Le jeudi 22 octobre 1998


Une sacrée droite
Pierre Foglia, La Presse

Commençons par un cliché une arène de boxe. Pour évoquer la scène politique on ne fait pas plus cliché. Dans le coin droit, Jean Charest. Dans le coin gauche Lucien Bonchard.

Vous ne riez pas ? Dans le coin gauche Bouchard : ça ne vous fait pas un peu rire ? Gauche-Bouchard ? Non ? Bon.

Essayons autrement. Dans le coin droit Jean Charest. ET AUSSI dans le coin droit, Lucien Bouchard. Dans le coin gauche ? Le Québec. Le peuple. Les pauvres, un million et demi de personnes. Les étudiants. Les malades. Les enfants. Vingt pour cent des enfants de la province sont indigents. Les femmes chefs de famille. Les chômeurs. Un peu tout le monde.

Vous aviez raison de ne pas rire. Que ce soit Charest ou Lulu qui gagne, vous allez en manger toute une !

M. Charest, le plus jeune des deux, ne cache pas qu'il veut nous planter au nom de la modernité. Ah ! la modernité. Il y a un superbe exemple de modernité économique à la une de La Presse d'hier : Le Canadien National annonce le licenciement de 3000 employés ( 500 à Montréal ) d'ici l'an prochain, afin de maintenir, ( les majuscules sont de moi ), afin DE MAINTENIR SES PROFITS PENDANT UNE PÉRIODE DIFFICILE.

Toute la modernité dont se réclame M. Charest tient dans cette petite phrase.

Comment atteint-on la modernité ? De deux façons, nous apprend M. Charest. En créant une dynamique favorable à l'entreprise privée. Et en créant des jobs.

Démonstration : pour maintenir ses profits, le Canadien National, ( entreprise privée à cent pour cent ) licencie 3000 employés. La dynamique de l'opération ? De toute beauté, écoutez bien celle-là : le CN licencie 3000 employés pour payer les indemnités de licenciement des ouvriers licenciés après la privatisation de l'entreprise au début des années 90 ! Comment vous aimez cette dynamique-là ? Mais j'entends M. Charest d'ici : c'est la faute des syndicats qui ont négocié de trop hautes indemnités lors des premiers licenciements.

La modernité, c'est cette tyrannie qui décrète déraisonnable et archaïque toute autre considération que la compétitivité. La modernité, c'est cette impudence à se trouver moderne, alors que le bras du balancier est déjà revenu dans l'autre sens dans l'Angleterre de Thatcher et Major, dans l'Allemagne de Helmut Kohl, dans la France de Juppé, tous remplacés par des gens de gauche. Et le bras du balancier n'est-il pas en train de revenir aussi en Ontario où la popularité de M. Harris est tombée sous les 50 % et sa réélection loin d'être chose entendue ?

Il est vrai, et c'est une réserve de taille, il est vrai que la gauche revenue au pouvoir en Angleterre, en Allemagne, en France, comme celle qui pourrait chasser Harris en Ontario, est une bien drôle de gauche, du même petit rose nanane que notre Lulu national. Une gauche qui clame qu'elle veut le bonheur de l'Homme et sa fiancée, soutient la belle idée de l'équilibre des pouvoirs, affirme l'égalité des droits dans les domaines de l'éducation, de la santé, mais qui, dans la réalité, assoit son autorité sur la même modernité économique dont je viens de parler.

C'est finalement au nom de la modernité de M. Charest que M. Bouchard nous plante depuis quatre ans. Et pour la même raison : pour notre bien. Leur style est un peu différent, Charest jabbe sèchement du droit avant de rentrer dans le mou du foie. Lulu feinte de la gauche avant de laisser partir l'autre main dans un petit crochet dévastateur. Bref, ils ont tous les deux une sacrée droite, et leur but est le même : nous mettre KO.

PUTE DE PUB -

L'Association des transporteurs scolaires du Québec vient de permettre la pub dans les autobus d'une vingtaine de commissions scolaires, une expérience pilote, pour la bonne cause nous dit-on, puisque les messages véhiculés ( ha, ha ) porteront sur la sécurité, la discipline, et... forcément sur la bonne alimentation, puisque cette campagne est orchestrée par McDonald dont le nom et le clown apparaissent au bas de chaque message.

Il y a un lien avec l'article précédent. Un État avec des couilles, je veux dire conscient de ses responsabilités, n'abandonnerait pas à McDonald celle de faire la morale aux enfants. Il me semble élémentaire que la pub devrait être interdite à l'école et dans l'autobus qui y mène. La pub, comme la religion et la politique, ne devraient entrer à l'école que comme sujets d'études. Pas comme pratiques.

À quand, dans les autobus scolaires, une campagne sur la santé, commanditée par Players ou Du Maurier ? Pourquoi une aberration ? Pas plus que McDo. Renseignez-vous, 30 % des cancers sont causé par une mauvaise alimentation...

Mardi, en attendant mon rendez-vous à l'UQAM, je suis allé pisser au sous-sol du pavillon Hubert Aquin, et, à l'urinoir, juste à la hauteur de mon nez, il y avait une pub. Il y en avait une différente à l'urinoir voisin, et c'est pareil, m'apprend-on, dans les toilettes des filles, il y a des pubs sur les portes. L'Université vend de la pub dans ses chiottes, demain ce sera dans les cours. Demain, le prof de philo fera une pause, ce cours sur Prométhée vous est offert par les poêles Dufourneau, Dufourneau la flamme qu'il vous faut.

Je regardais l'autre soir Felicity, le " young-adult drama " qui marche fort à la télé américaine en ce moment. Dans l'épisode que je suivais il y avait une fille down qui a eu très envie, comme toutes les filles down, de se bourrer de crème glacée. Elle arrive à l'épicerie et... et la caméra s'attarde longuement sur les pots de Ben & Jerry's.

J'ai trouvé la chose d'autant plus plate que Ben & Jerry's, c'est pas McDo. C'est ma gang, Ben& Jerry's. Deux weirdos du Vermont qui se sont mis à fabriquer de la crème glacée pour leurs chums, entre deux joints et entre deux tounes des Grateful Dead. Vingt-cinq ans plus tard leur crème glacée est vendue dans tous les dépanneurs d'Amérique et elle est toujours aussi bonne. Ma gang, vous dis-je. Dans ma vie, quand la vie goûte bon, elle goûte la Ben & Jerry's à la vanille.

Eh bien c'est tout fucké, mon vieux. Pourquoi c'est tout fucké ? Parce que cette phrase-là - dans ma vie, quand la vie goûte bon elle goûte la Ben & Jerry's à la vanille - qu'est-ce qui vous dit que ce n'est pas une pub achetée par Ben & Jerry's ?

Ah.