Le samedi 1 août 1998


Le mot que je cherchais
Pierre Foglia, La Presse

L'été a été mortel. Titouse, mon écaille de tortue, ma tueuse de couleuvres, ma chatte si laide d'être malade que je croyais que même la mort n'en voulait pas. Un squelette de chatte. Quand on la prenait, c'était comme prendre un sac d'os, elle n'avait plus que ses yeux de vivants et son museau qu'elle me tendait pour que je le gratte du bout du doigt... Elle est morte pendant que j'étais au Mondial. Un jour, j'arrête pour prendre de l'essence. C'était du côté de Toulouse. Il y avait une cabine téléphonique, j'ai appelé ma fiancée. Allô fiancée. À sa voix, je me suis douté.

- Qu'est-ce qu'il y a ?
- C'est la Titouse.
Je sus parti à pleurer. Le type dans la cabine à côté me regardait. Il devait penser que j'avais perdu ma mère. Quand je suis rentré, je suis allé tout droit sous l'arbre où Titouse est enterrée.

- C'est quoi ces fleurs funéraires que t'as plantées dessus ?
- Des orchidées de paon.

Juste comme j'allais repartir à brailler, ma fiancée a ajouté : " Je les ai achetées chez Réno-Dépôt. " Ça m'a fait rire. Réno-Dépôt, la trivialité, je ne sais pas quoi. J'ai dit : " Oh et puis merde, c'est juste un chat. " Des fois, d'être un peu con guérit d'être beaucoup triste.

L'été est outrancier. Dans le jardin, les pommes de terre sont énormes et les choux assez gros pour qu'on y trouve des jumeaux. Ça me fait penser qu'une dame dans un village voisin vient de donner naissance à son septième enfant. J'ai appelé CNN, ABC, NBC, CBS. Ils m'ont dit : Pis ?... Je pensais que ça les intéresserait vu que l'autre fois, quand la dame aux États-Unis a mis au monde des septuplés, ils étaient tous là. Ce n'est pas pareil il paraît. Sept, l'un après l'autre, ça ne compte pas. Alors que sept en même temps, c'est un exploit. Pfff, si ça se trouve, elle était droguée, comme au Tour de France. Les gens sont capables de n'importe quoi pour passer à la télé.

L'été est vide, tout le monde est parti en vacances, mon dentiste aussi. C'est un tout jeune homme qui le remplace. J'ai lu sur son diplôme encadré sur le mur de la salle d'attente qu'il vient de sortir de l'école, et j'ai eu un doute douloureux :

- Ce n'est pas la première dent que vous avez allez arracher au moins ?

- Si, pourquoi ?

Un petit drôle. Après, il m'a dit qu'il arrachait en moyenne trois dents pas jour. " Ça va pincer un peu ", m'a-t-il averti en me piquant le palais. Un grosse dent, à trois racines. Il a dû la scier avant. Ça faisait les mêmes craquements dans ma bouche que la fois où ils ont brisé le ciment pour refaire l'entrée de la cave. Mais je n'ai rien senti du tout. C'était dans ma bouche et en même temps ça ne me concernait pas, comme si je m'étais absenté un instant de moi. Ça m'a donné une idée : c'est là que je veux aller en vacances la prochaine fois. Mais non, que vous êtes bêtes, pas en vacances chez mon dentiste. En vacances là où je ne suis pas.

L'été est plein de tracteurs qui se hâtent de rentrer le foin avant la pluie. C'était l'autre soir au déclin d'une journée écrasée de chaleur, une journée sans un souffle, une journée qui avait passé si lentement qu'elle semblait détachée du temps, une journée cataleptique, voilà, c'est le mot que je cherchais, cataleptique. J'ai mis pied à terre, sorti mon carnet de la poche arrière de mon maillot de vélo, et j'ai noté " cataleptique ".

- Encore en train d'écrire, m'a lancé joyeusement M. Mahana du haut de son " voyage " de foin...

- Je ne sais rien faire d'autre !

C'est de toute façon ce qu'ils pensent de moi dans le coin. Que je ne sais pas faire autre chose, alors aussi bien le dire. Ça leur fait plaisir. D'ailleurs, il m'arrive de penser que c'est plus grave encore, que ce n'est pas tant que je ne sais pas faire autre chose, mais je ne peux pas faire autre chose.

ENFIN LA FIN DU MOYEN ÂGE ? -

Il y a des gens qui se demandent encore " qu'ossa donne les unions ". Eh bien dans le cas de l'Alliance de la fonction publique du Canada, cela va donner quelques milliards à quelque 200 000 salariés, commis et secrétaires surtout, des femmes surtout, injustement sous-payées pendant des années. En condamnant Ottawa à les dédommager rétroactivement, le Tribunal des droits de la personne consacre le principe de l'équité salariale : à travail égal, salaire égal.

Quand j'ai entendu la nouvelle à la radio, j'ai eu un étonnement de nanti : " Comment ? Nous en sommes encore là ? " On débat en cette fin de millénaire des intégrismes, des nationalismes, de l'action humanitaire, d'un contrat social de troisième type dont le travail ne serait plus l'unique monnaie d'échange, on débat de la fin de l'écriture, du droit d'asile, du retour du spirituel, on se dit qu'on vit une époque formidablement ouverte, intelligente, moderne, et un midi, comme ça, en plein mois de juillet, on apprend qu'il a fallu 14 ans de procédures cheap pour faire admettre au gouvernement du Canada que, pour un travail égal, il devait payer un salaire égal.

Il y a des gens qui se demandent si ça veut dire encore quelque chose d'être de gauche en 1998. Ça veut dire au moins ça : obliger les plus forts à un minimum de décence.

LES BOYS -

Je viens de louer le film Les Boys que j'ai trouvé d'une vertigineuse médiocrité. Je le dis sachant que Les Boys est le plus grand succès commercial du cinéma québécois. Plus de 5 millions de recettes avant sa récente sortie en vidéo. Je le dis sachant que vous l'avez aimé, mais je ne vous cherche pas chicane. Pas du tout. Je suis seulement fasciné par l'état de la culture. Et la place de chacun de nous là-dedans.

Et comment tout ça va finir.

Je me situe à peu près à égale distance des Boys et des intellectuels, ceux de la densité, ceux qui entendent Joyce ricaner quand ils le lisent. Et de là où je suis, si je m'emmerde un peu ( finalement je ne ris ni avec Les Boys ni avec Joyce ), je suis par contre drôlement bien placé pour évaluer les distances. Vertigineuses.

Des distances plus effarantes qu'entre riches et les pauvres. Et plus graves. Parce qu'on n'en parle jamais et qu'on ne fait rien pour les réduire.

ABITIBI -

La bande-annonce truquée sur l'Abitibi-Témiscamingue qui montre des paysages d'ailleurs - il fallait bien montrer aux touristes autre chose que des épinettes - a donné des idées étonnantes à certains. Ainsi Venise qui ne sait plus comment endiguer le flot toujours grandissant des touristes qui la submergent, Venise a décidé de tourner sa prochaine bande-annonce à Rouyn.