Le jeudi 26 novembre 1998


Euthanasie
Pierre Foglia, La Presse,

Le petit Robert va mourir. Il est très malade. Un truc qui le bouffe en dedans. Sans espoir. Depuis des mois il reste couché toute la journée. Pétri d'une souffrance qui lui arrache des plaintes, des gémissements qu'il essaie en vain d'étouffer. Pourtant, de temps en temps, il se lève encore pour aller pisser dehors. Il lui faut une éternité pour se rendre jusqu'à la porte. Il fait quelques pas en titubant sur le perron, fixe un instant le frileux soleil de novembre, et pisse sur sa jambe.

Le petit Robert pourrait sans doute vivre encore un mois, peut-être plus, mais il va mourir samedi. J'ai décidé que c'était assez. Je vais procéder à " l'interruption active de sa vie ", pour employer une formule légale. L'euthanasier. Ce sera samedi, parce que le samedi je n'ai rien à faire. Tuer un ami prend la journée. Il faut se libérer de tout autre activité. Je ne me vois pas écrire dans mon agenda : graisser mon vélo pour l'hiver, rentrer les derniers poireaux, tuer le petit Robert.

Non, je ne lui ai pas demandé son avis. Dans le coma où il sombre entre ses somnambules tentatives d'aller pisser dehors, il ne m'entendrait pas. Je n'ai nul besoin qu'il me dise qu'il souhaite mourir. Je sais qu'il en a assez. Cela n'a rien à voir avec la loi, avec le débat pour ou contre l'euthanasie. Cela a à voir avec la bonté. Avec l'amitié. Je n'ai pas le droit de le laisser souffrir pour rien. Pour un mois ou deux de plus d'une vie végétative. Je n'ai pas le droit de le laisser se pisser sur la jambe. C'est bien la moindre des choses qu'on doit à un être cher : la dignité d'une mort douce.

Samedi, je le prendrai sur mes genoux. Je caresserai une dernière fois son museau du bout du doigt. Je planterai l'aiguille dans son flanc d'un geste sec du poignet. En moins de dix secondes, il sera mort. J'ai creusé son trou aujourd'hui sous le noyer où il allait chasser les écureuils.

Le petit Robert a beaucoup de chance de n'être qu'un chat. J'ai le droit de le tuer par amour.

Si le petit Robert était un enfant atteint de paralysie cérébrale particulièrement débilitante comme la petite fille de M. Robert Latimer ; si, comme elle, il souffrait atrocement, la loi l'obligerait à vivre.

LES BIGOTS DE LA DÉMOCRATIE -

Descendant l'autre soir de l'autobus de M Bouchard, j'ai pris un taxi pour aller à La Presse. Un feu rouge, sur Dorchester. Une pancarte " j'ai confiance " sur un poteau. Je demande au chauffeur si lui aussi a confiance...

- Je ne vote pas, me répond-il, assez sèchement.

- Ouais ! Si tout le monde faisait comme vous...

- Si tout le monde faisait comme moi y'aurait pas un crisse de bulletin dans l'urne... Un silence, puis : " Ça sert à rien de changer de marionnette, c'est toujours le même bras qui tire les ficelles. "

Je venais d'avoir à peu près la même conversation dans l'autobus des journalistes avec une collègue anglophone. Comme je lui disais que je n'irais probablement pas voter, elle m'a donné un cours accéléré de suffrage universel : " Si aucun des candidats de votre comté ne vous plait, il faut absolument que vous alliez voter quand même, pour annuler votre vote. "

La même antienne à toutes les élections. Allez voter. Pour n'importe qui, mais allez votez. On va vous le répéter mille fois d'ici lundi. Sur tous les tons. Suppliants. Menaçants. Culpabilisants. Si vous n'allez pas voter vous ne méritez pas de vivre dans notre société, de rouler sur nos routes, d'aller dans nos hôpitaux, nos écoles, allez hop dehors. Allez hop, en Corée du Nord.

À toutes les élections, les bigots de la démocratie reviennent diaboliser l'abstention en y allant de grands couplets sur la dictature qui nous guette quand on s'abstient de voter.

Chaque fois, je me fais un devoir de leur rappeler que le droit de vote n'est nullement en danger dans nos contrées. De leur rappeler surtout que le droit de vote NE PEUT PAS EXISTER sans le droit de ne pas voter.

Chaque fois je leur répète que ne pas aller voter est un choix comme un autre, éminemment politique. Que l'abstention délibérée n'est pas une version " paresseuse " de l'annulation, mais une gradation du refus, un goutte de plus dans le ras-le-bol. Quand on ne va pas voter ce n'est pas parce qu'on hésite, comme dans mon comté par exemple, entre le libéral Pierre Paradis et le péquiste Raoûl Duguay. Je ne me suis pas gratté une seule fois la tête en me disant, " Mon dieu, mon dieu comme c'est embêtant d'avoir à choisir entre un fatigant et un fatigué ". C'est plus fondamental que ça. Je ne vais pas voter parce que je refuse les enjeux, je proteste contre l'absence de choix fondamentaux.

Trois partis. Un seul modèle économique

On ne me demande pas quel genre de société je veux. On me dit c'est celle-là que tu vas avoir. Qui tu préfères pour la faire ? Bouchard, Charest ou Mario ?

Je préfère Michel Chartrand si voulez savoir. Mais il n'est pas dans mon comté.

LES JOUETS -

La revue Time du 19 octobre nous présente le Tomahawk, le missile qui a effrayé Saddam et Milosevic. 450 kg d'explosifs. Dirigé par un ordinateur superintelligent qui se fait renseigner par satellite. Une belle machine de 750 000 $, un peu chère, regrette la revue, calculez, il faut une centaine de Tomahawks pour scrouncher un objectif, par exemple la base terroriste de Bin Laden, en Afghanistan, ça fait 70 millions pour une petite opération de rien du tout qui a fait à peine trois morts.

Le missile, superbe vaisseau orange, est représenté sur deux pages, 32 et 33, dans toute la splendeur de ses 18 pieds.

Même numéro de la même revue. Pages 34, 35, 36, 37. Un grand reportage sur les jouets que les Américains achèteront à leurs enfants pour Noël. Des nounours. Des legos. Des " plush puppy " mignons comme tout. Des locomotives. Des barbies qui jouent au basketball...

Pas de fusil. Oh non. Ni de robots agressifs. Ni de vidéos du genre Mortal Kombat. Fini tout ça. Très mauvais pour les enfants ces trucs-là. Ça les rend agressifs. Je vous jure. C'est écrit en toutes lettres.

MONOCULTURE OU MANOCULTURE ? -

Déplorant l'absence de débat sur la culture au cours de la campagne électorale, le candidat libéral dans Vimont, M. François Macerola, a déclaré hier aux journalistes qu'il avait serré 12 500 mains au cours de son porte-à-porte... Comme il était souvent accompagné de son épouse pour faire sa tournée, la toujours ingénue Suzanne Lévesque, on pourra dire de celui-là qu'il a fait du pied et des mains pour devenir ministre de la Culture.