Le samedi 17 octobre 1998


Vous le faites exprès, c'est ça ?
Pierre Foglia, La Presse

Savez-vous que vous êtes de drôles de moineaux. Ça fait quatre ans qu'on vous dit que Pierre Bourque est un incompétent, un illuminé, un sauté, un maniaque. On le caricature. On le hache menu dans tous les journaux, à la télé, à la radio. Arrivent les élections, et qu'est-ce qu'on apprend ? Que Pierre Bourque mène dans les sondages.

Vous le faites exprès, c'est ça ? Vous vous révoltez contre les médias ? Vous voulez faire de la peine aux journalistes ?

Permettez. Vous êtes difficiles à suivre. On vous glisse dans une chronique que tel resto sert un boudin super, vous êtes 12 000 le lendemain à faire la queue à la porte. On vous parle d'un bon livre, vous vous précipitez chez le libraire. On vous dit attention, ce type est un sacré con, vous l'élisez maire de Montréal...

Je suis sûr que vous le faites exprès.

Je sais depuis longtemps que les médias n'ont pas le pouvoir de faire voter blanc ou noir, mais je me demande si, depuis quelques années, vous ne prenez pas un malin plaisir à dire blanc quand on dit noir, et noir quand on dit blanc, EXPRÈS. Je devine une irritation grandissante à l'égard des médias. Une révolte diffuse. Je vous vois vous gratter partout pendant le téléjournal. Je suppute que vous allez bientôt nous haïr autant que les flics.

C'est bien. C'est sain. C'est bon pour la liberté d'expression. La vôtre. La nôtre aussi qui s'affranchit de la suspicion de vouloir vous influencer à tout prix puisque, de toute façon, vous vous crissez de ce qu'on dit.

De là à réélire Bourque juste pour nous emmerder, il y a peut-être, ici, quelque chose d'excessif !

De là à donner des oscars à Jean Pagé, ce considérable cabot, chaque fois que vous faites un gala, pour le consoler de son impopularité dans le milieu des médias, je trouve que vous déconnez.

De là à vous prosterner sur le tapis Rouge que vous avez déroulé aux pieds de madame Payette pour qu'elle vienne vous annoncer que le niveau baisse à la télévision, au moment où elle-même barbote dans les bas-fonds avec son téléroman Les Machos, je trouve que vous auriez pu éclater de rire au lieu d'applaudir comme des cons.

De là à bouder Stéphan Bureau parce qu'on vous a trop dit qu'il était bon et qu'on a trop placardé la ville de son petit sourire fendant, je trouve que vous auriez pu au moins aller vérifier : c'est vrai qu'il est bon.

De là à nous rabâcher que le problème en est un d'overdose d'information, qu'après cinq minutes de téléjournal, vous zappez à La Fin du monde est à sept heures parce que vous n'en pouvez plus des hôpitaux et de Charest, je vous signale que c'est ce que tout le monde fait... Sauf que, ne venez pas pleurnicher après que, oh la la, comme c'est triste, où sont passés les grands débats publics...

De là à justifier votre médiaphobie par la soi-disant perte de crédibilité des journalistes, je me permets de vous souligner que je n'écoute jamais l'émission de Gilles Proulx le midi à CKAC. Vous si, puisque c'est l'émission de radio la plus écoutée au Canada.

De là à en avoir plein votre casque d'une certaine critique qui réserve ses éloges pour les oeuvres les plus difficiles, et son mépris pour les succès populaires, vous êtes complètement dans les patates. C'est vrai qu'il existe une telle critique, heureusement d'ailleurs. Mais elle ne triomphe pas comme vous croyez, elle a au contraire, toute la misère, du monde à se faire entendre dans le concert des louanges à La Petite vie, Virginie, La Fureur, Arlette Cousture, Céline Dion, Lara Machin et Felipe Alou.

Bref, vous pouvez bien faire exprès de toujours penser le contraire de ce que pensent les médias, mais bon, trouvez pas que ça fait un peu ado boutonneux ?

Et des fois cela tourne au pathétique. J'ai en tête un pittoresque connard que toute la France adore. Macho. Démago. Puant à se pincer le nez. Vous pouvez dire que c'est mon jugement, je vous répondrai que c'est un constat, rien de personnel, je dis que ce type est un connard comme je dis d'un toaster que c'est un toaster. Pourquoi les Français en ont-ils fait une idole ? Parce qu'ils ne l'ont jamais approché. Parce qu'ils n'ont pas à lui parler, à lui poser des questions. Parce que c'est un champion et qu'il les fait rêver. Parce que c'est aussi un champion de l'auto-promotion qui sait vendre son personnage. Qu'il se retrouve en ce moment au centre du scandale du doping et qu'il s'y révèle d'une prévisible mesquinerie n'a rien changé à son statut d'idole, au contraire, l'engouement des foules avait redoublé cet été, et, plus instructif encore, les pancartes que l'on brandissait à sa gloire s'accompagnaient souvent d'insultes aux journalistes.

Tout un peuple gaga devant un petit caca même un peuple relativement intelligent et critique, ce n'est pas la première fois qu'on voit ça. Mais que cette adulation inconditionnelle, tout comme la réélection probablement de Pierre Bourque, les médailles à Jean Page, ou la cote d'écoute de Gilles Proulx, prennent l'allure d'un doigt d'honneur aux médias, voilà qui me laisse songeur.

Je suis partagé entre l'envie de vous féliciter pour votre bel esprit d'indépendance, mais comme je l'expliquais jadis à mes enfants, c'est très bien de penser le contraire de ce que je pense, de faire le contraire de ce que je fais, sauf que vous devez savoir que ne sont pas toutes les choses qui ont un contraire. Du caca, c'est du caca. Et un con c'est un con.

Voilà.

LE POÈTE DU SAMEDI -

Il s'appelle Patrice Desbiens. Il fait penser à Bukowski et Richard Desjardins. Aux gens venus écouter sa poésie, il dit que l'écriture c'est la recherche du silence, mais que ça fait du bruit quand même. Il est originaire de Timmins mais il vit depuis longtemps à Montréal qui lui a inspiré un des plus beaux et des plus courts poèmes à avoir jamais été écrits sur une ville... Sur la rue Laval, en face de la maison où vécut Émile Nelligan, les vidanges n'ont pas été ramassées.

Un autre poème de lui que j'aime beaucoup parle d'une fille qui travaille dans un dépanneur... Il a dit à la fille je suis en train d'écrire un roman, veux-tu être dedans ? Elle a dit oui. Je suis pas mal écoeurée d'être ici.

Patrice Desbiens. Vous allez vous rappeler ?