Le jeudi 29 octobre 1998


Quatre graines de tournesol
Pierre Foglia, La Presse

Chantal s'affaire dans ce qui était sa cuisine avant l'incendie. Tout est recouvert d'une épaisse couche de plâtre et de suie. Ça sent la fumée froide. Il y a une semaine, elle a oublié d'éteindre un rond du poêle. Et voilà.

On est dans Pointe-Saint-Charles. Chantal Michaud est une petite blonde avec une queue de cheval et, ce jour-là, du noir de fumée sur la joue et sur le front. Ça fait deux fois que je lui fais répéter son âge, 28 ans. Pas qu'elle n'ait pas l'air de ça. Mais je pense à ses quatre enfants. Vingt-huit ans, quatre enfants. Seule pour les élever évidemment. Pas d'assurance contre le feu, évidemment aussi. En général, quand t'as quatre enfants à 28 ans, c'est pas parce que tu trippes fort sur les assurances.

Chantal a emménagé en mai, rue Bourgeoys. Elle venait de Lacolle près de la frontière des États. Elle a mis tout l'argent qu'elle avait dans la location avec option d'achat ( " louez pour acheter ", dit la pub ) d'un set de cuisine. Celui-là même qui vient de passer au feu.

Des fois, on se dit que, vraiment, le diable exagère, il devrait trouver d'autres mauvais coups à faire que foutre le feu à la petite misère.

Le soir de l'incendie, Chantal a trouvé refuge chez sa voisine d'en bas qui a trois enfants. Ça faisait sept enfants dans le quatre et demi.

Le lendemain, Chantal s'est retrouvée à l'Office municipal d'habitation devant un fonctionnaire qui lui a dit : " Désolé madame, on ne vous aidera pas à vous relocaliser parce que ça ne fait pas un an que vous habitez à Montréal. C'est le règlement. " Il a dit aussi, mais était-ce bien le moment : " Pour avoir de l'aide, retournez donc à Lacolle, d'où vous venez. " Ah oui ? Et elle y irait comment à Lacolle, Ducon ? En autobus ? Les quatre enfants à la file indienne, portant leurs guenilles dans des sacs à vidanges ? Les matelas sur le toit de l'autobus comme au Bangladesh et au Guatemala ?

( À noter qu'à deux pas de l'appartement sinistré de Chantal, rue Charon, des appartements de l'office municipal étaient encore inoccupés la semaine dernière - et sûrement aujourd'hui - ce qui m'a été confirmé par des employés d'entretien. )

De l'aide, Chantal en a trouvé un peu auprès de sa propriétaire qui habite Brossard. En plus de l'aider de sa poche, la proprio est allée cogner à la porte de l'Armée du Salut de la Rive-Sud, des gens bien négligents qui n'ont pas de règlement leur interdisant d'aider des Montréalais en détresse.

De l'aide, Chantal en a trouvé aussi auprès du propriétaire d'un duplex de la rue Ash, dans le même quartier, qui a bien voulu lui louer un logement " en attendant "... J'ai visité aussi en attendant les enfants qui allaient bientôt revenir de l'école. Matelas à terre. Le linge dans des sacs verts. Ni table ni chaises dans la cuisine, Chantal et les enfants mangent sur le plancher. Et ils mangent froid parce qu'ils n'ont pas de poêle. Et comme ils n'ont pas de frigo non plus, bien des trucs périssables qu'on leur a donnés depuis une semaine ont été perdus.

Dans un cas d'incendie, l'aide sociale paie à ses bénéficiaires non assurés un nouveau poêle et un nouveau frigo. Sauf qu'au centre local, Chantal est tombée sur un agent qui, allez savoir pourquoi, refusait de prépayer les taxes sur les deux appareils ménagers. Le magasin n'a jamais voulu livrer. C'est seulement hier matin que, mis au courant, le boss du centre local a corrigé l'erreur de son employé zélé. Ça a pris quatre jours. Quatre jours à niaiser sans poêle ni frigo avec quatre enfants... Mardi, quand j'ai rencontré Chantal, ça faisait une semaine. Et il n'y avait toujours que des matelas à terre.

- Où allez-vous souper ce soir ?
- Ici.
- Comment ? T'as rien pour faire chauffer et même pas une chaise pour s'asseoir. As-tu un peu d'argent ?
- Non.
- Même pas cinq piastres ?
- Même pas une.
Elle a raclé le fond de sa poche et jeté sur le comptoir soixante-seize sous et quatre graines de tournesol.
- Qu'est-ce que t'écris ?
- Combien t'avais dans ta poche.
- T'écris pas les graines ?
-Si.
On est rue Bourgeoys je vous l'ai dit. Dans Pointe-Saint-Charles, je vous l'ai dit aussi. Pas très loin des gares de triage du CN, mais assez loin de Centraide et de sa charité centralisée. Et à bonne distance aussi de Noël, de ses paniers, et de sa charité radiophonique.

Ne m'envoyez rien pour Chantal, je ne suis pas Jeunesse au Soleil. Je vous ai raconté cette histoire-là uniquement pour les quatre graines de tournesol que j'ai trouvées émouvantes sur le comptoir, au milieu des sous noirs.

L'HIVER S'EN VIENT -

Rien à voir, cette lettre d'une lectrice, Brigitte Laquerre : " J'ai effectué un projet de recherche sur le cerf de Virginie, dans le cadre d'une maîtrise en biologie à l'UQAM... Pour aller au ravage, mon assistant et moi disposions d'une Jeep équipée pour affronter des conditions routières difficiles. Nous empruntions un chemin privé qui passait devant une auberge chic de la région. Un soir, au retour, nous croisons une voiture qui a pris le fossé. Deux hommes tentent de la dégager tandis que leurs femmes gèlent au bord de la route dans leurs petits souliers. Ils allaient souper à l'auberge, c'est évident. Je baisse ma vitre :
- On peut vous aider ?
Un des hommes, moustachu, bedonnant, me regarde sous le nez et dit : " Ah non, pas une femme. C'est pas d'une femme que j'ai besoin, c'est des bras ! "
Je suis d'un naturel réservé, mais c'est sorti tout seul : " Ben c'est ça, pellette gros crisse. "
Tandis qu'on s'éloignait, j'ai entendu une des femmes dire : " Aie, elle avait un treuil. "
Tout ça pour vous dire que l'hiver s'en vient, et rappeler d'être polis avec les filles qui ont un treuil.

YOU BET ! -

M. Bouchard n'avait pas le droit de fixer les prochaines élections au 30 novembre parce que le 30 novembre, c'est mon anniversaire. Comme je suis assuré de perdre mes élections - je les perdrai de toute façon, que ce soit Charest ou Bouchard qui gagne - je trouve que perdre ses élections le même jour qu'on a 58 ans, c'est un peu le bout de la marde. Comme dit le logiciel de transmission de cet ordinateur chaque fois que j'envoie un texte : bienvenue à Hyper Terminal.

Terminal, you bet.