( ! ), s'ils avaient déjà pris de la dope : 162 ont répondu oui. Huit pour cent ! C'est fou, 162 tatas qui se bourrent de dope pour LE FUN ! Pour faire un chrono. Pour mettre une demi-longueur de piscine dans la gueule de leur chum. Pour faire une pancarte comme disent les cyclos, et battre d'un pneu les copains du dimanche matin. Réalisez-vous bien ?

On vient de pogner sur les diurétiques une nageuse synchronisée ( la Mexicaine Perla Ramierez ). Aux derniers Internationaux de France ( tennis ), ils ont pogné sur la nandrolone une jeune Américaine de 18 ans ( Samantha Reeves ) qui venait de passer pro... la nandrolone est le dernier chic en matière d'anabolisant, et la dope par excellence du soccer. La jeune femme a dit qu'elle en prenait pour maigrir. C'est pas une bonne idée. Elle devrait voir les énormes cuisses des joueurs du Mondial.

Vous vous rappelez le nageur russe Alexandre Popov ? Deux médailles d'or à Atlanta. Tout le monde le disait dopé. Ils l'ont jamais pogné. Mais son grand rival Américain, Gary Hall, deux fois deuxième, deux fois enragé, deux fois battu par Popov, Hall qui disait que Popov pissait du stanozolol, eh bien Hall vient d'être contrôlé positif !

On revient au Tour de France. Un coureur actuellement en course - qui veut garder l'anonymat bien entendu - a raconté à Yves Bordenave, un des journalistes du Monde qui couvre le Tour, le détail de son suivi médical. Décembre : deux cachets d'anabolisants tous les matins, une injection de testostérone par semaine. Janvier : Injections d'EPO un jour sur deux. De mars à septembre : Injections d'EPO un jour sur deux, plus hormones de croissance. Coût: 14 000 $ par année. Plus le médecin qui surveille tout ça : 1000 $ par mois.

Il est encore dans le peloton, ce coureur-là. Il roule tandis que vous lisez ces lignes. Peut-être même qu'il est en échappée. Il a été testé hier. Négatif évidemment. Imaginez, toutes ces descentes, toutes ces saisies, toutes ces seringues trouvées dans les poubelles... et pas un seul coureur positif ! En date d'hier, le Labo national français pour le dépistage du dopage ( à Châtenay-Malabry ) indiquait que tous les contrôles effectués depuis le départ du Tour s'étaient avérés négatifs.

Samaranch a raison de douter de l'efficacité des méthodes répressives. Mais moi, j'irais plus loin : je foutrais la liste des produits dopants à la poubelle.

J'exigerais que sur les petites bouteilles d'EPO, de testostérone, de perfluorocarbone, etc., les laboratoires qui les produisent écrivent en rouge : POISON. Et je ne demanderais plus jamais aux athlètes s'ils en prennent. La seule question un peu personnelle que je me permettrais de leur poser, serait, celle-ci : " Sais-tu lire, ducon ? "