Le jeudi 27 août 1998


Les melons de Missisquoi
Pierre Foglia, La Presse

La Pommeraie s'annonce sur la route des vins, entre Stanbridge East et Dunham. Entre l'Orpailleur et les Côtes d'Ardoise. À peine engagé sur le chemin Godbout, c'est tout de suite là, 35 000 pommiers, à flanc de collines. La maison et les bâtiments du pomiculteur sont en contrebas. Un petit kiosque marque l'entrée de la cour, on peut y acheter des... melons !

Pas des pommes. Des melons cavaillons et des prunes. Décidément cette route-là, avec ses vignes et maintenant ses melons, se prend pour une autre, qui serpenterait pleine de soleil et d'insouciance, quelque part en Toscane ou en Provence.

Le cavaillon, du nom de la ville de Provence qui s'en est fait une exclusivité, est un petit melon très sucré, très odorant, une primeur de luxe que les Provençaux ont colonisé (1) en clamant bien haut qu'il n'est de bons cavaillons qu'à Cavaillon. Ils seraient bien scandalisés de le voir pousser ici, au pôle Nord (2)...

Jean-Louis Roy, propriétaire de la Pommeraie, pour se désennuyer de ses 35 000 pommiers, cultivait le rugueux cantaloup que les maraîchers de la région de Saint-Rémi récoltent à la tonne. Pas grand avenir de côté-là. " Tu devrais essayer le cavaillon, lui ont conseillé ses voisins vignerons. Si on a réussi à faire pousser de la vigne, pas de raison que tu ne fasses pas pousser des cavaillons, avec à peu près les mêmes méthodes, en réchauffant la terre, en protégeant les plants avec des toiles de plastique "...

C'était il y a huit ans. Jean-Louis Roy a importé dix graines de cavaillon à 33 sous la graine. Il récolte aujourd'hui 16 000 melons par été, on les trouve dans les épiceries fines de Montréal comme Anjou-Québec, avenue Laurier, où on les paie 3,99 $ pièce ( ceux qui viennent de Cavaillon pour vrai sont à 7,95 $ ! )...

L'idée des prunes aussi, Jean-Louis Roy est allé la chercher en Europe. Dans la vallée de la Loire où il a un ami qui travaille dans un verger expérimental.

- La prune italienne est trop fragile pour le Québec. Ça me prendrait quelque chose de plus rustique...

- Bien sûr, tu connais la Mont-Royal, a tenu pour acquis l'ami Français...

Petite prune bleue, plus ronde que l'italienne, la Mont-Royal couvrait jadis le mont Royal de Montréal. Les Français l'ont importée chez eux. Tandis qu'ici, elle tombait plus ou moins dans l'oubli. Jean-Louis l'a rapatriée. Il en récolte 6000 livres ces jours-ci.

Tout cela pour s'amuser ou presque. Son vrai travail, c'est toujours les 35 000 pommiers.

Je vais vous confier un secret sur la fameuse route des vins, bientôt la route des vendanges, la route de l'Orpailleur et autres vignobles célèbres. Le secret ? Le meilleur truc à boire sur cette route n'est pas le vin. Le meilleur truc, et de loin, c'est le jus de pomme de la Pommeraie (3).

Il n'y a rien de surprenant à cela, notez bien. Les pommiers sont ici chez eux, alors que la vigne n'est qu'une touriste. Comme vous.

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(1) En réalité, à l'origine, le cavaillon était cultivé beaucoup plus au nord, en Charentes, d'où son autre nom : Le Charentais.

(2) Pour les Provençaux, le pôle Nord commence au-dessus de Lyon.

(3) Le jus de la Pommeraie ( non pasteurisé ) est commercialisé sous le nom de " Jus de pomme frais Huck ".

L'ENTREPÔT -

Où achetez-vous vos pommes ? IGA, Métro ? Provigo ? Vous avez le droit. Vous savez comment ça marche ces chaînes-là ? En haut de la structure, il y a un immense entrepôt qui alimente les magasins, les franchises ( on dit aussi des bannières ).

Provigo ou Métro ou IGA c'est d'abord, c'est avant tout un immense entrepôt central où des acheteurs passent des commandes pour vingt tonnes de bananes, 150 000 boîtes de Q-tips, quatre millions de sacs à poubelle. C'est là que ça se passe. La pub qui vous montre un gentil marchand Métro tout attentionné, c'est rien qu'une pub pour vous faire accroire qu'il vous aime tellement qu'il est lui-même allé cueillir les bananes dans l'arbre. C'est pas vrai.

Tout vient d'un entrepôt où ça joue très dur, et très gros. Le plus souvent sur votre dos.

Votre gentil marchand Métro, Provigo, IGA met sur ses étagères ce que l'entrepôt lui livre. Si l'entrepôt lui livre des pommes Gala de Nouvelle-Zélande ou du Chili, votre gentil marchand ne demande pas pourquoi on ne lui livre pas des pommes du Québec. Il ferme sa gueule. Il vend ce que l'entrepôt lui livre. Pourquoi l'entrepôt n'achèterait pas les pommes du Québec ? Toutes sortes de raison. Le prix. La couleur. La commission de l'acheteur..

Un producteur de ma région, président d'une coopérative de pomiculteurs m'a raconté une discussion musclée dans le bureau du grand boss de l'entrepôt :

- Puisque vous ne voulez pas comprendre, on va vous donner une leçon ! ( C'est le grand boss de l'entrepôt qui cause ). Je vous ai dit des pommes rouges, vertes ou jaunes. Pas rouges et blanches. Pas jaunes et vertes. Toutes rouges, toutes vertes, ou toutes jaunes, c'tu clair tabarnak ? Et je vous ai dit tel prix, pas un sou de plus. Vous voulez pas comprendre ? Gardez-les vos pommes !

Le président de la coopérative de producteurs n'était pas sorti du parking, que le boss de l'entrepôt avait acheté 100 000 caisses de pommes Gala de Nouvelle-Zélande.

C'est le boss de l'entrepôt qui décide quelle pomme vous allez manger. Quelle couleur. Au meilleur prix du marché mondial, bien sûr.

On ne produit pas de super fruits au Québec. Because le climat. Pas de pêches, pas d'abricots du tout, peu de prunes, presque pas de cerises. Rien. Sauf des fraises, des framboises, des bleuets pour le folklore, et des pommes. On a les meilleures pommes du monde. Dures, juteuses, la Lobo, la Paulared, la Spartan, surtout l'excellente McIntosh et mes deux préférées, les tardives Cortland et Empire.

Vous ne connaissez pas la Empire ? M'étonne pas. On en trouve rarement au Métro, au IGA, au Provigo. Vous ne connaissez pas la Empire, une des meilleures pommes " au couteau " qui soit et qu'on cueille ici, dans les collines près de chez moi, mais vous connaissez la médiocre Gala de Nouvelle-zélande.

C'est juste pour vous souligner que mondialisation ça ne veut pas dire " meilleure qualité du monde au meilleur prix ". Ça veut dire le meilleur profit du monde pour l'entrepôt.