Le samedi 29 août 1998


La ligne
Pierre Foglia, La Presse

Qu'est-ce qu'une majorité claire ?

Qu'importe ce qu'ont voulu dire les juges de la Cour suprême, une majorité de 50+1 n'est pas une majorité claire quand il s'agit de décider de faire ou non un pays. Il est désolant que les leaders politiques de cette province, M. Bouchard comme M. Charest, pour des motifs différents évidemment, accréditent une version aussi simpliste de la démocratie. On ne fait pas un pays à 50+1. Ça ne tient pas debout.

Non, je n'ai pas rejoint les troupes de M. Dion. Je suis toujours souverainiste. Je crois toujours que le Québec est un pays autre que le Canada. Aussi étranger au Canada que le Portugal l'est à la Bulgarie, et c'est, selon moi, une raison bien suffisante de vivre chacun chez soi. Mais la question, ce matin, n'est pas là. La question ce matin est : qu'est ce qu'une majorité claire ?

50+1 ou 50-1 ou 50 + 30 000 ou 50 - 30 000 ne sont pas, à l'évidence, des majorités claires, ne sont pas des majorités du tout. 50+1 est la ligne que l'on tire - PARCE QU'IL FAUT BIEN LA TIRER QUELQUE PART - pour départager les vainqueurs et les perdants d'un scrutin. Moindre mal quand il s'agit de gouverner ( on retire la ligne tous les cinq ans ), mais aberration quand on s'engage pour l'éternité. On ne peut pas faire un pays quand 49 % des gens qui l'habitent n'en veulent pas.

Je vous entends. Si ce n'est pas 50+1, quoi alors ? 55+1 ? 60+1 ? Où faire passer la ligne qui départagera les gagnants des perdants d'un référendum sur l'indépendance ?

Je ne sais pas. Mais permettez : pourquoi des gagnants et des perdants ? J'ai toujours vu l'indépendance comme une rivière qui coulerait de source, tranquille, obstinée, allant là où elle doit aller malgré tous les efforts qu'on aura faits pour la détourner. Souterraine par moments. Puis resurgissant, plus large. Qu'est-ce que c'est que ce machin, ce oued, ce ruisseau à 50+1 ?

C'est quoi on cherche, un raccourci au débat ? Une issue simpliste à une situation extrêmement complexe ? La démocratie est longueur de temps. Complexité. Brouillards. Reculs. La démocratie est le contraire de cette horrible expression que l'on entend parfois des vainqueurs au lendemain des Élections : " La démocratie a parlé. " La démocratie a parlé, donc fermez vos gueules, les perdants...

C'est un bien petit déplaisir, au lendemain des élections, de se retrouver avec le gouvernement que l'on ne voulait pas. C'est une sacrée claque sur la gueule, au lendemain du référendum, de se retrouver dans le pays qu'on ne veut pas. Je l'ai vécu déjà deux fois, je ne le souhaite à personne.

Supposons qu'au prochain référendum, le OUI n'obtienne que 40 % des voix. Entendez-vous M. Dion et ses amis dire, comme en 1995, que c'est fini, que le peuple s'est prononcé. On passe à autre chose.

Quarante pour cent, c'est presque la moitié du Québec. On ne gomme pas la moitié de la réalité d'un pays parce qu'un peu plus de l'autre moitié est d'un autre avis.

Le calcul vaut bien entendu dans les deux sens.

Quarante pour cent de OUI à l'indépendance disent à M. Dion, tout autant que 50+1, que ce pays ne sera jamais le Canada.

De la même façon, 40 % de NON à l'indépendance disent à M. Bouchard, tout autant que 50+1, qu'il ne peut pas procéder à une séparation pure et simple.

Il n'y a rien de simple dans ce débat et ce serait le faire avancer beaucoup que d'en admettre la complexité. Mais d'abord le réhabiliter. Ce n'est pas vrai qu'on parle trop de la question nationale dans ce pays, ni qu'elle nous bouche le reste. Ce n'est pas vrai qu'on en parle depuis trop longtemps. C'est le temps que ça prend, c'est tout. Le débat commence à peine à révéler que notre incapacité à choisir n'est pas forcément de la confusion. Que notre indécision n'est pas forcément un manque de courage.

Qu'est-ce que je propose ?

Rien, comme d'habitude. Comme chroniqueur, je voulais dire que les choses complexes ne le deviennent pas moins parce qu'on fait passer une ligne droite en leur centre en décrétant que +1 d'un bord ou de l'autre fera la différence.

Et comme souverainiste, je voulais dire que je me sentirais mal à l'aise dans un pays à 50+1. Il me semblerait toujours que le +1, c'est moi. Je ne suis pas souverainiste à ce point-là.

SOLIDARITÉ FÉMININE -

Une autre glorieuse nouvelle, la décision d'Ottawa d'en appeler du jugement du Tribunal des droits de la personne lui ordonnant de rembourser les fonctionnaires qui, pendant 14 ans, " n'ont pas reçu un salaire égal pour un travail égal ".

Le premier ministre du Canada en campagne électorale en 1993 : " Je respecterai un jugement en faveur de l'équité salariale si je suis élu. "

La ministre de la Justice, Anne McLellan, jeudi dernier : " Personne ne pouvait prévoir la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui, il serait irresponsable de ne pas s'assurer que tous les aspects de la loi sont clairs. " Traduction libre de ce charabia si on rembourse nos fonctionnaires, le secteur privé aussi devra rembourser, le premier ministre n'avait pas pensé à cela en 1993, les pressions du secteur privé sur le gouvernement sont terribles.

Mme McLellan est une des 66 femmes élues à la Chambre des communes.

Quatre-vingts pour cent des fonctionnaires qui ont été lésées par le gouvernement sont des femmes.

LA LEÇON D'ÉCONOMIE -

En ces temps où personne ne semble pouvoir freiner la chute du dollar canadien, et où notre pathétique dépendance de " la situation mondiale " nous pète dans la gueule comme une vieille patate pourrie, il est assez ahurissant d'entendre M. Charest nous dire qu'il a hâte de parler d'économie plutôt que de référendum. Qu'avez-vous donc de si urgent à nous dire sur l'économie, M. Charest ? Que la mondialisation des marchés, ce modèle universel qui rallie toutes les nations, hors duquel point de salut, point de stabilité des prix ( et des monnaies, donc ! ), point d'équilibre budgétaire, ce système unique qui devait susciter une dynamique irrésistible d'enrichissement, est en train, au contraire, de foutre la moitié du monde en faillite, est-ce là ce que vous avez tant hâte de nous dire, M. Charest ?

Figurez-vous qu'on commence à s'en douter un peu.

À moins que vous ne vouliez seulement nous faire une joke sur la " piasse à Lévesque ". Vous vous rappelez, elle ne valait que 50 cent américains dans un Québec indépendant. On y arrive. Sauf que ce sera la piastre à Chrétien dans un Canada uni.