Le samedi 14 novembre 1998


Michou, t'as pas vu mes pantoufles ?
Pierre Foglia, La Presse

La rumeur courait depuis la veille : M. Charest allait chiffrer ses promesses. La chose s'est faite à Rimouski, à l'Institut maritime. À 11 h, on a remis aux journalistes 12 pages de chiffres. À 11 h 20, M. Charest tenait son point de presse. Suivi de l'habituelle période de questions, toute à son avantage évidemment, il savait mieux sa leçon que les journalistes.

Qu'importe. Ces chiffres-là sont pour la frime.

Qu'importe. Si M. Charest est élu, il dira comme ils disent tous, qu'il ne s'attendait pas à trouver les coffres aussi vides et qu'il doit parer au plus urgent.

Qu'importe. L'idée était encore une fois de faire passer le message central du Parti libéral, celui sur lequel s'articule toute la campagne libérale : " Levons l'hypothèque référendaire et l'économie repartira. "

Pour l'instant, le message ne passe pas très bien.

À la cafétéria de l'Institut maritime de Rimouski où M. Charest livrait ses chiffres, j'ai rencontré deux élèves en navigation, futurs officiers de notre marine marchande, Hergé et Jean-François. Ils revenaient d'un stage de cinq mois, Hergé dans le Pacifique sur un bateau chypriote, l'autre dans l'Atlantique.

- Regarde comme c'est ridicule, s'est plaint Hergé, on a amputé de 80 000 $ le budget de nos stages de formation en mer. Où pensent-ils qu'on va aller apprendre à naviguer ? Sur le lac des Castors ?

J'avais à la main le semblant de budget de M. Charest, je l'ai ouvert à la page cinq où je savais trouver quelque chose qui intéresserait mes deux marins. Réjouissez-vous, les gars, c'est écrit ici : " Le Parti libéral s'engage créer 25 000 stages rémunérés, en partenariat avec les employeurs, une enveloppe de 18 millions. "

Ils n'étaient pas réjouis du tout. Ils ont même haussé les épaules : " Essaye pas, on ne votera pas pour Charest. "

Cela m'a surpris. Charest suscite souvent ce genre de résistance butée, boudeuse, braquée. Non, pas lui. On n'explique pas. Sans doute parce qu'on ne saurait pas donner de raison. Pas lui, c'est tout. On l'entend dans la manière qu'ont les gens de l'appeler souvent " Johnny ", avec un soupçon de dérision dans la voix, comme si on parlait d'un oncle des États ou de l'Ontario, qui en met un peu trop. Même dans ses propres assemblées, à Gaspé, tiens, où j'ai rencontré Robert Lagacé, agent maritime qui va voter libéral, c'est certain, mais...

- On va gagner dans Gaspé, mais c'est au national. Charest est loin d'être le sauveur qu'on attendait. La politique manque de grandes figures...

Pas d'accord. La politique est plus affaire de belles images que de grandes figures. Et M. Charest passe bien aux nouvelles. C'est le message qui ne passe pas.

Pour l'instant, M. Charest se retrouve à parler plus souvent de référendum que les péquistes. Et puis c'est une drôle de façon d'annoncer ce qu'on va faire que de toujours commencer par dire : " Je ne ferai pas. " Même si c'est pour ne pas faire un référendum dont personne ne veut. Cela reste une négative : " Je ne ferai pas. " Au début de la campagne, M. Charest parlait volontiers de ce qu'il ferait si on l'élisait : il ferait comme M. Harris en Ontario. Toute la province s'est hérissée. Alors, maintenant, il dit seulement ce qu'il ne fera pas.

- Et toi mon petit garçon, quand tu seras grand, qu'est-ce que tu ne feras pas ?
- Je ne ferai pas de bêtises, monsieur.
C'est bien. Mais encore

LOIN, TRÈS LOIN DE SCOOP -

On dit l'autobus de M. Charest, mais en fait, il s'agit d'une caravane de trois autobus. Celui où voyagent M. Charest et ses conseillers. Celui des journalistes de la presse écrite et de la radio que l'on appelle l'autobus " du contenu " par opposition au troisième, l'autobus " du contenant " qui accueille les journalistes télé. J'étais dans le second, petite salle de rédaction fébrile qui bourdonne des sonneries des cellulaires, c'est le chef de pupitre au journal qui s'impatiente ; ou c'est le collègue qui appelle de la caravane à Bouchard, à l'autre bout de la province, pour échanger les réactions, préparer les questions du prochain point de presse.

Ils ne prennent pas de notes pendant les discours de Charest qu'ils connaissent par coeur. Mais soudain ils se mettent à écrire tous en même temps. Charest vient d'introduire un nouveau mot qui marque une progression ou un changement de ton. Ils l'interrogeront là-dessus tout à l'heure. Ils rentrent dans le flou du discours avec des questions pointues, mordantes. Charest ne bronche pas, toujours courtois et distant. Ils ont 40 minutes pour taper leur histoire entre deux escales, je les lis le lendemain : leurs textes sont pleins et lisses, ne manquent pas un chiffre, pas une nuance. Ne manquent que leurs rires et leurs impertinences. Dommage. La campagne serait tellement moins plate.

Ils sont différents de leurs aînés. Moins " politiques ". Moins personnellement concernés. Plus journalistes, quoi. Ils ont hâte au débat des chefs pour changer d'autobus et le mal de place. Ceux de Charest s'en iront chez Bouchard et le contraire. Pour le confort, le support, l'intendance, c'est mieux chez Charest. Pour le reste c'est pareil : des bêtises pour une apparence de démocratie.

BRILLANT -

Les plus belles pancartes sur le bord des routes du Québec en ce moment sont celles des libéraux, Pour un Québec plus fort. Les mieux placée , les plus en vue, sont celles des péquistes : J'ai confiance. Les plus rares, et on ne s'en plaindra pas, sont celles de Mario Dumont : Du vrai.

Mais les pancartes les plus intelligentes sur le bord de nos routes en ce moment sont celles qui disent : Réfléchir c'est brillant. Et comme de fait, ce n'est pas le slogan d'un parti politique.

MÉMO À M. CHAREST -

Je ne sais pas si ce sont vos proches qui ne laissent pas traîner leurs oreilles aux bons endroits, c'est vous qui résistez à leurs conseils, mais je vous assure que vous gagneriez des sympathies ( sinon des voix ) en cessant d'appeler votre femme Michou en public. Dites Michèle. Dites ma fiancée, promis, je ne vous ferai pas payer de droits d'auteur. Même, dites mon " népouse ". Tout sera préférable à Michou. Ce n'est pas que ce soit laid, Michou. C'est la charge affective qui indispose. Cela fait foutriquet qui cherche ses pantoufles.

Michou ! As-tu vu mes pantoufles ?

Et vous pensez qu'on élirait un tata qui n'est pas foutu de trouver ses pantoufles tout seul ?