Le jeudi 17 décembre 1998


Le monde est malade
Pierre Foglia, La Presse

Le vrai titre, mais c'était trop long, le vrai titre de cette chronique était le monde est malade mais y veut pas monter dans l'ambulance. C'est encore à propos du Système, cette omnipotente abstraction qui réglemente nos vies avec si peu de sens commun qu'on touche parfois, comme ici, à la pure loufoquerie.

Le monde est malade, disais-je, et, de fait, madame Juliette n'allait pas très bien ce jour-là. Alors qu'elle se trouvait dans la cuisine commune de la maison de chambres où elle habite à Rosemont, elle a suffoqué sous l'emprise d'une violente crise d'asthme, au point de perdre connaissance. Heureusement que passait par là M. Morrissette, le propriétaire de la maison de chambres qui a appelé Urgences Santé.

Le temps que les ambulanciers arrivent, Mme Juliette avait retrouvé ses esprits et son Ventolin. Tout à fait remise, elle s'est excusée auprès des visiteurs : " Je suis correcte les gars, tout va bien, je m'excuse et je vous remercie "...

Avant d'aller plus loin, précisons que cette affaire a été jugée en cour criminelle et qu'elle est présentement en Cour supérieure. Mme Juliette réclame 85 000 $ à la Corporation d'Urgences Santé. Les faits rapportés ici sont tirés des allégations de la demanderesse ( Mme Juliette ). Appréciez au passage ( en italique ) la poésie du langage juridique...

La demanderesse indique aux deux ambulanciers que leur aide n'est plus requise...

Mais, à sa grande surprise et à celle de M. Morrissette qui assiste à la scène, les ambulanciers refusent de quitter les lieux. Ils veulent absolument emmener Mme Juliette à l'hôpital. ( Notez que dans le cas d'un client bénéficiant de l'aide sociale, c'est le cas de Mme Juliette, Urgences Santé reçoit, par " voyage " entre 85 $ et 115 $ du ministère de la Santé. Mais pas un sou quand l'ambulance se déplace pour rien. Get it ? )

La demanderesse continuant de refuser l'aide des ambulanciers, ces derniers tentent de la maîtriser physiquement.

Généralement, quand on embarque un malade dans une ambulance, c'est qu'il n'est pas capable de bouger ou de marcher. Ici nous avons une malade qui bouge, se débat vigoureusement, réussit à se dégager et s'enfuit à toutes jambes par la porte d'en arrière !

La demanderesse prend la fuite par la ruelle adjacente.

Burlesque, dites-vous ? Attendez la suite. Alors qu'un des infirmiers se lance, à pied, à la poursuite de la dame, son collègue fait le tour par la rue et c'est au volant de l'ambulance qu'il prend en chasse la malade récalcitrante. Le titre de cette chronique pourrait être aussi : Une ambulance traque un malade.

Ils la pognèrent, bien sûr.

Mais Zorro est arrivé ! Je veux dire, M. Morrissette, le propriétaire.

C'est alors qu'ils forçaient la demanderesse à prendre place dans l'ambulance contre son gré que M. Morrissette a tenté de la libérer... La demanderesse et le propriétaire ont par la suite réussi à s'enfuir en utilisant le véhicule de ce dernier...

Devinez où ils sont allés ? À l'hôpital ! Faire soigner les blessures qu'ils ont récoltées en se battant avec les ambulanciers !

Vous ne riez toujours pas ? OK, je vais essayer un truc. Dépités, et ne voulant vraiment pas rentrer bredouilles, les ambulanciers ont finalement embarqué deux touristes japonais qu'ils ont conduits de force à l'Institut de cardiologie où on leur a greffé toutes sortes de choses.

Ben non, nounoune, c'est pas vrai les Japonais. Ce qui est vrai par exemple, c'est que ce sont les ambulanciers qui ont porté plainte pour voies de fait. Il y a eu procès au criminel, le juge a acquitté Mme Juliette qui, à son tour, poursuit Urgences Santé au civil, en dommages et intérêts.

On se serait attendu à ce que Urgences Santé, déboutée au criminel, favorise un règlement à l'amiable. Pas du tout. La dame ne pouvant avoir recours à l'aide juridique ( qui n'est généralement pas accordée dans les cas de poursuites en dommages et intérêts ), Urgences Santé mise sur son épuisement. Quant à l'aide sociale, elle attend. Un de ses agents se manifeste régulièrement auprès des avocats de la dame pour vérifier qu'elle n'a rien encaissé encore...

Je vous le redis, le monde est malade et y veut même pas monter dans l'ambulance.

PETIT BÉMOL -

Pas si petit que ça. Suite à ma chronique euphorique de mardi sur le système de santé, ce commentaire, dans ma boîte vocale, d'une lectrice anonyme : Je suis d'accord avec vous, ce n'est pas la catastrophe annoncée, cependant, cet après-midi, je vais payer 80 $ en clinique privée pour une échographie du sein. Une mammographie a révélé que j'avais une bosse au sein, mais, à l'Hôtel-Dieu, on me dit que c'est trois mois, minimum, pour voir un médecin. Je n'ai pas envie de passer trois mois à me demander si un cancer me ronge...

Vérification faite auprès du Dr Francis Méthot, coordonnateur en oncologie pour le CHUM, la dame anonyme a malheureusement raison : les délais sont bien de l'ordre de trois mois pour passer une échographie du sein à l'Hôtel-Dieu. SAUF, la précision est importante, sauf si le médecin qui examine la bosse révélée par la mammographie a un doute et juge la situation urgente. Le délai est alors d'environ deux semaines.

Ce qui n'apaise pas, le Dr. Francis Méthot en conviendra sûrement, l'angoisse de celles qui auront à attendre trois mois la confirmation que, cette bosse, ce n'était rien. Peut-être rien.

L'ouverture des CRID, centres de référence et d'investigation désignée - celui du CHUM ouvrira en mars - devrait très sensiblement accélérer les délais d'examen. Les CRID traiteront, notamment, les cas référés par le nouveau programme de dépistage du cancer du sein pour les femmes de 49 à 69 ans, invitées à passer une mammographie tous les deux ans.

Voilà madame, je vous répète ce qu'on m'a dit. Je ne ferai aucun commentaire, vous devinez sans doute que je suis, ici, assez loin de mes sentiers. Je vous souhaite évidemment de bonnes nouvelles.