Le mardi 17 novembre 1998


La farce est dans la dinde
Pierre Foglia, La Presse

Quand les politiciens amplifient les problèmes pour mieux valoriser leurs solutions, quand ils instrumentalisent le cancer pour en faire un enjeu électoral, quand ils mentent sur l'avenir, sachant que le démenti ne viendra pas avant quatre ou cinq ans, quand ils adaptent leurs propos à des auditoires particuliers, jeunes, vieux, femmes, industriels, ouvriers, même s'ils doivent, pour cela se contredire d'un discours à l'autre, quand ils chauffent les foules en les flattant dans le sens du poil, j'ai envie de crier " Assez! ", " Menteurs ! " J'ai envie de crier pousse, mais pousse égal. J'ai envie de crier je ne sais quoi. J'ai envie de crier, juste crier.

Gardez à l'esprit que c'est un naïf qui parle. Et je ne dis pas cela pour faire mon rusé par en dessous. Je n'arrive pas à me mettre dans le crâne que tout cela n'est qu'une comédie. J'y arrivais mieux il y a vingt ou trente ans, quand le discours mal maîtrisé, mal ficelé des candidats du Québec profond ne laissait aucun doute sur la nature du spectacle : c'était une farce, on ne pouvait en douter. Au moins, on riait.

On est loin, aujourd'hui, des gaietés sémantiques de ce temps-là. On a appris à causer depuis. Même dans le Québec profond, le discours s'est mondialisé avec les marchés. Le jeune candidat libéral dans Kamouraska et sa vibrante collègue dans Rimouski se réclament de la même modernité que les élites de n'importe où dans le monde, et ils expriment leur foi dans le libéralisme dans le charabia technocratique du français le plus international qui soit. On est à Kamouraska, mais on pourrait, en se fermant les yeux, se croire à un dîner de chambre de commerce en Belgique, en Suisse, ou à Bordeaux.

En devenant idéologique, la farce est devenue invisible. Intériorisée. Toute, maintenant, dans la dinde.

IMAGES -

Je ne sais pas pourquoi certains espèrent du débat de ce soir " un débat d'idées ". On est à la télé, non ? Alors ce sera un débat d'images. Et un grand classique à part ça. Le charismatique contre le médiatique. Le charismatique, porté par la force des convictions qu'on lui prête, devra paraître grave et serein. Il ne gagnerait rien à s'agiter... Le médiatique, au contraire, a l'obligation de briller, séduire, attaquer, s'imposer, tout cela sans indisposer. C'est sa partition la plus difficile.

Le premier est reconnu. Le second a encore à se faire connaître. Un match nul suffit au premier pour garder l'avantage. Le second doit chercher l'estocade.

Une seule inconnue, et qui pourrait être déterminante : au service de qui Mario Dumont fera-t-il le picador ?

MAIS SI, C'EST UNE ÉLECTION RÉFÉRENDAIRE -

J'écoutais le jeune et brillant candidat libéral de Kamouraska ( j'oublie son nom ) parler de développement régional, dire tout ce qu'il allait faire de merveilleux et d'extraordinaire dans le gouvernement majoritaire de M. Charest. Après son discours je suis resté dans la salle pour demander aux gens ce qu'ils en pensaient. Et savez-vous, les gens ne sont pas fous. Ils savent bien, depuis le temps, que se faire élire et gouverner sont deux exercices différents pour ne pas dire opposés : on se fait élire en donnant, alors qu'on gouverne en prenant. Il n'est pas besoin de parler longtemps aux gens dans les assemblées libérales pour comprendre que, au fond, tout ce qu'ils demandent à leur candidat c'est d'être fédéraliste.

On l'a vu au dernier référendum, la moitié de la province est fédéraliste. On peut supposer que cette moitié-là votera libéral.

L'autre moitié n'est pas forcément séparatiste. Ça veut dire ce que ça dit : elle ne veut pas qu'on la force à l'être, ni a ne pas l'être... Ce sera donc, finalement, une élection référendaire. Mais pas sur la séparation. Une élection référendaire sur le référendum. Ceux qui n'en veulent pas, voteront Charest. Et ceux qui n'en veulent pas non plus, mais pensent que ce n'est pas nécessaire de le crier sur tous les toits, voteront Bouchard.

C'est l'envers des années quatre-vingt. M. Charest s'est fait voler par les péquistes le flou constitutionnel qui l'eût sauvé et qui vient du jardin de M. Robert Bourassa.

LES TOUTOUS -

Pour moi, la drôlerie de la campagne jusqu'ici, c'est quand le chef du NPD, Mme Alexa McDonough, est allée dire que M. Bouchard s'occupait mieux de la santé au Québec que M. Chrétien à Ottawa. Un beau chahut aux Communes... Ce qui m'a sidéré, par contre, mais je vous répète que c'est un naïf qui parle, est l'attitude de la presse parlementaire. Quand Mme McDonough est sortie des Communes, les journalistes, avec une belle unanimité et un poil d'agressivité, lui ont demandé pourquoi elle cherchait à détruire le Canada. Des journalistes dont la job est de rapporter la nouvelle, point. Tous furieux. Tous en guerre sainte. Ceux de Halifax, de London, de Calgary, de Saskatoon, de Toronto, de Vancouver, de Flin Flon. Tous.

Sont-ce là les chiens de garde de la démocratie au Canada ?

Ou les petits toutous du chenil à Sheila ?

Pendant ce temps, une collègue de La Gazette interpellait M. Charest sur le fait que les hôtesses de l'avion qui venait de nous déposer à Gaspé avaient donné les habituelles consignes de sécurité en anglais seulement... ( ce que je n'avais même pas noté, soit dit entre nous ).

Cout'donc, ce pays est-il en train de virer fou ?

QUESTION SANS RÉPONSE -

Je suis en train de lire Une année à la campagne, le grand livre culte de la nature écrit par Sue Hubbell au début des années quatre-vingt, un livre qui essaie de répondre aux mille questions de la vie. Qui soutient, plus précisément, qu'il est plus de questions dans la vie que de réponses, qu'il faut donc s'armer de patience, et aimer nos questions. " Aimer nos questions ", j'aime bien l'idée.

Je ne sais pas pourquoi je vous parle de ça, enfin si, je sais, c'est pour la citation de Rainer Maria Rilke qui donne le ton au livre : Essayez d'aimer vos questions elles-mêmes... ne cherchez pas des réponses qui ne peuvent pas être apportées parce qu'alors vous ne pouvez pas les vivre... Vivez pleinement vos questions, et finirez-vous peut-être, un jour, par entrer insensiblement dans les réponses. ( Lettre 4, à un jeune poète )

Lue dans le contexte des élections au Québec, une citation amusante, non ?