Le jeudi 3 décembre 1998


Vancouver, indiscutable
Pierre Foglia, La Presse,

Il ne s'agissait pas de choisir la ville la plus méritante, la ville avec un meilleur dossier, la ville qui a le plus besoin des Jeux. N'ai-je pas lu quelque part, ce matin, que la ville de Québec aurait dû être choisie parce que l'est du Canada a plus besoin d'installations sportives que la région de Vancouver ?

Ça n'a rien à voir.

La seule question qu'avaient à se poser les gens du Comité olympique canadien était celle-ci :
Quelle ville canadienne a le plus de chance d'être choisie par les délégués du Comité international olympique pour organiser les Jeux de 2010 ?

Ils n'avaient pas à choisir la meilleure présentation. Ce n'est pas un show de french-cancan, cette affaire-là. Ils n'avaient même pas à choisir la meilleure candidature canadienne intrinsèque, c'est-à-dire la meilleure candidature " du dedans ". Peut-être Québec était-elle la meilleure candidature " du dedans ". Je n'en sais rien. Mais ce n'est pas important puisqu'il fallait choisir la ville qui séduirait le mieux, au dehors...

C'était indiscutablement Vancouver.

Pourquoi ? Parce que. Avant d'être une question de dossier, d'installations, d'arguments concrets et quantifiables, c'est une question de feeling. D'exotisme. Vancouver fait rêver le monde. Vancouver est une ville encore nimbée d'inconnu dans l'imaginaire des Européens et des Asiatiques. Vancouver est une des dernière villes d'Amérique dont on dit encore, en rêvant : " Là-bas. " Le pittoresque de Québec ne faisait pas le poids devant le mystère de Vancouver. Le mystère donne envie d'aller voir. Le pittoresque peut toujours attendre les vacances.

Je m'étonne que Québec se soit illusionnée si fort. Tous ces espoirs, cette mobilisation, ce référendum pour rien. C'était sûr que ce serait Vancouver. C'était criant. Je l'ai dit à la seconde où j'ai su le nom des villes candidates : Vancouver. Si j'étais membre du Comité olympique canadien ( c'est mon avant-dernier souci ), si je tenais tant que cela à ce que le Canada organise les Jeux olympiques ( c'est celui-là mon dernier souci ), j'aurais voté Vancouver à deux mains. Sans même voir les dossiers. Vancouver a cent mille fois plus de chances devant le CIO que Québec. Et c'était le seul critère à considérer.

Vous voulez savoir ? Devant le CIO, même Calgary, qui n'avait aucune chance de ravoir les Jeux une seconde fois, eût été mieux considérée que Québec. Québec porte une très lourde croix devant le CIO. Et non, ce n'est pas l'incertitude politique. Personne dans le monde, même les membres du CIO qui sont vieux et cons, ne qualifient " d'incertitude politique " la valse hésitation constitutionnelle des Québécois. Non. La croix que porte Québec devant le CIO n'est pas politique. Elle est olympique. Elle s'appelle Montréal 76. Les pires Jeux de l'histoire moderne des Jeux. Sur le plan de l'organisation, ceux d'Atlanta ont été un plus grand fiasco, mais ils n'ont pas laissé de déficit. Le CIO a encore en travers de la gorge le stade inachevé de Montréal...

Vancouver n'a pas été un choix politique. Nonobstant les sentiments profonds de la majorité des délégués canadiens. Nonobstant le rôle qu'a joué là-dedans le très puissant et très hypocrite Dick Pound, que j'ai toujours connu empressé à mettre l'olympisme au service de l'unité canadienne. Peu importe. Vancouver s'imposait comme un choix indiscutable. Et dès lors que Vancouver s'impose comme un choix indiscutable, ce sont les récriminations des gens de Québec qui deviennent des jérémiades politiques. Du chiquage de guenille politique, du braillage politique.

La décision d'avoir reporté l'annonce du résultat reste odieuse. Mais, entre nous, juste pour parler pratico-pratique, et sans rien vouloir justifier après coup, si l'annonce du choix de Vancouver avait été faite, comme prévue, il y a dix jours, cela aurait effectivement changé le résultat des élections dans certains comtés chauds de la région de Québec. Je pense en particulier à Margaret Delisle, candidate libérale élue dans Jean-Talon ( majorité de 17 voix ), et à Michel Després, candidat libéral élu dans Limoilou ( 700 voix de majorité ) qui auraient certainement été battus dans leurs comtés.

Reste que ce report est une décision odieuse. Il fallait prendre le risque d'un vote de protestation. Quand une démocratie n'assume pas ses imbéciles, elle manifeste un désir de pureté dangereux, qui mène, par prévention, à traiter tout le monde comme des imbéciles. On est tout près, ici, de l'intégrisme.

ÉLECTIONS -

Je ne suis pas le premier à le dire : comme cette façon de voter libéral en s'élisant un gouvernement péquiste, nous ressemble ! Comme cette élection exprime bien ce que nous sommes, nos contradictions, nos incertitudes, nos divisions. Ce qui est nouveau peut-être, et qui commence à pointer, c'est le sentiment que, justement, ces incertitudes et ces contradictions ne sont peut-être pas des empêchements à nous réaliser, que l'affrontement incessant de deux forces qui s'annulent en faisant un peu désordre vaut peut-être mieux qu'un ordre unique qui contraindrait, dans un sens ou l'autre, près de la moitié de la population. Bref, il me semble que le Québec commence à s'accepter tel qu'il est : autre.

Si le reste du Canada peut avoir l'intelligence de ne pas rallumer le feu de la discorde toutes les cinq minutes, par exemple si M. Chrétien voulait bien nommer M. Stéphane Dion aux Pêcheries, si M. Jean Charest veut bien ne pas se relancer tout de suite dans une campagne électorale qui durerait quatre ans, si Michou peut se faire enlever par quelque prince séduit par le doux ovale de son visage, et que son mari rencontre une nouvelle épouse qui s'appellerait Berthe ou Cunégonde ou Hildegarde, je veux dire rien qui puisse se réduire à Mimi, Minou, Michou ou Cricri, alors, mon Dieu merci, il fera quand même bon vivre dans ce pays qui n'en est pas tout à fait un.

FÉLICITATIONS -

Félicitations à Line Beauchamp ( libérale ) de s'être fait élire dans Sauvé, à François Macerola ( libéral ) de s'être fait battre dans Vimont, à Raoul Duguay d'avoir ramassé plus de 9000 voix dans une cause perdue d'avance, à Michel Chartrand d'avoir eu ce cri du cœur : le, " human interest, ça me fait chier ! "... " Moi aussi ! " ont dit aussitôt des centaines de journalistes, des millions de lecteurs, de téléspectateurs et d'auditeurs. Il n'est que les directeurs de l'information à n'avoir rien entendu.