Le mardi 8 décembre 1998


Le courrier du genou
Pierre Foglia, La Presse,

L'INNOCENCE - Jean-Martin Lapointe qui a vécu aux États-Unis, n'aime pas que je dise que la force des USA, c'est la force de l'ignorance.

Moi aussi j'ai vécu dans ce pays, en plus de l'avoir abondamment parcouru et pédalé. Et j'ai au moins une certitude sur les États-Unis : on peut en dire exactement le contraire de ce qu'on vient d'en dire à l'instant, et ce sera vrai, et faux, tout autant.

J'ai dit l'ignorance est une force, et vous avez entendu la force du fascisme, de l'intégrisme. Mais l'ignorance, c'est aussi la force, ou devrais-je dire la santé, de mon père presque analphabète. Mon père était un brave homme. L'ignorance est la force tranquille et sereine de millions d'hommes et de femmes honnêtes et bons. La somme de ce que l'on ne sait pas ne fait pas toujours de nous des abrutis, ou des brutes. Ce que l'on ne sait pas s'appelle aussi, parfois, innocence.

Quand je dis que l'ignorance est une force, je ne veux pas dire autre chose : une force... Caution, lecteurs de cette chronique, objects in this mirror may be closer than they appear. Je laisse en anglais parce que je trouve que ça fait aussi une belle devise pour l'Amérique.

LA RELIGION À PÉDALES - M. Stéphane Péloquin, de Deauville, fait du vélo. Avec un vieux Mikado. En t-shirt. En bermudas ordinaires. Pas de lycra. Pas de cuissards. Pas de pédales look. C'est son goût. Mais comme ça arrive souvent avec les granos : de leur goût ils font une religion.

Selon M. Péloquin, sauf les coureurs du Tour de France, tout le monde devrait rouler sur un vieux Mikado. On l'écoeure avec nos Marinoni, nos cuissards, nos trucs et nos machins. Et bien sûr, quand, par hasard, on le croise sur la route, on ne le salue pas. On le snobe ! Parce qu'il n'a pas le look. La bicyclette est devenue un look, se désole-t-il.

Allons donc. Personne ne roule, ne skie, ne court, ne rame, pour le look. Le trip n'est pas de se montrer. Mais de se mesurer. De s'engager physiquement. De souffrir. Mais pourquoi devrais-je le faire sur un vieux Mikado ? Je suis maso, je suis pas con.

Je la connais, la chanson. Vous, les granos, quand vous faites du vélo ou du ski de fond, vous entendez chanter les p'tits oiseaux. Mon cul. Vous entendez rien du tout. Je roulais avec vous avant. Je vous connais. Vous êtes des curés. Les dépositaires de la bonne religion à pédales. J'ai commencé à m'entraîner juste pour vous perdre dans la brume. Pour ne plus vous entendre dire des conneries.

DIEU ENCORE - De Robert Maltais : Le 27 octobre vous avez écrit Dieu qui n'existe sûrement pas...

Pourquoi sûrement ?

FRISETTES - Claire Huneault : Ma coiffeuse m'a affirmé que vous ne lisiez pas les lettres manuscrites.

Dites donc à votre coiffeuse de fermer sa gueule quand elle fait des frisettes.

La même en PS : Vous avez parlé d'Internet pour les Nuls, il ne m'a été d'aucune utilité. Leur humour m'agace. Vous n'auriez pas une autre suggestion ?

Demandez à votre coiffeuse.

( Sans blague, vous avez raison, Internet pour les nuls est un très mauvais guide. Ma collègue Marie-Andrée Amiot - Cyber-presse - recommande vivement Internet au bout des doigts ( Trécarré ).

Y'A DES CHRONIQES COMME ÇA - Nombreuses lettres larmoyantes à propos de la fin du Petit Robert, mon vieux minou moribond. Une confidence : je parlais TRÈS accessoirement, dans cette chronique, de mon chat malade. Mon sujet, c'était l'euthanasie et l'affaire Latimer. Mais j'ai reçu un million de lettres sur mon pauvre minou. Et pas une qui évoque l'affaire Latimer. C'est moi qui ai raté mon coup, ou c'est vous qui devenez un peu gaga ? Y'a des jours comme ça.

PARANO - Quand Alberto, Canadien d'origine chilienne, est allé voter, il y avait un " R " à côté de son nom. Il a cru que c'était pour réfugié. Mais c'était pour radié. Pas le droit de voter. Finalement ça s'est arrangé, après une visite au bureau des élections. Mais Alberto n'a pas apprécié. Sais-tu, a-t-il dit à sa femme, un peu plus tard, c'est la première fois depuis que je suis au Canada, que je ressens la même peur qu'au Chili.

Whao Alberto, on se calme le pompon !

C'est pas l'État policier ! Cela s'appelle " la radiation par un tiers ". L'idée est de corriger les erreurs de la liste électorale, déménagements, récents décès, ce genre de trucs. Souvent la correction est apportée par un voisin. Il y a toujours une enquête. Un avis est envoyé. Ici il y a eu une erreur, un oubli, bon'

Whao Alberto, on se calme le pinochet.

C'EST QUOI TU VEUX SAVOIR ? - Vous ne manquez pas d'air, M. Henri Acoca. Vous me soupçonnez de réinventer, à ma manière et à mon profit ( ? ) l'art de " bouffer du Juif ", vous vous faites odieux en même temps que mielleux, vous mesurez mes mots en laissant les vôtres dire n'importe quoi, par exemple vous qualifiez les Territoires occupés de vagues projets immobiliers... peut-être illégitimes.

En plus de m'accuser d'adhérer à la recette de marketing américaine " Jews are news ". Vous jouez à quoi ? Vous voulez savoir quoi, au juste, M. Acoca ?

Pourquoi je me chicane parfois avec les organismes juifs ? Parce que je les soupçonne de mener deux combats de concert, l'un, ouvert, contre le racisme, l'autre, sous-jacent, contre le séparatisme. Et que jamais personne ne parle de ce cas patent d'instrumentalisation politique, un des plus joyeux scandales de la vie montréalaise.

URGENT - Cet été, je terminais une chronique sur le suicide par un passage de La Steppe de Tchekhov qui dit ceci : Un milan rasa le sol de son vol coulé et soudain s'immobilisa dans l'espace comme s'il méditait sur l'ennui de vivre, PUIS REPRIT SON VOL, et fila comme un trait au-dessus de la steppe.

Dans ma boîte vocale, jeudi dernier, la voix d'une jeune fille, lasse et détachée, qui me dit ceci : Votre affaire avec le milan ça marche pas, l'oiseau ne sait pas qu'il vole, tandis qu'il y a des gens qui vivent, et c'est ça le problème, ils savent qu'ils vivent. Donc l'exemple est pas bon, je trouve. Mais ce que je pense n'a pas d'importance... Je ne vous laisse pas de nom parce que j'en ai pas... Je m'excuse de vous avoir dérangé pour des âneries. Bonjour.

J'aimerais beaucoup vous parler, mademoiselle. C'est important, je crois. Appelez-moi. S'il vous plaît.