Le mardi 15 décembre 1998


Je n'ai pas d'horreurs à vous raconter
Pierre Foglia, La Presse

J'avais commis la chronique que je m'apprête à écrire maintenant pendant la campagne électorale, c'est pour le coup que vous m'eussiez traité de péquiste ! Figurez-vous que je m'apprête à dire que, peut-être, ( j'insiste : peut-être ), la santé ne va pas aussi mal qu'on le dit au Québec.

Je m'apprête à aller contre notre religion nationale, qui n'est plus la religion catholique, mais la religion de la santé. Je vais insinuer qu'on n'attend pas toujours des mois pour se faire soigner et qu'on n'est pas toujours traité comme des chiens dans les hôpitaux. Bref, je vais vous décevoir.

C'est le parcours médical d'un vieux monsieur de 80 ans de Saint-Jean-sur-Richelieu. À la mi-juin, alertée par ses incessants toussotements, sa femme se rend au bureau d'un ORL et insiste auprès de la secrétaire de l'ORL : " Je crois que c'est urgent, madame ". Elle obtient un rendez-vous pour le lendemain. Je vous prie de le noter : le lendemain. Pas le mois suivant. Précision importante : le vieux monsieur et sa femme sont des citoyens normaux, ordinaires. Pas de relations, pas de faveurs. La filière ordinaire.

La biopsie révèle un cancer de la gorge.

Le premier ORL réfère le vieux monsieur à un second ORL, qui est aussi oncologue et partisan d'un traitement agressif. Chimio et radiothérapie.

Suivent deux semaines de flottement. Le temps que le vieux monsieur et son entourage consultent ailleurs, pour un second avis. À Cowansville et à l'Hôtel-Dieu de Montréal on leur propose un traitement palliatif, beaucoup moins agressif. Les voilà donc devant un choix. Notez-le encore : ce système qu'on dit sans ressources, en a tout de même assez, de ressources, pour offrir un choix de traitement à un monsieur de 80 ans qui a le cancer de la gorge.

Le vieux monsieur choisira le traitement de choc. Il est aussitôt admis à l'hôpital du Haut-Richelieu pour une première semaine de chimio. Trois semaines de repos. Et une autre semaine de chimio. On est en juillet. L'oncologue ORL est en vacances, son remplaçant est tout aussi attentif et présent. Le personnel de l'hôpital, moins nombreux, n'est pas sur le nerfs pour autant. Évaluation du service par l'épouse du vieux monsieur qui passe ses journées à l'hôpital : très correct.

Fin septembre, commence, comme prévu, et sans attente indue, les séances quotidiennes de radiothérapie à l'hôpital Notre-Dame. J'insiste : comme prévu. Quand on parle de ce qui va le moins bien dans le système de santé, l'engorgement des services de radio-oncologie est systématiquement pointé. Le vieux monsieur n'a pas attendu une seule journée. Pas un seul rendez-vous remis. Et je vous répète qu'il n'a bénéficié d'aucune faveur, d'aucune recommandation, ni pression particulière.

Si le premier rendez-vous avec le radio-oncologue n'est pas des plus chaleureux, les suivants seront plus satisfaisants. Le spécialiste se montrera à chaque fois très explicatif. La grande surprise, par contre, vient de la chaleur de l'accueil au service même de radio-oncologie, au cinquième sous-sol de l'hôpital Notre-Dame. L'entourage du vieux monsieur n'en revient pas encore de la gentillesse, de l'empressement, de la patience des infirmières, infirmiers, techniciens du service. Tous les jours, pendant sept semaines, on ne peut pas parler d'un hasard. Ces gens-là font exprès d'être gentils, c'est sûr ! Faut croire qu'au cinquième sous-sol où ils oeuvrent, la rumeur que notre médecine était une des plus déshumanisante de la planète ne leur est pas encore parvenue.

Le traitement de choc ayant affaibli le vieux monsieur - la chose était prévue - il a dû être hospitalisé une semaine à l'étage gériatrique de l'hôpital du Haut-Richelieu. Ici encore, son entourage loue la chaleur et la prévenance du personnel et la grande qualité des soins donnés. Une anecdote. Conséquence de la radiothérapie qui a mis sa gorge à vif, le vieux monsieur doit être gavé par le nez. En vue du retour à la maison, une infirmière montre à l'épouse comment s'y prendre. Deux démonstrations. Pour le troisième essai, au souper, l'épouse devra procéder elle-même. À ce moment-là l'infirmière aura terminé son quart de travail. Cela l'ennuie de ne pas être présente : " Je resterais bien, si je n'avais pas les enfants... Attendez, je vais voir si je peux rejoindre une gardienne ".

Elle non plus n'a pas dû recevoir la circulaire sur la déshumanisation des soins dans notre système de santé.

Le vieux monsieur est sorti de l'hôpital lundi dernier. Le premier jour une infirmière est venue deux fois à la maison pour voir si tout se passait bien. Elle est revenue régulièrement refaire les pansements. Le second jour une physio est venue aider le vieux monsieur à prendre sa douche. On attend la visite d'une diététicienne et du médecin généraliste. La femme de ménage du CLSC est annoncée. Si ça se complique on a le numéro d'une infirmière de garde joignable 24 heures sur 24.

Pendant la campagne électorale j'ai entendu M. Charest parler d'un système de soins, tiers-mondiste. Se pourrait-il que M. Charest, qui a surtout vécu à Ottawa, confonde Saint-Jean-sur-Richelieu avec la Somalie ?

À deux reprises pendant son séjour à l'hôpital du Haut-Richelieu, le vieux monsieur à dû être conduit en ambulance à Notre-Dame pour y recevoir sa shot de radiothérapie. Le voyage s'est fait en ambulance, deux ambulanciers, une accompagnatrice... Des coupes, trop de coupes, dites-vous. Assurément. Mais il reste des petites choses quand même, non ?

En une autre occasion, l'ambulance est venue le chercher à domicile, et il s'est trouvé que, cette fois là, les ambulanciers étaient des ambulancières, deux jeunes femmes un peu frêles...

- Mon dieu comment feriez-vous si mon mari était un gros monsieur ? s'est inquiété l'épouse.

- On ferait deux voyages, a répondu joyeusement une des jeunes femmes.

L'épouse du vieux monsieur est partie à rire. Ça lui a fait du bien. Elle était plutôt portée à pleurer ces derniers mois.

Voilà mon vieux. Je m'excuse de n'avoir pas d'autres horreurs à vous rapporter. Pouvez toujours vous consoler en relisant les discours de M. Charest qui viennent d'être publiés aux éditions Urgence sous le titre : Le Québec agonise et les infirmières sont flagadas.

Je ne vous embrasse pas, j'ai des microbes et, sait-on jamais, vous pourriez vous ramasser à l'hôpital.