Le samedi 21 novembre 1998


Hello Bob, j'embrasse ton chien
Pierre Foglia, La Presse

Tu t'en doutes, Bob, je n'ai rien à te dire. Cela fait bien 30 ans que je t'interpelle une fois ou deux par semaine, cela commence toujours par " Hello Bob ", et cela finit presque tout le temps par " j'embrasse ton chien ", mais entre les deux, c'est vrai, je ne te dis presque rien. C'est comme ça aussi dans mes chroniques, j'ai un début et une fin, mais je ne sais jamais trop quoi mettre entre les deux. Crois-moi si tu veux, il m'arrive même d'ouvrir des parenthèses et de les refermer sans rien au milieu, comme un sandwich au jambon sans jambon. Comme ça, tiens : ( ), ( ), ( ).

Je n'ai rien à te dire aujourd'hui non plus, mais pour la première fois depuis que je te connais, j'en suis consterné mon vieux et même honteux. Je t'explique ce qu'il m'arrive.

Comme tu sais je suis branché à Internet depuis une semaine. J'apprends à naviguer avec méthode, en suivant la progression recommandée par mon livre ( Internet pour les nuls ) et me voilà enfin arrivé au chapitre " courrier électronique ". Le livre suggère, pour se familiariser avec le logiciel, de commencer par adresser quelques e-mail à... soi-même. Imagine mon désarroi...

J'ai encore moins à me dire qu'à toi. Et le peu que j'aurais à me dire, je le sais déjà. Alors je t'ai appelé pour que tu me donnes ton e-mail, et fin-finaud comme tu es, tu t'es douté de quelque chose, tu m'as dit :
- C'est con, dis-moi tout de suite ce que tu as à me dire...
- oui, mais si je te le dis, je n'aurai plus besoin de t'envoyer un e-mail. On a le choix mon vieux, entre ce truc complètement ringard qu'est le téléphone et le progrès.
D'un commun accord, nous avons choisi le progrès : Outlook Express de Windows 98 sur Internet Explorer 4.0x.
J'ai tout fait comme le livre disait de faire. Dans le haut de la fenêtre où je devais taper mon message, j'ai tapé : Hello Bob.
Et j'ai bloqué.

Quand on se parle, l'essentiel est là. " Hello Bob. " Et dans ta réponse : " Hey Foglia, salut toi. " Et j'embrasse ton chien à la fin. L'essentiel, c'est cet indéfinissable réconfort qu'apporte une voix amie quand il pleut le dimanche matin et que le chat a chié sur le tapis.

Pareil quand j'écris une chronique. L'essentiel n'est pas tant de dire des choses. Tant de gens dans ce journal et dans tous les autres disent tant de choses. Quand bien même je ne dirais rien. Quand bien même on verrait la trame du papier sous mes mots. Et un peu de l'arbre qui a servi à fabriquer ce papier, et même qu'on sente un peu de vent dans cet arbre. C'est bon pour la gueule, le vent.

Alors pourquoi cette honte soudaine de n'avoir rien à dire en t'adressant mon premier e-mail ?

Parce que je trouve la machine gigantesque, fabuleuse et que je vais m'en servir pour embrasser ton chien. Parce que je suis terriblement impressionné, mon vieux, par ce réseau de 800 millions d'ordinateurs, tous reliés au mien et au tien, qui parlent entre eux aussi bien de biologie moléculaire que de Brahms, qui donnent à la seconde le prix d'un billet aller-retour Karachi-Limoges, et l'instant d'après nous apprennent tout sur le lapin et le loup, sur les motos, le football et les anges. Comme je m'entraînais à naviguer, j'ai offert à ma fiancée : " Où veux-tu aller mon amour ? " Tu comprends que je lui offrais le monde, virtuel, mais le monde quand même. Les temples bouddhiques de Darhamsala. La Bibliothèque nationale de Paris et ses manuscrits de Flaubert. Tu sais ce qu'elle m'a demandé ?

- Peut-on aller chez Bloomingdale, à New York ?
On y est allé. Crois-le ou non, elle s'est acheté, drette-là, sur le Net, une sacoche avec un petit compartiment exprès pour mettre ses barrettes. Oui, mon vieux, c est le premier truc que j'ai fait sur Internet : acheter ! J'ai honte de ma fiancée, mon vieux.
- Y a-t-il des recettes, de cuisine sur le Net ?
- Des milliards, mon amour... Et c'est le deuxième truc que j'ai fait sur Internet : une copie d'une recette d'escalopes de kangourou à la viennoise. Je lui ai fait observer qu'on ne trouverait pas de kangourou ici. " Mais si, a-t-elle triomphé, on en trouvera par Internet. Elle a compris le principe plus vite que moi. On a lancé une recherche " kangourou-Estrie ". On a trouvé 18 sites. J'ai honte, j'te dis.

Le troisième truc que j'ai fait sur Internet, c'est d'essayer de t'envoyer un e-mail. Le premier de ma vie.

Hello Bob...
J'ai bloqué ici. Je nous sens indignes de cette fabuleuse machine à communiquer, mon vieux. C'est pour ça je t'écris aujourd'hui.
Hello Bob, j'embrasse ton chien.

MÉPRIS OLYMPIQUE -

Je trouve épouvantablement méprisante la décision de l'Association olympique canadienne de reporter, pour des raisons politiques, la divulgation du choix de la ville canadienne qui briguera l'honneur d'obtenir les Jeux olympiques d'hiver de 2010. Le choix se fait aujourd'hui, mais en raison des élections au Québec, on ne le rendra public que dans dix jours.

Trois villes en lice. Vancouver, Calgary et Québec. Vancouver est de loin la meilleure candidature pour le Canada. De loin, la meilleure chance du Canada d'obtenir les Jeux de 2010. Pourquoi retarder de dix jours l'annonce d'un choix incontestable ?

Parce qu'ils se disent : " ils sont tellement débiles au Québec, qu'ils vont prendre, le choix de Vancouver pour un rejet et voter péquiste. Surtout dans les comtés chauds de la région de Québec. Alors prudence, attendons après les élections. "

Bref, ils nous prennent pour des fanatiques incapables de juger leur décision au mérite. Du pur mépris. Stratégiquement, une pure connerie. Politiquement, un autre constat du formidable malentendu qui embrume ce pays.

FOU RIRE -

Aux nouvelles de CBS, mardi soir, on a vu un policier arrêter un automobiliste qui s'en allait tout croche sur la route ( la scène a été filmée par la caméra dont sont équipées, aujourd'hui, presque toutes les voitures de police ).

- Pourquoi tu roules tout croche ? demande le policier au type, visiblement paqueté.
- Parce que j'ai un oeil de verre, répond le type.
- Oh yeah, lequel ? demande le policier.
- Les deux ! répond le type. Both !... Le flic essaie de pas rire, mais finalement il éclate. L'autre aussi. Et ils rient. Et ils rient...
C'est fou ce que ça fait du bien de voir rire un flic.