Le jeudi 15 octobre 1998


Entre voisins
Pierre Foglia, La Presse

Comme le Kébèk est beau à Saint-Armand-les-Vents, j'ai planté mon bureau en plein milieu des champs... C'était mardi matin, Raoul Duguay poussait sa chansonnette devant un maigre parterre de partisans péquistes au centre communautaire de Saint-Armand.

Le poète a fait son entrée en politique en chantant, la province entière en était attendrie, pensez donc, un poète, un hurluberlu... Mais attention, pas un fou. Ah non. " Saviez-vous que Raoul est docteur en philosophie ? " m'a demandé la groupie de service qui m'a accueilli à l'entrée ?

Je ne savais pas, non.

Je sens que je vais être déplaisant. Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous mis dans le cul ce petit ressort qui me fait jumper dès que quelque chose sonne faux ? Ils vont encore dire que je n'aime pas la poésie et les poètes et les docteurs en philosophie. Alors que ce n'est pas du tout la question. Certes, Raoul Duguay n'est pas mon poète préféré, mais quand j'ai appris qu'il serait candidat péquiste dans mon comté je me suis dit why not. Les péquistes se sont fait planter par dix mille voix la dernière fois dans Brome-Missisquoi. Alors pourquoi pas Raoul Duguay, au moins on va s'amuser...

Me voilà donc au centre communautaire mardi matin pour souhaiter bonne chance à Raoul qui commence son discours en racontant comment il est arrivé dans la région il y a 30 ans, pour finalement entrer dans le vif du sujet en nous disant : " peut-être vous demandez-vous comment je vais concilier ma vie d'artiste avec mon éventuelle vie politique ? Voici la réponse ". Et il se met à chanter : Comme le Kébèk est beau à Saint-Armand-les-Vents, j'ai planté mon bureau en plein milieu des champs...

C'eût été parfait. La campagne électorale comme une comédie musicale. Allons-y pour les parapluies de Saint-Armand. C'eût été parfait, disais-je, sauf que j'ai oublié un détail. Juste avant de se mettre à chanter, Raoul s'est cru obligé de nous dire : " Cette chanson est mon premier cadeau à tous les citoyens de Saint-Armand. "

Un cadeau ? Merci beaucoup M. Duguay. Mais, et de un, les citoyens de Saint-Armand, dont je suis, ne vous ont pas demandé de cadeau. Et de deux, même si c'était la plus belle chanson du monde, le plus beau poème du monde, comment peut-on parler de sa propre oeuvre, de sa propre production, comme d'un cadeau à la population ? Et de trois, question prétention on est déjà très bien servi à Saint-Armand avec M. Jacques Godbout.

Sa chanson terminée, M. Raoul Duguay nous a informés qu'elle figurerait sur son prochain album, La Rose et le Lys, en voie de réalisation. Question : la promotion de cet album sera-t-elle considérée comme une dépense électorale ?...

On sait que le comté est mené par les frères Paradis, l'un des deux ( Denis, celui qui est au fédéral ) est aussi vigneron, je ne lui porte aucune sympathie, mais je dois quand même lui donner ceci : jamais il n'a conclu une réunion électorale en nous servant sa piquette, encore moins en nous disant sous quelle étiquette on pouvait se là procurer.

Plus tard dans la matinée, j'écoutais Cournoyer et Lapierre à CKAC, et les deux se demandaient si les péquistes n'étaient pas entrain d'utiliser ce brave Raoul Duguay comme chair à canon dans un comté perdu d'avance.

C'est drôle j'ai eu un peu l'impression du contraire. J'ai eu un peu l'impression d'un vieux chanteur qui se meurt de faire un dernier tour de scène et n'en a pas trouvé d'autre qu'en politique.

" Attention, ce n'est pas un fou ce gars-là, a ajouté M. Cournoyer, il a un doctorat en philosophie, vous savez. " Encore ce doctorat. Ai-je ou n'ai-je pas entendu M. Duguay lui-même, durant son allocution, dire quelque chose comme : " Pendant que je préparais mon doctorat à l'Université de Montréal... "

Ce n'est pas que j'aie un doute, non pas vraiment. C'est que, dans la province, il n'en pleut pas, des docteurs en philosophie. Remarquez, pour en avoir le coeur net, il suffirait d'appeler le secrétariat de la faculté de philosophie de l'Université de Montréal et de demander quel était donc le sujet de la thèse de doctorat de Raoul Duguay. Peut-être qu'on découvrirait que c'était seulement une thèse de maîtrise. Ou tout simplement un bac en philo comme tout le monde. Remarquez c'est bien aussi un bac. Je n'en ai pas moi. Si je me présente un jour comme candidat, je serais bien embêté question diplôme, j'ai rien de rien. Peut-être que Raoul me prêtera son doctorat. Entre voisins...

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LÂCHEZ-MOI ! -

Il faut absolument que je vous parle deux secondes d'Internet. Ce que j'ai à vous dire est tout simple et facile à retenir : je ne suis pas branché. Je n'ai pas de e-mail. Je n'ai pas de site. Je ne suis pas contre Internet. Ni pour. Je ne suis pas là, c'est tout. Voulez-vous avoir la gentillesse de me crisser patience avec ça. Merci.

Paraît qu'un jeune lecteur avait ouvert un site où on pouvait lire cette chronique. Avait-il l'obligation de demander une autorisation pour ce faire ? Je n'en ai pas la moindre idée. Paraît que La Presse a fait fermer le site du jeune homme. Et voilà que vous me traitez de cheap. Vous commencez à me tomber un peu sur les rognons avec vos histoires à la con, parce que non seulement je n'ai rien à voir là-dedans, mais je n'étais même pas au courant de votre histoire de jeune homme. Personne ne m'a averti, ni demandé mon avis, et pour vous dire la stricte vérité, je n'en ai strictement rien à foutre.

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ORIENTATION -

Autre erreur d'aiguillage, je trouve fréquemment dans mon casier des lettres qui sont adressées à la rubrique " VOTRE HOROSCOPE ". J'ai ouvert celle-ci par inadvertance, je vous jure que c'est une vraie lettre : " Mon fils est né le 10 octobre 1984 à Valleyfield à 4 h 57 du matin. Dans quel domaine serait-il préférable qu'il s'oriente ? "... Je me permets de vous répondre madame parce qu'il me semble qu'il y a ici une urgence. Je ne connais rien aux astres, mais j'ai quelques rudiments sur l'éducation des enfants et je peux vous dire un truc madame, cet enfant-là doit quitter immédiatement la maison, peu importe qu'il s'oriente vers la danse folklorique ( direction du festival de Drummondville ) ou vers La Mecque ( deuxième lumière à droite ) l'important est qu'il s'éloigne le plus rapidement et le plus loin possible d'une mère assez conne pour préparer l'avenir de son fils dans l'horoscope.