Le mardi 1 septembre 1998


Le lundi et autres calamités
Pierre Foglia, La Presse

Le lundi est une journée pleine d'interrogations existentielles, genre : est-ce bien la peine de recommencer une nouvelle semaine ? En plus, ce lundi-ci, j'ouvre la radio, et tiens, c'est déjà René Homier-Roy qui cause dans le poste. C'est déjà la rentrée. Et moi qui ne suis pas encore parti. D'ailleurs je ne sais même pas où aller en vacances. Sûrement pas au Nouveau-Brunswick. Vous y êtes tous allés cet été, je sais. Osez donc me dire que vous avez aimé Caraquet, ce livide chapelet distendu dans la plus morne plaine du continent.

Anyway. Peut-être irai-je en vacances à Terre-Neuve. C'est vous qui m'en avez donné l'idée ce matin dans ma boîte vocale. Fâchés de ma chronique de samedi, vous m'envoyez me faire, me faire... je n'ose l'écrire. C'est épouvantable. Surtout que vous ajoutez : " Par les chasseurs de phoques de Terre-Neuve. " Tout cela parce qu'ils ont choisi le Canada à seulement 52 %, majorité qui fut considérée absolue par Louis Saint-Laurent, " alors pourquoi pas nous ? " me demandez-vous.

Parce que. C'est comme ça. Bon.

Ne me posez pas de questions difficiles le lundi. Le lundi est une journée pourrie. Une table en arborite avec une cerne de tasse à café dessus. Un cure-dent mentholé. Une bretelle de soutien-gorge qu'il faut remonter tout le temps. Vous êtes priés de ne pas me dire de bêtises dans ma boîte vocale, le lundi. Ne me parlez même pas. Le lundi, je fais deux choses : je cultive ma misanthropie et je lis notre cahier Auto. Pas tout le cahier. Comme je vous l'ai déjà dit, seulement le petit encadré où sont énumérés les " Qualités " et les " Défauts " de la voiture présentée...

Ce matin M. Duquet parle de la Volvo. Dans la colonne " Qualités ", celle-ci qui ne m'a guère impressionné : " Absence de bruits éoliens. " Si le bruit éolien est, comme je soupçonne, le bruit du vent, alors je soumets à M. Duquet que dans ma Mazda 323 modèle 1989, pourtant moins luxueuse que sa Volvo, on n'entend pas de bruit éolien non plus. Même quand toutes les vitres sont baissées. C'est à cause du muffler qui est légèrement percé. On entend juste lui... Dans la colonne des défauts de la Volvo, celui-ci, absolument honteux : pas de téléphone intégré. Comment est-ce possible ? Et celui-là, encore plus ahurissant : " Feux arrière vulnérables. " Vulnérables à quoi ? Pas à la terrible maladie du légionnaire, j'espère ? Pauvres feux arrière.

N'empêche que j'aime beaucoup cette façon nette d'apprécier les choses. Les qualités d'un côté. Les défauts de l'autre. On sait tout de suite à quoi s'attendre.

La vie, qualités : la confiture de mirabelles. Le petit bout de la langue de Zézette qui dépasse quand elle dort. La beauté exténuée. L'anachronisme. Une goutte, mais une goutte seulement, de venin.

La vie, défauts : le lundi. Caraquet. Le feux arrière de la Volvo. Anyone with pain.

Mais la vie n'a pas que des défauts et des qualités. Elle est aussi très emballante dans le domaine du fromage. Avez-vous lu cette annonce, samedi dans la section " Carrières et professions " de La Presse ( en page H14 ) : " Importante société de produits alimentaires offre poste, de CHERCHEUR SCIENTIFIQUE EN FROMAGE FONDU "...

Vous saviez que le fromage fond à 165 degrés mais qu'il gratine à 450 degrés Fahrenheit ? Je vous l'apprends ? Vous en aurai-je appris, des choses, depuis toutes années où vous me lisez ! Et au lieu de m'en être reconnaissants, que faites-vous ? Vous me criez des insanités dans ma boîte vocale. Vous me dites d'aller me faire, me faire... je n'ose l'écrire. C'est épouvantable, me faire... par les chasseurs de phoques de Terre-Neuve.

Ingrats.

AUTRES BRUITS -

Brigham est un minuscule village loyaliste au bord de la Yamaska, un peu au nord de Cowansville. Les loyalistes se singularisaient en plantant un pin devant leur maison, si vous passez un jour par Brigham, cela vous expliquera pourquoi les pins font une haie aussi bizarrement irrégulière, rue principale... Bref, j'étais à Brigham dimanche matin pour couvrir une course de bicyclette, pour mon plaisir plus que par devoir, et, je le souligne, j'étais d'excellente humeur. Du moins en arrivant. Il faisait un petit soleil guilleret. La brise apportait l'odeur des pins. Un beau dimanche matin tout infusé de langueur. J'étais d'excellente humeur, j'insiste, jusqu'à ce que l'annonceur ( par ailleurs charmant, mais ça n'a rien à voir ), jusqu'à ce que l'annonceur, sur l'estrade des officiels, se mette à parler dans son putain de micro.

Nous n'étions pas plus d'une soixantaine de personnes, coureuses incluses, en plein coeur du village. Il était 9 h 30 dimanche matin et la sono était à fond comme pour un concert des Rolling Stones en plein air. J'imaginais les gens furieux dans les maisons voisines, pestant contre les vociférations de l'animateur qui nous exhortait à faire plus de bruit encore : " On les encourage bien fort, mesdames et messieurs, on fait du bruit, on applaudit, on chante, on crie ! " Quand j'ai suggéré qu'on baisse le volume de la sono, on m'a regardé comme si j'étais le roi des emmerdeurs. Une fête sans bruit ? Imagine-t-on !

J'eus beau faire valoir qu'on était tout juste une soixantaine, qu'on pouvait se parler normalement, que le criayage ne ferait pas venir un spectateur de plus, rien n'y fit. Il faut faire du bruit pour être important.

Ce qui nous ramène à mon projet d'enquête sur le bruit, annoncé l'autre semaine. Vous avez été plus de 300 à y faire écho. Je vous remercie. Votre intérêt confirme que le bruit est bien une des pires pollutions du temps, et vos commentaires ouvrent des avenues intéressantes, par exemple celle-ci : ce qui semble vous déranger plus que le bruit que vous entendez, c'est le même bruit que n'entendent pas les sourds par convenance, pouvoirs publics, voisins, etc.

De loin le bruit le plus dénoncé dans ma boîte vocale est celui font les avions qui arrivent à Dorval. Vient ensuite le bruit du voisin ( surtout son chien et sa piscine ). Les motos. L'hélicoptère des flics. Enfin les bruits industriels.

Je ne sais toujours pas si je me lance là-dedans avant ou après mes vacances. D'ailleurs je ne sais pas encore où et quand je partirai en vacances.

Je suis si perturbé ces jours-ci, et si perplexe sur notre avenir constitutionnel, que si vous me dites encore une fois, juste une fois, d'aller me faire, me faire... j'y vais.