Le mardi 24 novembre 1998


L'autobus de M. Bouchard
Pierre Foglia, La Presse,

Pourquoi ai-je l'impression que vous ferez un plus beau voyage dans l'autobus de M. Bouchard que dans celui de M. Charest ? s'interroge ironiquement une lectrice dans ma boîte vocale.

Probablement, madame, parce que vous me soupçonnez d'être souverainiste, ce en quoi vous n'avez pas tout à fait tort, et que vous me croyez de parti pris, ce en quoi vous vous trompez et, pour vous prouver le contraire, savez-vous ce que j'ai fait samedi ? J'ai pris mon grand fusil et je suis allé attendre M. Bouchard à l'UQAM où il donnait un point de presse après avoir rencontré les représentants de la Fédération étudiante universitaire. En soirée je l'ai suivi dans un sous-sol d'église du boulevard Henri-Bourassa. Dimanche matin j'ai brunché à deux tables de la sienne au restaurant Quartier-de-Lune rue Cartier, à Québec. Et en après-midi, toujours à Québec, j'ai assisté à un grand rassemblement péquiste au Centre des congrès. Bref, que vouliez-vous savoir au juste ?

S'il est gentil ? On me dit que non, pas du tout. Sa femme ? Elle s'emmerdait joyeusement samedi soir. Elle avait mis son petit coat de cuir comme pour aller bummer, elle avait l'air aussi à l'aise dans ce sous-sol d'église que moi à une assemblée des Chevaliers de Colomb. Ce qui tape le plus sur les nerfs dans ses discours ? Sa manie de se vanter de la réussite de ses sommets. Pour mémoire, il y en a eu quatre, l'économique qui a servi à ligoter les syndicats, celui sur l'emploi qui n'a rien donné, et je vous défie de me nommer les deux autres. Son plus gros mensonge ? Se dire social-démocrate. Ni Social, ni démocrate une foutue seconde. Son truc c'est d'organiser des sommets, sortes de pièges à cons dans lesquels il attire les forces vives de la nation. Il enferme tout le monde dans une grande salle. Il dit voilà le problème. Et voilà la solution. Vous pouvez discuter trois jours ou signer tout de suite ici. Mais vous n'avez pas le choix, la solution c'est ça... Il appelle ça gouverner par consensus.

Tous les grands politiciens font cela, c'est vrai. Mais M. Bouchard, c'est pas pareil : il le fait dans l'intérêt du peuple. Et c'est en cela qu'il est éminemment charismatique. Charismatique, ça veut dire, en grec, " que Dieu a envoyé sur Terre comme un cadeau ". M. Bouchard a deux cadeaux pour le Québec :
1. Le consensus.
2. Sa personne.

Modalité importante, M. Bouchard rêve que faire don de sa personne au peuple DIRECTEMENT, sans ces intermédiaires parasites que sont les journalistes. M. Bouchard pose sur les journalistes un regard agacé, on sent qu'il se retient sans cesse d'exploser : " Mais foutez-moi donc la paix ! " Il a quand même de la commisération pour deux ou trois scribes parlementaires ( celui du Globe and Mail, entre autres ) dont il tolère les questions avec une froide civilité. Il comprend que leur travail est de poser des questions. Mais le sien est de gouverner, n'est-ce pas, alors bon excusez-moi... Et hop ! il est déjà parti. Exit le politicien. Ni pire ni meilleur que Charest. Sur ce plan-là, match nul, 0-0. Zéro comme dans déficit zéro. Zéro courage de faire un autre choix que l'idéologie qui mène le monde. Zéro imagination.

Exit le politicien. Place au comédien. Attention, j'ai dit comédien. Je n'ai pas dit pute. Je n'ai pas dit clown. J'ai dit comédien au sens noble. J'ai dit l'art de porter, d'intérioriser une vérité et de la rendre en public.

Tout ce qu'a raté Charest. Sur ce terrain-là il se fait planter 12-0. Plus Charest s'agite, plus Bouchard marche lentement derrière sa canne. Plus Charest surjoue, plus Bouchard s'économise. Plus Charest lève les baguettes, plus Bouchard creuse l'émotion. Plus Charest monte dans les aigus, plus Bouchard assène. Plus Charest répète que le Québec est perdu dans la tempête, plus Bouchard se fait saint-bernard, et plus Charest à l'air d'un poodle.

Dimanche, dans le sillage de Bouchard se rendant à la scène du centre des congrès, j'ai vu des gens pleurer. On a la larme facile chez les souverainistes, soit. Et quelques minutes plus tard, les mêmes riaient comme des fous quand Bouchard a imité le sauteur à ski japonais aux Jeux de 2010 à Québec, planant dans les airs et soudain saisi d'une incertitude politico-olympique à l'idée que la piste en bas puisse quitter le Canada avant qu'il n'ait le temps d'y atterrir... La bonhomie québécoise s'adore dans ce bonhomme qui n'est pas un grand orateur mais qui a l'art des changements de rythme, des pauses, des apartés, des liens incongrus, et cultive une certaine maladresse qui va jusqu'au bafouillement. Dans ce bourru qui se laisse soudain envahir par une réelle gaieté ( il est vrai que ses scripteurs sont pas mal plus drôles que ceux de Charest ). Le Québec ni-oui-ni-non s'adore dans cet indépendantiste qui est en train d'enterrer l'indépendance. Regardez-le bien ressusciter Meech un de ces beaux matins...

C'est drôle : quand on parle aux gens, quand on leur demande ce qu'ils attendent de M. Bouchard - baisses d'impôts, meilleurs soins, écoles performantes, garderies, l'indépendance peut-être - c'est drôle, ils haussent les épaules. Ils ne savent pas. Ils attendent seulement que ça n'aille pas trop mal. Ils ne sont vraiment pas très exigeants, les gens. C'est étonnant comme, finalement, ils ne veulent pas grand-chose.

Et je pense bien qu'ils vont l'avoir.

ALLEZ BERNARD ! -

Il n'y a pas qu'au Québec qu'il y a des élections. Il y en a aussi à Saint-Egreve, dans la région de Grenoble, en France. Des élections cantonales. Et là au moins ils ont des bons candidats. En tout cas il y en a un qui s'appelle Bernard Foglia. Je ne le connais pas du tout, mais bon, avec un nom comme ça... Quelqu'un m'a envoyé le prospectus sur lequel Bernard Foglia se présente à ses électeurs... Il est marié donc, deux enfants, bref c'est un homme de famille comme moi, mais là où Bernard fait un vrai Foglia de lui-même, c'est dans le titre de son prospectus : " Pas de mots inutiles, des actes. " Écoute ! C'est sûrement un cousin !

Bernard dit aussi qu'il croit " en un relationnel fort " pour replacer l'Homme au centre du débat.

Combien de fois vous ai-je dit ma foi dans le relationnel ? Que serait la vie sans le relationnel ? Un cache-pot en forme de pot ? Et que serais-je sans toi, ami lecteur ? Un balbutiement ?