Le jeudi 19 novembre 1998


La rage de ne pas lire
Pierre Foglia, La Presse

Excusez-moi, en pleine ouverture du Salon du livre, de vous parler d'un petit livre que je n'ai pas lu. Ce n'est pas pour faire le drôle. C'est parce qu'il n'est pas encore arrivé à Montréal. Quand je vous aurai dit le titre, je sais que vous serez curieux, vous aussi d'y jeter un oeil. Peut-être même deux. Cela s'appelle, délicieusement, La première gorgée de…

Hé ho, voulez-vous me laissez finir ? Non ce n'est pas La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe Delerm. Ce livre-là, tout le monde l'a lu et adoré. Moi aussi, bien sûr. Vous savez mon goût immodéré pour les confitures. Et dieu de dieu que celle-là était sucrée. Moins pourtant que le Delerm suivant, écrit dans la foulée, Il avait plu tout le dimanche. Sans parler des sous-produits surgis de cette mode un peu sirupeuse, tel L'heure exquise de Dominique Barbéris. N'en jetez plus, on s'étiole.

Bref, un petit impertinent a eu l'idée d'un Pastiche " hard ", comme disent les Français, pastiche qu'il a impertinemment appelé. La première gorgée de sperme, c'est quand même autre chose. Un livre bandé pour se foutre, si j'ose dire, de la littérature molle. C'est une bonne idée. On dit qu'un écrivain connu se cacherait derrière le pseudonyme de Fellacia Dessert ( sic ), mais on dit souvent ça des livres de cul, comme s'il y avait des érections plus littéraires que d'autres.

La première gorgée de sperme, c'est quand même autre chose est publié chez Blanche Éditeur. Le premier qui le lit c'est celui qui l'est, je veux dire, le premier qui le lit le raconte à l'autre. Promis ?

Petite anecdote. J'ai passé la commande à ma librairie. Stéphane, le libraire, a appelé chez le distributeur. C'est une jeune fille qui lui a répondu :
- Excusez-moi. Pourriez-vous répéter le titre ?
- La première gorgée de sperme...
Un silence. Puis, la jeune fille : " Un instant, monsieur, ce ne sera pas long. "

ALLÉLUIA JE SUIS BRANCHÉ -

Un autre livre que je n'ai pas lu : Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq. Je l'ai acheté hier. C'est le roman de la rentrée littéraire dont on parle le plus en France qui est, en ce moment même, divisée en pro et en contre Houellebecq. Ici on crie au génie. Là à l'ignominie. Libé a aimé. Le Figaro a vomi. Sollers rit dans sa barbe. J'ai suivi ça sur... Internet ! Mon tout premier voyage sur Internet. Un soir, vers 10 h, sur Yahoo, j'ai accroché ce titre par hasard : " Littérature et bien-pensance ". Bienpensance ? What the fuck ? Je suis allé voir sans me méfier, et voilà, vers minuit j'avais lu à peu près 150 pages de critiques, de débats, de réflexions sur un livre que... je n'avais pas lu. Je l'ai finalement acheté pour " vérifier " ce qu'on en dit, plus que par goût de le lire.

Pardon ? Ce que je pense d'Internet ?
Rien.
Pourquoi dites-vous " comme d'habitude " ? Eh ! bien justement pas. Un grand changement s'est opéré dans ma vie depuis que je suis branché. Avant, je ne pensais rien, de rien. Maintenant, grâce à Internet, je ne pense rien, de tout.
Autrement dit, je suis aussi con qu'avant, mais ça me prend plus de temps.
PLUME DANS LE CUL -

Le résumé de couverture parle d'un livre " cruel à force de justesse ". Je n'ai rien vu de cruel là-dedans. Le titre non plus, je ne suis pas d'accord : Sans moi. L'auteur est toute là, au contraire. Sinon l'auteure, la narratrice. La narratrice de Sans moi habite seule à Paris avec deux enfants. Pour vivre, elle écrit des conneries pour des agences... Je compare mon activité professionnelle à celle d'un embaumeur... je dois rendre présentables des mensonges décomposés, au terme d'un douloureux patchwork d'approximations, des contre-vérités et des phrases absolument dépourvues de sens. Les agences qui m'emploient me présentent à leur client comme " une plume ". Plume dans le cul, oui... Une nouvelle gardienne vient d'arriver à la maison. Une petite bum de la rue, un peu pute, un peu junkie qui rêve de devenir clown. Il ne se passera rien, sauf l'amitié entre la gardienne et la narratrice, et un peu de leur vie, si on peut appeler ça rien. Ça donne un livre agréable. Pourtant leur vie ne l'est pas vraiment. C'est sans doute qu'on vit comme on peut. Mais qu'on écrit pour aller mieux.

J'ai une question toute simple à poser à l'auteure, Marie Desplechin : " Y a-t-il une si grande différence entre agrémenter la réalité pour en faire un des romans les plus en vue de la rentrée littéraire, et écrire des conneries pour les agences comme le fait la narratrice du livre pour gagner sa vie ?

" Plume au cul de toute façon, non ? ".

AÉROBIE -

Je crois que c'est à Atlanta que j'ai découvert que Michel Désautels n'était pas complètement débile quand il parlait de sport. Je viens de découvrir qu'il ne l'est pas non plus quand il écrit des livres. Dieu sait quelle nouvelle facette de son talent il nous montrera la prochaine fois. Anyway. Smiley, c'est le titre de son roman, Smiley est busboy dans un petit resto d'Atlanta pendant les Jeux. Il ne rencontrera pas James Jackson, le champion olympique du 100 mètres, mais presque. Il rencontrera Madiba son gérant, et un gros journaliste allemand, mais finalement ça ne changera pas grand chose à sa vie de pauv'nèg né pour un de bol de grits.

Smiley est un roman noir et sportif qui introduit une nouvelle discipline olympique : la corde à noeud. Smiley y gagnera la médaille de merde. Les plus belles pages décrivent la finale olympique du cent mètres, et ça ne peut pas être un hasard, le vainqueur, dopé jusqu'aux yeux et sûr de son impunité, gagnera en 9,84 : c'est précisément le temps de Donovan Bailey à Atlanta.

Tout n'est pas réussi dans Smiley, mais on va quand même au bout en courant. On n'en attendait pas moins d'un roman olympique.

CHANTONS -

Rien à voir avec le Salon du livre, ou peut-être que si, d'étonnantes banderoles dans le centre-ville ( coin Sainte-Catherine et Saint-Urbain, par exemple ) nous invitent, ces jours-ci, à parler d'incontinence. Parlons d'incontinence ! nous ordonnent-elles. Soit. Je veux bien vous chanter une petite chanson ... faire pipi sur le gazon pour embêter les coccinelles, faire pipi sur le gazon pour embêter les limaçons...

--------------------------
Liste des livres cités dans cette chronique... La première gorgée de sperme c'est quand même autre chose, Fellacia Dessert, éd. Blanche. Les Particules élémentaires, Michel Houellebecq, Flammarion. Sans moi, Marie Desplechin, l'Olivier. Smiley, Michel Désautels, vlb.