Le mardi 20 octobre 1998


Fais-moi un dessein
Pierre Foglia, La Presse,

C'est l'histoire d'un vieux maître puni par le prince qu'il avait charge d'éduquer. Le vieux maître avait trop montré les arts au prince, et pas assez la guerre. Il fut condamné au mur. Dans ce pays, le condamné au mur devait rester jusqu'à sa mort devant la même façade, sans bouger, sans se retourner.

C'est le canevas d'un livre pour enfants qui vient de sortir chez Seuil Jeunesse, Le Livre de la lézarde. Dans le mur il y une lézarde, pas une madame lézard, une faille, une fente. Le vieux maître se met à tripper dessus, sur la colonie de fourmis qui l'envahit, sur la mousse qui pousse autour, bref on est au coeur même de la littérature, la craque dans le mur figure bien sûr la fissure dans la réalité, l'accès à un ailleurs par l'imaginaire... There is crack in everything, that's how the light gets in ( Leonard Cohen ).

Les illustrations sont à la hauteur du texte, très littéraires, je veux dire qu'elles dessinent un dessein. Bref, un livre magnifique, mais que vos enfants détesteront, qu'ils aient ou non le goût de la lecture. Les enfants détestent les contes philosophiques, ces livres qui font semblant de s'adresser à eux mais qui s'adressent, en réalité, à leurs parents... On m'a parlé d'une école à Montréal où les enfants sont en train de développer une formidable allergie au Petit Prince, à son étoile, à sa rose et à toute sa ménagerie. Une bonne école semble-t-il, et un bon directeur, mais fanatique du Petit Prince, il en met partout. Les enfants capotent au point que " Dessine-moi un mouton " est devenu " Fais-moi un méchoui "...

Pour revenir au Livre de la lézarde, achetez-le pour vos enfants seulement s'ils sont très très en avance pour leur âge. S'ils sont normaux, voyez plutôt, dans la même collection Le Train jaune. Pour les dessins. Des planches hyperréalistes. Vertigineux univers ferroviaire. Le train jaune traverse des doubles pages en se reflétant dans les verrières des grands immeubles du centre-ville, le train jaune se tortille comme un vermisseau au pied d'une montagne qui n'a pas assez de la hauteur de la page pour culminer, le train jaune n'est jamais jaune mais bistre, cuivré et bronze. Une qualité d'impression comme on n'en voit jamais chez nous. Je ne comprends pas pourquoi d'ailleurs. On fabrique le meilleur papier du monde, on a de très bonnes imprimeries, des super-illustrateurs, et des histoires comme celle du train jaune ( plutôt ordinaire, tout est dans les images ) n'importe qui peut en raconter douze par jour, alors c'est quoi le problème ? Pourquoi ne produit-on pas des livres de la tenue de celui-là ? Pourquoi nos livres jeunesse n'ont-ils presque jamais de couvertures cartonnées ? Pourquoi sommes-nous cheapo ?

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Les négociateurs israéliens et palestiniens, retraités à Wye Plantation dans le Maryland, avaient jusqu'à aujourd'hui pour s'entendre sur les moyens de relancer le processus de paix devant ultimement mener à l'avènement d'un État palestinien.

Combien on parie qu'ils ne se sont pas entendus, sinon sur un nouveau délai que les colons juifs mettront à profit pour faire encore un peu plus de la Palestine une terre sans Palestiniens ?

Combien on parie que les Américains, une fois de plus, fermeront les yeux ?

Si le sujet vous intéresse, si vous voulez savoir comment les Israéliens ont réussi à faire passer dans l'opinion publique que la Palestine était une terre sans peuple ( pour un peuple sans terre ), il faut lire Carnet de route en Palestine occupée, de Danièle Sallenave.

L'auteure, qui enseigne la littérature à Paris, a écrit de nombreux romans ( dont un qui a obtenu le prix Renaudot ) mais elle est surtout connue pour ses essais sur l'enseignement et la culture en générale, elle est aussi " la " traductrice de Pasolini et de Calvino... Quand elle est partie pour la Palestine, où elle a été invitée l'automne dernier, elle se posait les mêmes questions que vous et moi : c'est quoi la Palestine ? Une façon de nommer à l'ancienne le territoire qu'occupe maintenant Israël ? La Cisjordanie ? Les " territoires occupés " ?

Intellectuelle respectée, allergique à tous les intégrismes, Mme Sallenave se permet de poser des questions difficiles, délicate, qui n'ont pas fait de vagues en Europe ( son livre sur la Palestine est sorti au printemps ), mais je ne jurerais pas qu'il en sera de même ici, dans le climat d'hystérie que l'on connait. Est-ce le souvenir de l'extrême violence qui a été faite aux Juifs pendant la guerre ? demande Mme Sallenave ; est-ce la culpabilité qui accable la communauté internationale coupable - ne serait-ce qu'en se taisant - d'avoir collaboré à ces horreurs ; est-ce cela qui fait qu'aujourd'hui, cette même communauté internationale ferme les yeux sur les horreurs que commet, à son tour, Israël ?

Le paysage biblique des collines s'efface ; écrit l'auteur, c'est chaque fois la même chose ; chaque sommet est coupé net comme on scalpe un œuf ; autour de cette zone mise à vif des engins s'affairent, une route est établie, puis les blocs de ciment s'élèvent et une cité blanche aux toits rouges s'entoure de miradors et de barbelés. Oserais-je redire dans les mêmes termes ce que je me suis dit sur cette route ? " Comment supporter l'idée d'un MIRADOR JUIF ? "

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Je viens de lire le Goncourt. Je sais, il n'a pas encore été attribué, mais je viens de le lire quand même. Il s'agit de Méroé d'Olivier Rolin, dont j'avais lu, il y a longtemps un vivifiant petit livre sur la Russie ( En Russie ) puis ce bijou de fine écriture ciselée Port-Soudan, puis un très quelconque recueil de récits de voyages ( Mon galurin gris ), et celui-ci enfin, Méroé, qui est comme une suite, de Port-Soudan, et rien que pour cela, mériterait le Goncourt. Le roman d'une peine d'amour que l'auteur rumine à l'hôtel des Solitaires, à Khartoum. Une histoire qui dérive lentement comme les îlots de jungle sur le Nil ; une lecture touffue, très exigeante. Qu'est-ce qu'une lecture exigeante ? Voyons cela comme ça : dans les romans des gares les personnages ont un destin. Dans la littérature ils essaient de s'en délivrer.

Allez, je vous embrasse.

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Dans l'ordre de leur apparition je vous ai parlé aujourd'hui des livres suivants :
Le Livre de la lézarde, Yves Heurté et Claire Forgeot, Seuil Jeunesse.
Le Train jaune, Fred Bernard et François Roca, Seuil Jeunesse.
Carnet de route en Palestine occupée, Danièle Sallenave, Stock.
Méroé, Olivier Rolin, Seuil.